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Loi Duplomb : le Conseil constitutionnel la censure partiellement en réinterdisant l’acétamipride

La décision rendue ce jeudi 7 août 2025 cible le pesticide néonicotinoïde controversé. En s’appuyant sur le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement, l’institution a jugé sa réintroduction inconstitutionnelle. Saluée par les défenseurs de l’environnement face aux pressions agricoles, elle laisse intactes d’autres mesures controversées comme l’élevage intensif, tandis que certaines réactions militantes pro-acétamipride évoque une mécompréhension des enjeux scientifiques et juridiques.

La décision du Conseil constitutionnel en détail

Le Conseil constitutionnel, saisi le 11 juillet 2025 par 60 députés et le 15 juillet 2025 par 60 sénateurs, a rendu sa décision le 7 août 2025, examinant la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite loi Duplomb. Il a spécifiquement censuré le paragraphe III de l’article 3, qui prévoyait une dérogation temporaire pour l’usage de l’acétamipride, notamment pour les cultures de betterave sucrière et de noisette, malgré son interdiction en France depuis 2018. Les Sages ont estimé que cette mesure, bien que conforme à certaines autorisations européennes jusqu’en 2033, manquait d’un encadrement suffisant pour garantir la protection de la biodiversité, des sols, de l’eau et de la santé humaine, en violation de l’article 1er de la Charte de l’environnement. Cette censure s’appuie sur une pétition citoyenne réunissant plus de deux millions de signatures et sur des données de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) soulignant les risques neurotoxiques potentiels, notamment chez les enfants. Le Conseil a jugé l’absence de précision sur les conditions d’application comme un manquement au principe de précaution. Cependant, cette censure ciblée contraste avec la validation d’autres dispositions, notamment l’article 5 assouplissant les seuils d’autorisation pour l’élevage intensif (passant par exemple de 750 à 900 truies reproductrices ou de 40 000 à 85 000 poulets de chair sans autorisation environnementale préalable) et l’article 4 sur les retenues d’eau, bien que soumises à des réserves d’interprétation. Cette inaction sur l’élevage intensif, malgré ses impacts sur le bien-être animal et les émissions polluantes, décevra beaucoup de défenseurs de l’environnement et du droit animalier.


Le principe de la charge de la preuve inversée en droit environnemental

Le principe de précaution, tel que mis en œuvre dans cette décision et qui a fait en 2000 l’objet d’une communication de la Commission de l’UE, repose sur un pilier fondamental du droit environnemental : l’inversion de la charge de la preuve. Contrairement au droit classique où le plaignant doit démontrer un préjudice, ce principe exige que les promoteurs d’une activité ou d’un produit potentiellement dangereux, comme l’acétamipride, prouvent son innocuité avant son autorisation ou sa poursuite. Cette approche trouve ses racines dans la législation suédoise de 1969 sur la protection de l’environnement, intégrée ensuite dans le droit international via la Déclaration de Rio de 1992 (principe 15), comme l’explique l’International Institute for Sustainable Development (IISD). En pratique, cela signifie que face à une incertitude scientifique, l’inaction est préférée à l’exposition au risque. Un exemple notable est l’interdiction progressive des polychlorobiphényles (PCB) dans les années 1970 aux États-Unis, où l’industrie a dû démontrer l’absence de danger après des soupçons de toxicité, malgré l’absence de preuves définitives à l’époque. En Europe, ce principe a été appliqué avec le règlement REACH (2006), obligeant les industriels à évaluer les substances chimiques avant leur mise sur le marché. Dans le cas de l’acétamipride, l’EFSA ayant signalé des incertitudes sur ses effets neurotoxiques, le Conseil constitutionnel a logiquement renversé la charge de la preuve sur les défenseurs du pesticide, un choix juridiquement robuste mais mal compris par certains.


Le cadre du règlement REACH et ses implications

Adopté en 2006, le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) représente une avancée majeure dans la gestion des substances chimiques en Europe. Ce texte, géré par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) basée à Helsinki, impose aux industriels de fournir des données détaillées sur la sécurité des substances qu’ils produisent ou importent, transférant ainsi la responsabilité de la preuve de leur innocuité des autorités publiques aux entreprises. REACH vise à protéger la santé humaine et l’environnement, en exigeant que les substances les plus dangereuses soient substituées par des alternatives plus sûres lorsque cela est techniquement et économiquement viable. Pour l’acétamipride, bien que son autorisation européenne soit maintenue jusqu’en 2033, REACH pourrait justifier une réévaluation anticipée si de nouvelles données toxicologiques émergent, comme celles suggérant des effets neurotoxiques. Ce cadre renforce la décision du Conseil constitutionnel, en alignant la législation nationale sur une approche européenne préventive, et met en lumière l’incohérence de prolonger l’usage d’un produit sous surveillance sans preuves solides de sécurité.

Les aspects de mécompréhension de certains militants pro-Duplomb et acétamipride

Les réactions des militants se revendiquant « pro-science » en faveur de l’acétamipride confirment certaines mécompréhension et amalgrames concernant des principes scientifiques mais aussi juridiques. Prenons à titre d’exemple la science médicale et pharmaceutique : la sécurité d’emploi d’un médicament doivent être rigoureusement prouvées avant sa commercialisation. Cette exigence entre néanmoins dans le cadre d’une évaluation du rapport bénéfice/risque : un traitement comme l’aspirine est autorisé car ses bénéfices (soulagement de la douleur) surpassent les risques d’effets indésirables. Le risque nul n’existe jamais, qu’il s’agisse de médicaments ou de pesticides. Certains militants font des amalgames, tentant d’appliquer ce raisonnement à un rapport bénéfice/risque farfelu en termes de protection de l’environnement, tentant de démontrer que les bénéfices économiques pour les agriculteurs surpasseraient les risques potentiels pour la santé humaine et les écosystèmes car ils ne serait pas prouvés. D’autres militants sous couvert de science, s’alarment en dénonçant l’inversion de la charge de la preuve comme une aberration, ignorant que ce mécanisme est une norme dans des domaines réglementés. Leur discours, qui exagère les impacts économiques tout en minimisant les données toxicologiques, reflète moins une rigueur scientifique qu’une posture politique déguisée.

Un enjeu économique masqué par une science mal maîtrisée

Derrière ces réactions militantes se cache un enjeu essentiellement économique pour les exploitants agricoles, plus que scientifique. La défense acharnée de l’acétamipride vise à préserver des pratiques intensives face à la transition écologique, un choix dicté par des pressions économiques plutôt que par une analyse objective. Ces militants, qui s’enorgueillissent d’une science qu’ils ne maîtrisent pas toujours, se livrent en réalité à une bataille politique pour masquer leur résistance au changement. Il faut aussi rappeler le contexte de la fin déjà programmée de l’utilisation de l’acétamipride en Europe en 2033 et sachant que des alternatives agricoles existent déjà. Leur méconnaissance du principe de précaution et le détournement du principe de rapport bénéfice/risque peut discréditer les militants concernés, transformant un débat légitime en une polémique stérile au service d’intérêts sectoriels.

Perspectives et implications

Cette décision du Conseil, bien que partielle, renforce la primauté du droit environnemental, mais son silence sur l’élevage intensif laisse un vide regrettable. Elle pourrait inspirer d’autres recours, tout en poussant les législateurs à accélérer la recherche d’alternatives viables. Quant aux militantisme pro-Duplomb sous couvert de science instrumentalisée ici au profit d’une cause économique, on pourra regretter un nouvel épisode médiatique parmi d’autres qui montre combien elle est malmenée.

Illustration d’en-tête : source Mirko Fabian

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