Critique : ‘Un meurtre au bout du monde’ : Emma Corrin hacke l’énigme arctique
Propulsée par la géniale Emma Corrin, ‘A Murder at the End of the World’ réinvente le whodunit agathachristien au format techno-polar sci-fi, mâtiné de road trip, serial killer et profilers. Dans un bunker islandais, casting au top et flashbacks ingénieux font de cette série FX/Hulu une pépite.
L’Islande, baignée de ses « northern lights », ses tempêtes de neige et ses aurores boréales, plante un décor de fin du monde où un complexe high-tech, mi-vaisseau spatial mi-prison de verre, devient le théâtre d’un huis clos glaçant. Brit Marling (qui joue également dans ce film) et Zal Batmanglij, cerveaux derrière The OA, orchestrent un whodunit inspiré d’Agatha Christie et son Dix petits nègres, mais dopé à l’adrénaline d’un thriller de serial killer et à la précision psychologique d’un drame de profiler. Darby Hart est l’héroïne Gen Z de ce polar unique. Elle est incarnée par Emma Corrin, une britannique presque trentenaire qui transcende les genres cinématographiques avec un succès foudroyant depuis quelques années. Nous l’avions découverte dans Nosferatu l’an dernier. Hackeuse prodige et détective autoproclamée, invitée par le milliardaire tech Andy Ronson (Clive Owen, impérial en gourou type Elon Musk), Darby est invitée à un symposium élitiste réunissant neuf génies artistes, hackers ou scientifiques, pour conjurer l’apocalypse climatique. Un meurtre, aussi insidieux qu’un poison digital, frappe dans la nuit polaire, et Darby, avec son flair de profiler et ses talents de hacker, traque dès lors un tueur tapi parmi les suspects, dans un jeu où l’IA omniprésente pourrait bien être complice.
Les flashbacks, aussi émotionnels qu’ingénieux, racontent la complexité et les fragilités de l’héroïne, sont le cœur d’un second récit. Ils plongent dans le passé de Darby, élevée dans l’Iowa par un père légiste, où elle chassait un serial killer aux côtés de son Bill (Harris Dickinson, charismatique). Ces souvenirs, montés comme des fragments de code fracturé, ne se contentent pas d’éclairer ; ils tailladent, révélant son obsession pour les « silver doe », victimes anonymes de féminicides. Cette structure, digne d’un Memento revisité, infuse une tension de profiler : Darby dissèque les suspects tels Sian (Alice Braga, vibrante), Lee (Marling, hacker traquée), David (Raúl Esparza, excentrique) avec une acuité qui transforme chaque silence en indice mortel. Ces flashbacks donnent une profondeur émotionnelle, un écho à Vertigo où le passé n’est jamais clos, mais reprogrammé.
L’atmosphère sci-fi, subtile mais omniprésente, électrise le tout. Le bunker, avec ses drones et hologrammes, évoque un futur à la lisière du nôtre, où l’IA de Ronson, dieu digital, scrute chaque souffle. La mise en scène de Batmanglij, d’un hitchcockisme glacial, fait de chaque plan un tableau paranoïaque : zooms sur des mains crispées, ombres glissant comme des spectres. La direction artistique, primée pour ses effets minimalistes, crée un Blade Runner enneigé, où l’Islande devient un personnage impitoyable. La bande-son électro-glaciale pulse comme un cœur sous tension, amplifiant l’angoisse. Les thèmes, tels que féminicide numérique, écofascisme, anxiété millennial, s’entrelacent sans prêcher, donnant au suspense une portée philosophique. Le « cygne noir » technologique, risque connu mais terrifiant, ajoute une couche de suspense millénariste : qui tue ? l’humain, l’IA, ou le climat ?
L’histoire a un début, un milieu et une fin. Car une mini-série, c’est souvent un récit trop long pour rentrer dans le format classique d’un film qui ne peut guère dépasser 3h30. Ici on nous sert donc l’histoire en sept morceaux, sans les travers de la série conçue dans un plan marketing visant à susciter l’addiction et à étirer des « saisons ». Certains pourront toutefois regretter quelques longueurs méditatives, mais elles approfondissent l’âme du récit. Les cliffhangers, les dialogues acérés (« On ne résout pas un crime, on le hacker »), et les twists agathachristiens font de chaque morceau un vertige. L’humour noir, hitchcockien, équilibre la tension. Le final, d’une humilité bouleversante, boucle l’énigme avec une grâce rare, laissant le spectateur pantelant. Guidés par Emma Corrin qui décldément, possède une intelligence et une justesse du jeu qui force l’admiration quelque soit le registre de ses personnages ( voir récemment Hotel Reverie), on unit l’élégance d’un Dix petits nègres, la noirceur d’un Se7en, la précision d’un Mindhunter et la paranoïa d’un Vertigo dans un écrin sci-fi. Cette pépite questionne donc philosophiquement notre époque sur le vrai coupable du déclin de notre civilisation. Et si ce n’était pas notre déni ?

‘A murder at the end of the world’ de Brit Marling et Al Batmangli, avec Emma Corrin, Harris Dickinson, Brit Marling, Clive Owen, Alice Braga, Louis Cancelmi
Mini-série en 7 parties – actuellement diffusée sur Disney+
Sortie novembre 2023 (États-Unis)
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