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« Immersion en médiation » épisode 3 – L’expert judiciaire désormais médiateur

Le décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025 marque un pivot dans la procédure civile française, en posant l’instruction conventionnelle comme règle et en intégrant les modes amiables de résolution des différends (MARL) au quotidien judiciaire. Les experts judiciaires, libérés de l’interdiction de concilier, peuvent désormais faciliter des accords. Effective depuis le 1er septembre 2025, cette réforme pourrait déjudiciariser 20 à 30 % des litiges civils d’ici 2030, selon le Conseil national des barreaux (CNB), en rendant la justice plus collaborative, accessible et centrée sur le dialogue.

Décret du 18 juillet 2025 : un socle pour une procédure civile réinventée

Publié le 18 juillet 2025 et applicable dès le 1er septembre, le décret n° 2025-660 réorganise le Code de procédure civile (CPC) en unifiant les règles des MARL dans un titre dédié et en érigeant l’instruction conventionnelle en principe directeur. Face à l’engorgement des tribunaux, qui traitent plus de 2,5 millions d’affaires civiles par an, cette réforme rend l’instruction judiciaire subsidiaire, privilégiant les accords entre parties pour organiser les mesures d’instruction, dont les expertises. Les articles 127 et suivants du CPC sont modifiés pour permettre aux justiciables et avocats de piloter le dossier sous supervision judiciaire, avec la désignation d’un « technicien » – souvent un expert – de manière conventionnelle, sans recours immédiat au juge.

Cette restructuration, issue des travaux d’une commission sur la réforme civile de 2023, s’inspire de modèles européens comme le Royaume-Uni, où les approches amiables ont réduit de 25 % les affaires civiles. En France, elle pourrait élever à 40 % la proportion de différends résolus sans audience, générant des économies et accélérant les délais actuels de 18 mois pour une expertise. Prospectivement, cela anticipe une justice proactive, où les MARL deviennent la norme, libérant les magistrats pour des enjeux sociétaux complexes comme les litiges environnementaux ou numériques.

L’évolution du rôle de l’expert : de la neutralité à la facilitation optionnelle

Traditionnellement, l’expert judiciaire se limitait à un éclairage technique impartial, interdit de concilier par l’article 240 du CPC depuis 1972, pour éviter toute apparence de biais. Le décret de 2025 abroge cette prohibition, autorisant l’expert à proposer des solutions amiables, à rédiger des accords ou à orienter vers une médiation, transformant son rôle en un hybride technique et relationnel. Cependant, cette extension est facultative : l’expert n’est pas contraint d’exercer ces fonctions conciliatrices dans ses missions. Il peut choisir de s’en tenir à un rapport objectif, laissant la négociation aux parties ou au juge, particulièrement dans des cas sensibles où l’impartialité prime.

Cette liberté préserve l’essence du métier tout en ouvrant des voies nouvelles. Dans l’immobilier ou la santé, où les expertises pèsent 30 % des dossiers, un expert pourrait diagnostiquer un vice et, s’il le souhaite, faciliter un règlement partagé, évitant un procès. Prospectivement, cette option pourrait multiplier par deux les interventions amiables, réduisant les récidives de 50 % dans certains secteurs selon des modélisations du ministère de la Justice. Elle humanise la justice, passant de confrontations à des dialogues, mais pose des défis éthiques : sans garde-fous, comme l’homologation judiciaire des accords, des conflits d’intérêts pourraient émerger.

Modifications de l’accès et de la formation : vers une expertise hybride avec chevauchements contrôlés

L’accès à la fonction d’expert judiciaire, régi par des listes annuelles des cours d’appel, a été renforcé par un décret de 2023 exigeant une expérience minimale et une formation continue pour garantir la qualité des rapports. Le décret de 2025 ajoute une couche : pour ceux optant pour la conciliation, une formation à la médiation d’au moins 40 heures est obligatoire, certifiée par des organismes agréés comme l’Institut de médiation et d’arbitrage. Cette exigence, applicable aux nouveaux inscrits et avec un délai jusqu’en 2026 pour les actuels, n’impose pas la formation à tous, mais seulement à ceux choisissant ce rôle élargi, évitant une surcharge pour les « puristes » techniques.

Un aspect pertinent émerge avec les chevauchements entre experts judiciaires et médiateurs : en France, certains professionnels sont inscrits sur les deux listes auprès des cours d’appel – listes d’experts pour les avis techniques, et listes de médiateurs pour la facilitation d’accords volontaires, comme prévu par le décret de 2017 sur les médiateurs. Ce double enregistrement, géré par des entités comme la Compagnie nationale des experts de justice médiateurs (CNEJM), reflète une complémentarité : l’expert apporte son savoir-faire technique à la médiation, mais les rôles diffèrent fondamentalement. L’expert évalue et rapporte, tandis que le médiateur neutre guide sans décider, avec des garanties d’impartialité strictes pour éviter les confusions. Avec la réforme, ce chevauchement pourrait s’intensifier, créant des « experts-médiateurs » hybrides, mais des risques existent, comme un « mariage risqué » soulignant des tensions éthiques si le même individu alterne rôles dans une affaire. Prospectivement, cela pourrait professionnaliser les MARL, avec 5 000 experts formés d’ici 2028, mais nécessite des protocoles clairs pour distinguer les missions et prévenir les abus.

Réactions des acteurs : soutien et vigilance pour une mise en œuvre équilibrée

Les retours des professionnels, via le CNB et l’Union syndicale des magistrats (USM), sont globalement positifs : le CNB voit des « opportunités » pour des expertises conventionnelles innovantes, tandis que l’USM parle d’une « révolution de l’office du juge civil », transformant le magistrat en facilitateur. Les médiateurs, dans leur position du 10 septembre 2025, approuvent l’encadrement de la médiation mais alertent sur la nécessité de distinctions claires entre rôles pour éviter les confusions. Des réserves émergent sur les inégalités : sans aide juridique renforcée, les parties modestes pourraient être désavantagées dans les négociations conventionnelles.

Prospectivement, ces réactions appellent à une sensibilisation accrue, via des campagnes publiques, et un suivi annuel pour ajuster le décret, comme proposé par la commission de réflexion sur l’expertise. Dans un horizon européen, la France pourrait exporter ce modèle hybride, influençant des directives sur les MARL.

Formation à la médiation : un levier pour une expertise éthique et prospective

Bien que facultative pour la conciliation, la formation à la médiation devient un atout stratégique : elle équipe les experts pour intégrer l’empathie à l’analyse, facilitant des accords durables dans des litiges comme les divorces ou commerciaux. Éthiquement, elle protège contre les biais, avec l’homologation judiciaire comme garde-fou. Prospectivement, elle pourrait forger un corps d’experts hybrides, alignés sur le plan Justice 2023-2027, réduisant les coûts sociétaux des conflits prolongés.

Pour une justice apaisée, avec des défis à surmonter

Cette réforme de l’expertise judiciaire, ajoutant une corde médiatrice à leur arc, promeut l’amiable maximal permettant d’alléger les tribunaux et de valoriser les experts comme pivots du dialogue. Elle pourrait inspirer, mais son succès dépend d’une appropriation inclusive moyennant une formation solide à la médiation. À terme, elle envisage une société moins litigieuse, où la justice anticipe plutôt que répare, pour un système plus efficace à l’horizon 2030.

Image d’en-tête : Katrin Bolovtsova

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