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Médicaments anti-rhume oraux à base de pseudoéphédrine : désormais uniquement sur ordonnance comme le souhaitaient les pharmaciens

On vous en parlait il y a un an en vous préconisant de les oublier : suivre notre recommandation n’était pas vain, puisque désormais, votre pharmacien l’exclut de ses produits en vente libre ; l’Ordre des pharmaciens et plusieurs syndicats de pharmaciens notamment s’étaient associés à l’ANSM pour alerter sur leurs dangers ; une décision qui se démarque de l’autorisation maintenue au niveau de l’Union européenne

Notre article d’octobre 2023 faisait suite immédiate à un communiqué très ferme de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicaments et des produits de santé), chargée d’autoriser les médicaments en France et ses modalités de délivrance. conjointement avec l’Ordre national des pharmaciens et plusieurs syndicats de pharmaciens, et deux associations professionnelles d’ORL et de médecine générale. Une décision française qui prend les devants sur l’autorisation européenne de vente libre qui perdure

Les médicaments concernés

Voici un rappel, à toutes fins utiles, des spécialités interdites de vente libre : Actifed Rhume, Actifed Rhume jour et nuit, Dolirhume Paracétamol et Pseudoéphédrine, Dolirhumepro Paracétamol Pseudoéphédrine et Doxylamine, Humex Rhume, Nurofen Rhume, Rhinadvil Rhume Ibuprofène/ Pseudoéphédrine, Rhinadvilcaps Rhume Ibuprofène/ Pseudoéphédrine, et tout autre médicament à base de pseudoéphédrine administré par voie orale.
Cette mesure, d’un point de vue réglementaire, se traduit par leur inscription à la liste I des substances vénéneuses, pour lesquelles l’ordonnance est de mise.
Vous avez déjà donc pu remarquer dans votre pharmacie la disparition de ces médicaments habituellement visibles derrière le comptoir des pharmaciens et que vous pouviez jusque là acheter librement. À vos risques et périls, ce qui avouons-le, pose problème évident.

Rapport bénéfice-risque en question

Ce rapport est la clé de l’évaluation des médicaments. Tout médicament présente des effets indésirables. On tient donc compte du rapport entre les effets recherchés du médicament (ses bénéfices) et les risques d’effets indésirables auxquels ils exposent. C’est ce qu’on appelle la « balance » bénéfice-risque. Elle doit être favorable, plus ou moins largement selon l’indication. Ici, on parle de rhume, une affection bénigne, sans doute désagréable, qui disparaît spontanément en 7 à 10 jours. Or, si le principe actif des médicaments visés, la pseudoéphédrine, apporte une certaine utilité pour déboucher le nez, principal symptôme désagréable du rhume, son administration par voie orale expose à un effet systémique et non pas uniquement local au niveau du nez. Son action de vasoconstriction des vaisseaux qui soulage le nez agit alors sur d’autres vaisseaux sanguins, par exemple au niveau du cerveau et du cœur, ce qui est susceptible, de provoquer respectivement AVC et infarctus du myocarde. Il est important de noter que ce ne sont pas les seuls patients fragilisés qui sont concernés. Les rapports de cas font état de patients touchés alors qu’ils ne présentent aucun facteur de risque. Des tels cas ont été malheureusement rapportées, rarement mais pas suffisamment exceptionnellement pour passer outre. Risquer deux urgences graves et vitales pour soulager un rhume ? La question est donc clairement non, et désormais en France, cela passe par le retrait de la vente libre via prescription médicale obligatoire.

L’ANSM maître en France malgré le maintien de l’autorisation de l’EMA

Si l’agence équivalente de l’ANSM, l’Agence européenne des médicaments de l’Union européenne (EMA) a bien de son côté lancé une évaluation de pharmacovigilance dans l’UE, malgré les cas rapportés, non spécifiques à la France, elle n’a pas à ce jour remis en cause l’autorisation des médicaments oraux à base de pseudoéphédrine. Pourtant, l’enquête de l’EMA a révélé de nouveaux risques pour ces médicaments, de type neurologique comme des syndromes d’encéphalopathie réversible postérieure (SERP) et des syndromes de vasoconstriction cérébrale réversible.
Il faut bien comprendre que les autorisations de mise sur le marché son déposées au niveau européen, et non dans chaque pays. Cela n’empêche pas pour autant une agence de santé nationale dans l’UE de restreindre l’autorisation d’un produit autorisé dans l’UE. C’est exactement ce qu’a fait l’ANSM. Cette mesure vient d’être prise (applicable depuis avant-hier, 11 décembre. Ce n’est pas faute pourtant d’avoir tenté la prévention plutôt que l’interdiction : mise à disposition de fiches pratiques destinées aux patients dans les pharmacies, interdiction de publicité grand public, communications régulières sur les dangers de ces produits. Les rapports de cas d’effets indésirables graves n’ont par la suite pas faibli, corrélé même avec une (nouvelle) augmentation des ventes des laboratoires commercialisant ces médicaments à l’automne 2024.

La décision d’ordonnance obligatoire va-t-elle freiner l’usage ?

Forcément, on s’attend à une chute mécanique des ventes pour ces produits que le pharmacien ne conseillait plus que rarement voire pas du tout, et donc surtout, l’impossibilité désormais de les demander au comptoir de la pharmacie. C’est donc maintenant les médecins qui supporteront leur vente. S’agissant de produits considérés comme inutiles, le corps médical a la possibilité d’achever leur existence. Vont-ils le faire ? Rien n’est moins sûr, car on sait que les médecins ont la main lourde sur les prescriptions pour maintenir à flot leur patientèle. S’agissant de produits jusque-là en vente libre, certains patients pourraient être demandeurs face à leur médecin. L’ANSM demande aux médecins prescripteurs de bien évaluer la balance bénéfice/risque pour chaque patient, dans le cas où ils souhaiteraient malgré tout prescrire ces médicaments. Le pharmacien reste évidemment le contrôleur de la pertinence des ordonnances ; il est invité par l’ANSM à continuer à informer les patients des risques graves de ces médicaments ; pour les patients dont il connaît les facteurs de risque, il lui appartiendra d’être vigilant lui aussi.

Image d’en-tête : Andrea Piacquiado

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