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Obliger les médecins à préciser sur l’ordonnance dans quelle indication ils prescrivent un médicament : un outil de santé publique puissant débarque par décret

Le décret relatif à la pertinence des prescriptions médicales paru le 31 octobre a pris effet le 1er novembre dans le cadre de la mise en application de la loi de financement de la Sécurité Sociale sur 2024. Il passe inaperçu dans les médias, pourtant son intérêt est majeur. Explications

Nous évoquons ici le décret n0 2024-968 du 30/10/2024 « relatif au document destiné à renforcer la pertinence des prescriptions médicales« . Tout un programme, essentiel.

Fondement : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024

C’est en particulier l’article 73 de cette loi, qui modifie le Code de la sécurité sociale et plus précisément l’article L. 162-19-1 qui pose les bases du nouveau dispositif. Il stipule que la prescription du médecin peut avoir lieu sur l’ordonnance classique ou « sur un formulaire prévu à cet effet« . Ce formulaire, accessible par téléservice, est exigible pour présentation au pharmacien. Il est prévu qu’il serve notamment à vérifier le respect des indications ouvrant droit à remboursement par la sécurité sociale.

Lutter contre le mésusage des médicaments, les médecins dans le viseur

La mauvaise utilisation des médicaments est un fléau de santé publique. Il émane en premier lieu de prescriptions défaillantes par les médecins. Il faut le rappeler, le médecin est l’expert du diagnostic médical, le pharmacien étant l’expert du médicament. Or on sait combien en France, il existe d’une part une surprescription de médicaments par les médecins, en partie pour des raisons de clientélisme : un patient satisfait est souvent un patient qui sort du cabinet médical avec une ordonnance, tant qu’à faire bien remplie. À tel point qu’il est prévu des incitations financières à la non prescription par les médecins. S’il faut citer un seul exemple de prescriptions abusives, on peut parler des antibiotiques, trop prescrits mais aussi mal prescrits, malgré les guides réguliers à l’usage des médecins fournis par des sociétés savantes comme celle d’infectiologie et l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). Le problème est tout aussi quantitatif que qualitatif.

Renforcer les moyens de contrôle par le pharmacien dispensateur

Alors on pourrait dire, et on le dit : chacun son métier. Le Code de la santé publique prévoit ainsi l’intervention du pharmacien, qui est tenu à un contrôle pharmaceutique des ordonnances avant toute délivrance. Beaucoup d’erreurs de prescription sont ainsi rattrapées.
Néanmoins il manquait jusqu’ici une information essentielle sur les ordonnances : l’indication, à savoir la pathologie ou les troubles pour lesquels les médicaments sont prescrits. C’est pourtant un élément clé pour établir l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance. L’interrogatoire du patient peut compenser le manque, mais cette information par le patient n’est pas toujours disponible ni fiable. Il est pourtant essentiel au pharmacien de savoir pourquoi un médicament est prescrit. Cela conditionne la validité de la prescription d’un point de vue qualitatif, mais parfois aussi quantitativement, car la posologie peut varier en fonction de l’indication.
L’information se devait donc d’être émise par sa source, le médecin prescripteur, et indiquée noir sur blanc pour qui de droit.

Vers un médecin professionnel de santé « comme les autres »

Les temps changent pour les médecins, dont le monopole de prescription et les privilèges s’effritent, au profit d’un exercice médical partagé entre les professionnels de santé autour des patients, et non plus derrière la longue file d’attente de consultations du médecin.
En France, cette situation s’explique non pas par la raison, mais un lobby médical très puissant qui influe fortement et fige les politiques visant à faire évoluer la situation.
On se souvient, pendant la pandémie de Covid-19, la défense par certains d’un droit de prescription absolue du médecin ; un groupe de médecins défendant l’hydroxychloroquine dans l’indication Covid non démontrée se nommait d’ailleurs « Laissons-les prescrire« . Leur argument était que les médecins étaient libres, autorisés à prescrire « hors AMM » (Autorisation de mise sur le marché). C’est en effet possible, mais dans des cas précis et très particuliers, justifiés, et avec l’aval du pharmacien. Il n’y a donc pas de réelle liberté de prescrire, elle est toujours été conditionnelle. Toujours est-il que les pharmaciens qui faisaient leur métier et assumaient leurs responsabilités (dont pénale) en refusant la délivrance d’hydroxychloroquine avaient été pointés du doigt et parfois menacés.
Cette image du médecin tout-puissant et omniscient est passéiste, et dangereuse. Dans tous les domaines, l’activité collaborative, chacun dans sa spécialité, est une sécurité, ici pour les patients.

En pratique

Les médecins doivent désormais – théoriquement – établir des ordonnances complètes, mentionnant l’indication pour chaque médicament prescrit. Le pharmacien pourra ainsi faire son travail d’analyse de l’ordonnance, mais aussi permettre la prise en charge par la sécurité sociale. À défaut, la délivrance des médicaments pourrait ne pas avoir lieu et les patients invités alors à contacter leur médecin pour obtenir les mentions manquantes.
Comme le prévoit la loi, le médecin peut fournir les informations requises sur l’ordonnance, ou via un formulaire dédié.

Il n’est pas sûr que ces nouvelles modalités s’appliquent à toutes les prescriptions. En effet l’assurance maladie pourrait se focaliser au moins dans un premier temps, sur ce qu’on appelle les ITR : Indications thérapeutiques remboursables. Il s’agit de médicaments ayant de multiples indications, dont seulement certaines sont remboursables. Parmi les médicaments actuels : les analogues du GLP-1, très en vogue, sont concernés ; il s’agit initialement de médicaments pour le diabète, qui ont été détournés rapidement comme coupe-faim pour maigrir (voir affaire Ozempic/sémaglutide), mais sont désormais également commercialisés pour l’obésité. Cette classe pourrait être dans le viseur pour une application sans délai du nouveau décret.

Des opposition du lobby médical à prévoir

Ce qui est certain, c’est que les médecins vont sans doute râler de devoir préciser l’indication. Il s’agira de préserver, comme toujours, des privilèges. On peut imaginer en premier lieu que le secret médical sera brandi, ce qui n’est pas pertinent puisque le partage d’informations entre professionnels de santé comme les pharmaciens, eux-même soumis à la confidentialité, ne le remet pas en cause. Idem pour la transmission d’informations à l’assurance-maladie. On n’a pas vu les médecins se plaindre de remplir un dossier pour l’obtention du statut d’ALD d’un patient (Affection de longue durée, exemple parmi d’autres). Ils pourraient aussi déclarer que de préciser l’indication leur fait perdre du temps, ou discréditer la disposition pour n’être qu’à visée financière (avec les ITR).
Pourtant, c’est bel et bien une mesure de santé publique importante vu les méfaits du mésusage des médicaments, versant erreurs de prescription, mais aussi détournement de prescriptions : à propos de coupe-faim, n’oublions jamais le scandale sanitaire du Mediator (benfluorex). Cette nouvelle disposition aurait à l’époque cette triste affaire, qui a coûté de vies, de se produire.
La médecine est une profession régulée comme toutes les professions de santé, elle n’a pas, et même plus à faire exception. Il y va de la protection des patients.

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