La Cour de cassation aligne le droit français sur l’Europe : le report des congés payés en cas de maladie pendant les vacances devient un droit effectif
Dans un arrêt rendu le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a opéré un revirement majeur en matière de droit du travail. Un salarié tombant malade durant ses congés payés peut désormais reporter ces jours, à condition de notifier l’arrêt maladie à son employeur. Cette décision met fin à une jurisprudence nationale restrictive et transpose enfin la directive européenne 2003/88/CE, renforçant la protection des droits des travailleurs.
Le contexte d’un revirement attendu
La question du report des congés payés en cas de maladie survenue pendant la période de vacances agitait le droit du travail français depuis des années. Jusqu’alors, la jurisprudence de la Cour de cassation, établie notamment par un arrêt du 4 décembre 1996 (n° 93-44.907), considérait que l’absence pour maladie pendant les congés payés ne permettait pas de prolonger ou de reporter ces derniers, sauf disposition contraire dans un accord collectif. Cette position, pragmatique pour les employeurs, se heurtait frontalement au droit de l’Union européenne.
La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, transposée en droit français par l’article L. 3141-3 du Code du travail, vise à garantir un congé payé annuel minimum de quatre semaines pour permettre aux salariés de se reposer et de profiter d’une période de détente et de loisirs. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a multiplié les arrêts pour préciser que les congé payés ne sont pas un simple temps d’inactivité rémunérée, mais un droit essentiel à la santé et au bien-être. Dans son arrêt du 21 juin 2012 (affaire C-78/11, Commission contre Royaume-Uni), la CJUE a jugé que l’absence pour maladie pendant les congés payés doit permettre un report, car la maladie empêche l’atteinte de l’objectif de repos.
Malgré ces injonctions européennes, la France peinait à adapter sa jurisprudence. La Commission européenne a adressé une mise en demeure à l’État français le 18 juin 2025, reprochant une transposition défaillante de la directive. Ce contentieux a culminé avec la saisine de la Cour de cassation dans l’affaire portant le numéro 23-22.732, offrant à la Haute juridiction l’occasion de rectifier le tir.
Les faits à l’origine de l’arrêt
L’affaire qui a conduit à cet arrêt emblématique oppose un salarié à son employeur dans un litige classique du quotidien professionnel. Le travailleur, en pleine période de congés payés, est victime d’une affection nécessitant un arrêt maladie prescrit par son médecin. Conformément aux obligations légales, il notifie cet arrêt à son employeur par les voies habituelles, attestant ainsi de son incapacité temporaire de travail.
L’employeur, s’appuyant sur la jurisprudence antérieure, refuse de reporter les jours de congés affectés par cette maladie, considérant que le salarié a bel et bien « pris » ses vacances, même en étant alité. Le salarié conteste cette position devant les juridictions prud’homales. La cour d’appel, saisie en premier lieu, donne raison au travailleur, estimant que l’arrêt maladie interrompt de facto la finalité du congé payé et justifie un report pour permettre un repos effectif ultérieur.
L’employeur forme alors un pourvoi en cassation, arguant que l’absence de disposition légale ou conventionnelle explicite interdit un tel report. La chambre sociale de la Cour de cassation, dans son audience du 10 septembre 2025, rejette ce pourvoi et confirme la décision d’appel. Cet arrêt, publié au Bulletin, marque un tournant décisif.
Le raisonnement de la Cour : une interprétation téléologique du droit
La Cour de cassation fonde son raisonnement sur une interprétation conforme au droit européen, en vertu de l’article 88-1 de la Constitution et de la primauté du droit de l’Union. Elle distingue clairement les finalités du congé payé et de l’arrêt maladie. Le premier, tel que défini par la directive 2003/88/CE, article 7, paragraphe 1, « doit permettre aux salariés non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs ». En revanche, l’arrêt maladie, régi par le Code de la sécurité sociale, a pour objectif exclusif « de permettre aux salariés de se rétablir d’un problème de santé ».
Selon la Cour, ces deux droits « n’ont donc pas la même finalité ». Si un salarié est en arrêt maladie pendant ses congés, il est privé de l’opportunité de bénéficier du repos escompté, rendant caduque l’objectif du congé payé. Par conséquent, « dès lors qu’un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a notifié à son employeur cet arrêt, il a le droit de les voir reportés ». Cette notification, simple formalité, suffit à activer le mécanisme de report, sans exiger de justificatifs supplémentaires ou d’accord préalable de l’employeur.
La Haute juridiction s’appuie explicitement sur la jurisprudence de la CJUE, notamment l’arrêt du 20 avril 2000 (affaire C-173/99, Safia Bartsch), qui impose un report automatique en cas d’empêchement indépendant de la volonté du salarié. Elle écarte ainsi toute référence à une jurisprudence nationale obsolète, opérant un revirement motivé par la nécessité de conformité européenne. Ce raisonnement téléologique, centré sur l’efficacité du droit social, priorise la substance sur la forme et protège le travailleur contre les rigidités administratives.
Les implications pratiques pour les acteurs du droit du travail
Cette décision aura des répercussions immédiates et profondes sur les relations employeurs-salariés. Pour les travailleurs, elle constitue une avancée significative en termes de protection sociale. Désormais, un arrêt maladie survenu en pleine période de vacances ne sera plus synonyme de perte de droits acquis. Le report des jours concernés permettra de reprogrammer ces congés dans l’année, potentiellement jusqu’à la fin de la période de report légale (généralement jusqu’au 31 mai de l’année suivante, ou selon les conventions collectives). Cela renforce l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle, particulièrement précieux dans un contexte de burn-out croissant.
Du côté des employeurs, l’adaptation sera nécessaire mais pas insurmontable. La notification de l’arrêt maladie, déjà obligatoire en vertu de l’article L. 113-17 du Code de la sécurité sociale, devient la clé de voûte du report. Les entreprises devront ajuster leurs outils de gestion des absences pour tracer ces reports et éviter les litiges. Les accords collectifs, qui pourraient prévoir des modalités plus souples (comme une prolongation immédiate ou un report étendu), gagneront en importance. Cependant, en l’absence d’accord, le droit légal s’impose désormais de manière plus protectrice.
Sur le plan jurisprudentiel, cet arrêt ouvre la voie à une harmonisation plus large. Il pourrait influencer d’autres domaines, comme le report en cas d’autres empêchements (force majeure, événements familiaux graves), et incite le législateur à une transposition plus fidèle de la directive européenne. La Commission européenne, satisfaite de cette évolution, pourrait clore la procédure d’infraction initiée en juin 2025.
Enfin, pour les avocats et juristes, cette décision illustre la dynamique d’intégration européenne en droit social. Elle rappelle que la Cour de cassation, gardienne de la loi, doit désormais intégrer systématiquement le droit de l’Union dans son interprétation, évitant les conflits inutiles.
Comparaison internationale : une harmonisation européenne contrastant avec les approches anglo-saxonnes
Cette avancée française s’inscrit dans un paysage européen largement harmonisé par la directive 2003/88/CE, dont la jurisprudence de la CJUE impose depuis 2009 (arrêt Pereda, C-277/08) un report automatique des congés payés en cas de maladie survenant pendant les vacances, afin de préserver leur finalité de repos distincte de la convalescence. La plupart des États membres, comme l’Allemagne, l’Espagne ou les Pays-Bas, appliquent déjà cette règle de manière systématique, permettant aux salariés de reprogrammer les jours affectés sans formalités excessives, souvent sur simple notification médicale. En Finlande, par exemple, la Cour de justice de l’UE a validé en 2023 des dispositions nationales alignées sur cette logique, évitant toute perte de droits. Le Royaume-Uni, bien que sorti de l’UE, maintient une approche similaire via les Working Time Regulations 1998 : un salarié malade pendant ses vacances peut convertir ces jours en arrêt maladie et les reporter, avec un report possible jusqu’à 18 mois pour les absences prolongées, sous réserve d’information à l’employeur (selon les guidelines de l’Acas). En revanche, aux États-Unis, l’absence de cadre fédéral pour les congés payés rend la situation plus précaire. Le Fair Labor Standards Act n’impose ni vacances ni report en cas de maladie ; tout dépend des politiques internes des employeurs ou des lois étatiques (comme en Californie, où un congé payé maladie est obligatoire mais non lié aux vacances). Souvent, les salariés utilisent un « PTO » (Paid Time Off) combiné, sans garantie de report, exposant à une perte effective de jours de repos. Ainsi, la France rejoint enfin le standard protecteur européen, loin de la flexibilité américaine.
Vers une protection accrue des droits sociaux
L’arrêt du 10 septembre 2025 de la Cour de cassation n’est pas qu’une correction technique ; il incarne une vision plus humaine du droit du travail. En alignant la France sur les standards européens, il protège concrètement les salariés contre les aléas de la santé, préservant l’essence même des congés payés comme droit fondamental. Alors que les pressions économiques poussent à une flexibilité accrue, cette jurisprudence réaffirme que le repos n’est pas négociable. Les employeurs avisés sauront en tirer une gestion plus sereine des absences, tandis que les travailleurs y verront une garantie supplémentaire de leur bien-être. Au final, cette décision enrichit le paysage juridique français, favorisant un équilibre durable entre productivité et santé.
Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused
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