« Immersion en médiation » épisode 1 – Cinéma : « 7 años », un film de Roger Gual
Une fois n’est pas coutume, nous inaugurons avec une critique cinématographique une série d’articles consacrée à une discipline qui gagne à être connue et pratiquée : la médiation
Introduction à notre saga Immersion en médiation
En 2023, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, lance la « politique de l’amiable« , une réforme visant à désengorger les tribunaux via ce que l’on appelle les Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD). L’alternative, c’est d’éviter d’aller nécessairement jusqu’au bout d’un procès en engageant un médiation. Au cœur du dispositif, elle permet aux parties en conflit, accompagnées d’un médiateur impartial, de tenter de résoudre leurs différends par le dialogue. Ce facilitateur neutre apaise les tensions et favorise une solution coconstruite entre les parties , incarnant une justice participative. D’un point de vue pratique pour la justice, l’ambition est de diviser par deux les délais des procédures civiles d’ici 2027. À l’occasion de notre propre plongée éducative dans la médiation, nous partagerons dans cette série thématique quelques réflexions au fil de notre parcours de formation.
Synopsis 7 años: « Loyautés et cruautés se révèlent lors d’une soirée tendue où quatre partenaires en affaires doivent déterminer lequel va payer pour le crime qu’ils ont commis ensemble »
Ce film de 2016 est une production Netflix originale. À l’heure de cette critique, il est toujours possible de visionner le film sur la plateforme de streaming. Dans ce thriller, quatre amis associés à la tête de leur entreprise négocient sous haute tension. Pas avec des clients, mais entre eux. Ce huis clos psychologique, mêlant compromis et vérités brutales, reflète bien les dynamiques de la médiation et l’attitude du médiateur. Si un professeur de médiation ne nous avait pas invités à visionner 7 años, notre critique aurait possiblement éludé le personnage du médiateur, qui peut passer comme complètement annexe et créé par la réalisation pour faciliter la transition entre les scènes, le reléguant à un rôle secondaire, presque effacé face au drame des quatre associés. On n’aurait vu qu’un thriller psychologique efficace servi par quatre acteurs face à leurs trahisons et dilemmes. On aurait peut-être moins prêté attention à la mécanique de la médiation, qui est effectivement de faciliter, la résolution d’un conflit mais ici aussi la réalisation cinématographique. Avec le leitmotiv de la médiation, guidés par cet angle, nous avons scruté le film à travers le prisme de l’immersion en médiation, scrutant chaque mot et chaque geste de Luis, le médiateur. 7 años devient alors une étude fascinante des tensions et moyens de les atténuer, et des principes de la négociation.
Luis, médiateur professionnel, est embauché dans l’urgence par les quatre associés pour les guider dans une décision cruciale : choisir l’un deux pour endosser la responsabilité d’un détournement de fonds qu’ils ont commis. Le but est d’éviter la prison aux autres et de sauver la boîte. Ce drame, porté par un casting solide , excelle dans sa tension croissante et son exploration des failles humaines. Le scénario, resserré sur une unique soirée, dissèque les dynamiques de pouvoir, les trahisons et les compromis, tandis que la mise en scène minimaliste amplifie l’intensité des échanges. On découvre combien les relations sont basées sur un équilibre où chacun y trouve son compte, qui peut peuvent basculer à tout moment. Dès lors, les masques tombent, chacun travaillant ici à sauver sa peau en tentant de se disculper ou en « chargeant » l’autre. Rancœurs, rancunes, secrets plus ou moins bien gardés seront révélés à rythme rapide.
Que fait Luis dans cette situation inextricable ? Face à la tension croissante, il garde une posture neutre, lançant le débat tout en s’effaçant progressivement pour laisser les parties s’exprimer. Ses interventions rares mais ciblées recentrent les échanges sur l’objectif pour tenter d’éviter les dérives personnelles. Il respecte les principes de la médiation : impartialité, confidentialité, volontariat en n’imposant pas de solution et en garantissant un cadre équitable. Cependant, la pression du contexte et les émotions exacerbées des protagonistes mettent son rôle à rude épreuve. Luis s’en sort en maintenant le processus jusqu’à une résolution, bien que tendue, illustrant la complexité d’une médiation à enjeux forts et sous contrainte de temps. On a noté néanmoins ce qui nous semble être une entorse aux principes de la médiation : lorsque l’un des protagonistes demande à Luis ce qu’il accepterait lui-même 30 millions pour passer 7 ans en prison, il finit par répondre, poussé à le faire malgré sa réticence initiale. Un médiateur ne doit-il pas rester strictement impartial et s’abstenir de s’impliquer personnellement dans le conflit, même à titre illustratif ? En répondant qu’il accepterait de le faire pour beaucoup moins que cette somme, Luis a peut-être franchi la ligne rouge même s’il répète ensuite à nouveau qu’ici il n’est pas concerné et que chacun doit juger de « sa part » acceptable dans la négociation. Son opinion peut influencer la dynamique ou être perçue comme un jugement sur les choix des parties, ici une offre évaluée par l’une des parties. Le protagoniste semble d’ailleurs faire grand cas de la réponse qu’il a sollicitée auprès du médiateur puisqu’on le voit réfléchir intensément. Cette dérive, bien que mineure dans le film, illustre une limite, qui explique d’ailleurs peut-être pourquoi le scénario l’inclut : sous pression, même un médiateur expérimenté peut être tenté de sortir de son cadre. Dans le contexte dramatique du film, cette réponse sert probablement à humaniser Luis et à intensifier le huis clos psychologique. 7 años s’avère une réflexion captivante sur la négociation et la morale, écho pertinent à la « politique de l’amiable » française visant à promouvoir la médiation. Son format court (1h17) en fait un exercice efficace. Un film à voir pour son intensité et ses questionnements éthiques… sous le prisme de la médiation ou non.

« 7 Años » de Roger Gual, avec Juana Acosta, Alex Brendermühl, Paco Léon, Juan Pablo Raba, Manuel Moron – Durée : 1h17- Sortie Netflix 2016
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