Pharmacie d’officine en péril : pour une filière autonome face à une crise sans précédent
L’Académie nationale de Pharmacie alerte sur la crise d’attractivité des études pharmaceutiques, tandis que les pharmaciens, professionnels de santé essentiels, affrontent une menace économique majeure avec la baisse des remises sur les génériques. Une voie d’accès directe et une communication renforcée sont urgentes pour sauver une profession au cœur des soins de proximité.
La pharmacie française traverse une tempête. Avec 1 100 places vacantes en deuxième année en 2022 et 471 en 2023 selon les chiffres l’Académie nationale de Pharmacie, la filière peine à attirer les vocations, victime d’une réforme des études de santé (PASS/LAS) qui la relègue à un choix par défaut face à la médecine. Parallèlement, un arrêté du 4 août 2025, réduisant les remises sur les médicaments génériques de 40 % à 30 %, déclenche une mobilisation sans précédent des pharmaciens, qui menacent de fermer des milliers d’officines dès la rentrée. Professionnels de santé à part entière, au même titre que les médecins, les pharmaciens jouent un rôle crucial dans les soins de proximité, avec des prérogatives croissantes. Cet article soutient l’appel de l’Académie pour une voie d’accès directe et une meilleure visibilité, tout en proposant des solutions face à une crise qui menace l’avenir de la profession.
Une profession de santé en crise : entre dévalorisation et menace économique
L’Académie nationale de Pharmacie, dans un communiqué du 26 février 2024 co-signé avec l’Académie nationale de Médecine et l’Association des professeurs de Biologie et Géologie (APBG), alerte sur une désaffection alarmante des études pharmaceutiques. Les chiffres sont éloquents : 1 100 places vacantes en deuxième année en 2022, 471 en 2023, et un risque de « déserts pharmaceutiques » d’ici dix ans. Cette crise s’inscrit dans un contexte plus large, marqué par la réforme des études de santé de 2020, qui a remplacé la Première Année Commune aux Études de Santé (PACES) par le Parcours d’Accès Spécifique Santé (PASS) et les Licences avec option Accès Santé (LAS). Ce système, en imposant un tronc commun aux filières MMOPK (Médecine, Maïeutique, Odontologie, Pharmacie, Kinésithérapie), a dilué l’identité de la pharmacie, la reléguant à une option de repli pour les étudiants recalés en médecine.
Cette perception est d’autant plus injuste que le pharmacien est un professionnel de santé à part entière au même titre que le médecin, avec pour expertise socle le médicament et la pharmacologie. Formé à la fois aux sciences fondamentales et aux soins, il est un pilier du système de santé. En officine, il est souvent le premier point de contact pour les patients, offrant des conseils thérapeutiques, gérant des pathologies courantes et assurant des missions de santé publique. Depuis la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) de 2009, et plus récemment avec les ordonnances de 2021 et 2023, ses prérogatives se sont élargies : vaccination (grippe, Covid-19, HPV), renouvellement de traitements chroniques, dépistage (angine, cystite) et même prescription dans certains cas. Dans les zones rurales, où les médecins se font rares, le pharmacien est souvent le seul professionnel de santé accessible sans rendez-vous, garantissant un maillage territorial essentiel.
Pourtant, cette réalité est éclipsée par une crise économique sans précédent. L’arrêté du 4 août 2025, publié au Journal officiel, plafonne les remises commerciales sur les médicaments génériques à 30 % dès le 1er septembre, avec une baisse prévue à 20 % d’ici juillet 2027. Selon la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), cette mesure entraîne un manque à gagner de 300 à 600 millions d’euros par an, menaçant jusqu’à 6 000 officines de fermeture et 30 000 emplois. Les petites officines rurales, déjà fragilisées par l’inflation et la baisse des prix des médicaments, sont particulièrement vulnérables. En réponse, les pharmaciens ont lancé une grève des gardes depuis le 1er juillet 2025, avec des fermetures nationales prévues les 16 août et 18 septembre, suivies de fermetures hebdomadaires chaque samedi à partir du 27 septembre. L’USPO prépare également une double procédure juridique contre l’État, incluant une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel et un recours pour inaction en matière d’accès aux soins.
Un déficit de visibilité aggravé par la crise économique
Le manque d’attractivité des études de pharmacie est amplifié par un déficit chronique de communication sur la profession. Les lycéens, mal informés, associent souvent le pharmacien à un simple « vendeur de médicaments », ignorant la diversité de ses missions. Outre l’officine, qui représente 60 % des pharmaciens selon l’Ordre national des pharmaciens, la profession offre des carrières en recherche (neurosciences, oncologie), en industrie (développement de médicaments), en hôpital (pharmacie clinique), ou encore en biologie médicale et cosmétique. Ces débouchés, qui allient expertise scientifique et impact sociétal, pourraient séduire de nombreux jeunes, à condition qu’ils en soient informés. La plateforme Parcoursup, avec ses intitulés génériques (PASS, LAS), rend la filière illisible, tandis que les salons d’orientation privilégient la médecine. La crise économique actuelle, médiatisée par les grèves et les menaces de fermetures d’officines, renforce l’urgence de communiquer sur le rôle du pharmacien comme professionnel de santé. Les mobilisations, relayées par BFM TV, Les Échos et France 3, mettent en lumière les conséquences dramatiques pour les patients, notamment en zones rurales où la fermeture d’une officine peut signifier la perte du dernier point d’accès aux soins. L’Académie propose de renforcer la communication dès le collège, en impliquant des professionnels de santé. Cette idée est pertinente, mais manque de concret. Une approche moderne s’impose : des campagnes numériques sur des plateformes comme TikTok ou Instagram, avec des témoignages de pharmaciens hospitaliers ou de chercheurs, pourraient captiver les jeunes. Des partenariats avec des médias jeunesse ou des serious games éducatifs, comme ceux testés par certaines facultés, pourraient rendre la pharmacie plus tangible pour les collégiens. Ces initiatives, couplées à une sensibilisation des patients sur les conséquences des fermetures d’officines, pourraient contrer l’image réductrice de la profession et soutenir les pharmaciens dans leur combat actuel.
Un système éducatif inadéquat face aux exigences de la profession
La baisse d’attractivité des études de pharmacie s’explique aussi par les lacunes du système éducatif. La réforme du baccalauréat de 2019, en supprimant la série S, a réduit le vivier d’étudiants formés aux sciences. Selon l’Académie, les heures d’enseignement en sciences de la vie et de la Terre (SVT) se limitent à 1h30 par semaine jusqu’en seconde, soit environ 270 heures sur le cursus secondaire. Ce volume est insuffisant pour préparer les étudiants aux exigences des études pharmaceutiques, qui requièrent une maîtrise approfondie de la biologie, de la chimie et de la physique, essentielles pour comprendre les mécanismes des médicaments et conseiller les patients. Ces lacunes se répercutent dès la première année universitaire, où les étudiants en PASS ou LAS peinent à suivre des cours complexes comme la chimie organique ou la pharmacologie. L’Académie appelle à un renforcement des enseignements scientifiques au lycée, avec un accent sur les travaux pratiques. Cette proposition est cruciale, car la pharmacie, en tant que profession de santé, repose sur une expertise scientifique rigoureuse. Dès le collège, des ateliers sur la composition des médicaments ou des visites de pharmacies hospitalières pourraient susciter des vocations précoces, en valorisant le pharmacien comme acteur des soins et non comme simple technicien. Ces initiatives, déjà expérimentées localement, mériteraient une généralisation pour répondre à la crise actuelle, qui menace de priver les territoires ruraux de leurs pharmaciens
Réinventer la roue ? Une voie d’accès directe pour préserver un maillage territorial vital
Face à ces défis, l’Académie nationale de Pharmacie propose une voie d’accès directe aux études de pharmacie dès la première année, distincte du tronc commun PASS/LAS. C’est tout simplement le fonctionnement qui existait jusqu’en 2010. Quand on voulait faire pharmacie, on tentait le concours de pharmacie, il n’y avait pas de tronc commun avec médecine, Soutenue par l’ANEPF et la FSPF, cette mesure de retour en arrière de l’Académie vise à capter les étudiants ayant une vocation claire pour la pharmacie, en recentrant la formation sur ses spécificités, soit le médicament, comme la chimie thérapeutique ou la pharmacologie. Cette autonomie permettrait de redonner à la filière son identité, tout en réduisant les désistements d’étudiants mal orientés. Cette proposition est d’autant plus cruciale que la crise économique actuelle menace le maillage territorial. Avec 300 officines fermées en 2024 et jusqu’à 6 000 menacées d’ici 2027, selon l’USPO, les zones rurales risquent de perdre leur dernier point d’accès aux soins. Les pharmaciens, souvent seuls à assurer des services comme la vaccination ou le dépistage dans ces territoires, sont indispensables. Une voie directe pourrait encourager des vocations pour l’officine rurale, où les besoins sont criants. Cependant, cette réforme implique des défis logistiques et financiers, notamment pour recruter des enseignants et adapter les infrastructures. Elle risque aussi de heurter les défenseurs du système PASS/LAS. Dans le cadre de la Réforme d’Entrée dans les Études de Santé (REES) prévue pour 2026-2027, l’Académie devra convaincre les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé, tout en s’appuyant sur la mobilisation actuelle des pharmaciens pour peser dans les négociations.
Conclusion
Les pharmaciens dont à un tournant. Professionnels de santé de proximité, ils sont des piliers du soin face à la désertification médicale, mais leur avenir est menacé par une double crise : une filière universitaire dévalorisée et une économie officinale fragilisée. L’arrêté du 4 août 2025, plafonnant les remises sur les génériques à 30 % dès septembre, puis à 20 % d’ici 2027, pourrait entraîner la fermeture de 6 000 officines et la perte de 30 000 emplois selon l’USPO et la FSPF. Les grèves du 16 août et du 18 septembre 2025, suivies de fermetures chaque samedi dès le 27 septembre, traduisent la colère d’une profession qui se sent trahie. Il faut dire qu’elle n’a jamais été aussi véhémente que ses confrères médecins, très soutenus politiquement et toujours prêts à préserver leurs privilèges. L’appel de l’Académie nationale de Pharmacie pour une voie d’accès directe et une meilleure visibilité des études est plus urgent que jamais. En renforçant l’enseignement scientifique, en modernisant la communication et en restaurant l’autonomie de la filière, la France peut former des pharmaciens fiers de leur vocation. Parallèlement, le gouvernement doit revoir sa politique économique pour préserver un maillage territorial vital à la santé publique.
Illustration d’en-tête : Serkan Yildiz
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