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« Postdocs » en rêve de carrière : une enquête intéressante du journal ‘Le monde’

Ce n’est pas un sondage et quelques témoignages sur les jeunes chercheurs diplômés : leurs ambitions face à la réalité. Réflexions.

C’est un article dont quasiment toute la rédaction Science du journal est signataire au journal Le Monde. Il est paru le 15 janvier dernier.

La question posée par Le Monde à sa sélection personnelle de jeunes scientifiques en devenir :

« Vous finissez votre thèse, êtes postdoc ou désormais en poste. Quel serait, dans un monde idéal, votre rêve, le sens que vous voudriez donner à votre recherche ? »

Le Monde prétend que « notre société compte sur eux pour imaginer les solutions de demain« . On rétorquera que fort heureusement, la science ne peut être seule au rendez-vous pour solutionner la suite de l’humanité. Sauf à n’avoir du monde qu’une vision techno-scientifique de l’avenir de l’humanité.

Quoi qu’il en soit, le journal clame sa satisfaction et la « forte envie de s’exprimer » des intéressés, concluant en une grande réussite de son appel public : pas moins de 187 personnes ont répondu. À relativiser, avec une audience estimée à 414 000 abonnés numériques, et un total de 2,44 millions de lecteurs, données 2021… est-ce vraiment un résultat significatif ? Toujours est-il que Le Monde se targue de répondants dans le monde entier et on a à ce titre droit à une série de citations extraits de témoignages variés.

Au fil d’extraits constitués de juxtapositions de témoignages, un message passe : des jeunes qui suite leur diplôme de doctorat (PhD), enchaînent les contrats précaires à durée déterminés, dits contrats « postdoc » (contrat précaire – à durée déterminée – après le diplôme). Les contrats postdoc peuvent s’enchaîner, souvent à l’étranger, et en conséquence cela peut durer; parfois une décennie entière avant d’être titularisé. Mais il n’est pas rare d’avoir passé la quarantaine et d’être toujours en quête d’un contrat permanent. Pendant cette période, pas de place au temps long et à la réflexion que requièrent la science : il faut produire, être compétitif et se vendre.
Le temps long n’a pas sa place, il faut toujours avoir un projet ou un résultat de recherche sexy à l’instant T », explique un post doc français en Angleterre. « Or nous avons précisément besoin de réflexion à long terme, au vu des défis extrêmement complexes auxquels nous sommes confrontés. »

Comme l’a dit il n’y a pas si longtemps, Emmanuelle Charpentier, prix Nobel : « La science, c’est long« . Et cela n’a rien de sexy.

Parfois, nous explique-t-on, les postdocs ont le sentiment d’avoir la connaissance ultime de quelque chose de nouveau, et cela semble grisant.

 « La constitution d’un profil académique répondant aux critères actuels d’excellence va globalement à l’encontre d’une recherche sobre et soutenable » affirme de jeunes scientifiques académiques dans un témoignage commune, rapporte Le Monde. Une postdoc en exil constate avec amertume le système français très élitiste : pour percer il faut être dans les tous premiers, d’où de nombreux départs à l’étranger.

Publish or Perish

Et puis il y a les injonctions à publier des articles scientifiques. C’est la vie des postdocs : leur survie et leur progression en dépend, les budgets, la possibilité d’évoluer vers de nouveaux contrats plus intéressants éventuellement, mais toujours aussi précaires. Alors on recherche des financements pour des travaux qui permettront de publier, encore et toujours. C’est la compétition, sans fin. Et il faut se vendre, se valoriser. Encore une notion peu compatible avec l’humilité qu’impose la science.
On le sait, le système d’indexation des publications par citation des auteurs est un piège redoutable. Il incite à la quantité (de publications et citations) plutôt qu’à la qualité, il incite aussi parfois, à s’auto-citer pour profiter du système.

Parfois, les postdocs obtiennent une petite charge d’enseignement, comme professeur assistant au bas de l’échelle, jusqu’à maître de conférence. L’un d’entre eux, ingénieur physicien qui enseigne l’optique explique qu’il dispense 192 heures de cours mais que l’investissement en temps est quatre fois plus important. Sachant qu’il faut aussi faire de la recherche en parallèle, il considère qu’il ne peut en faire que « dans les interstices ».

Un autre chercheur regrette le manque de diversité en termes de genre, dominé par les hommes et l’absence de diversité sociale. Il pense que cela entrave la crédibilité de la science dans la société. Une chercheuse en virologie à Paris confirme l’absence d’égalité entre les sexes, les postes à haut niveau étant réservés aux hommes, en situation de domination réelle.

Une postdoc en biologie à Dublin explique avoir raté médecine d’où sa reconversion en « docteure » en biologie. Elle trouve son quotidien « stressant et laborieux ». Elle relève également qu’un doctorat français ne vaut pas grand-chose sur le marché à son avis par rapport aux PhD anglo-saxons et aux « docteurs » allemands.

Pour un autre postdoc, la précarité l’incite à proposer une solution radicale : il propose la mise en place d’un concours éliminatoire, juste après le doctorat « pour éliminer les postdocs ».

Des postdocs en perdition sur les réseaux sociaux

À la lumière des attentes des jeunes chercheurs postdocs et la réalité révélée par les témoignages recueillis par le journal Le Monde, on peut se risquer à quelques réflexions concernant certains comportements sur les réseaux sociaux émanant de certains d’entre eux. Les postdocs comptent parmi eux beaucoup d’amateurs en Covid, vaccins et médecine depuis la crise sanitaire, comme de très nombreux Français qui ont été passionnés par l’actualité en la matière. Un amateur aussi passionné soit-il, non formé et sans expérience des professions médicales reste néanmoins un amateur. Or quelques postdocs usent de leur titre de doctorat ou de leur fonction de chercheur pour se déclarer experts médicaux. Cette situation est extrêmement dommageable pour l’image de la science, basée par essence sur la formation et l’expertise en la matière. Avec les conséquences : arguments d’autorité, absence de maîtrise des sujets évoqués, participation à l’infodémie (épidémie de mésinformation).
On trouvera peut-être quelques explications sous forme interrogative dans les témoignages que l’on a passés en revue, qui pour autant ne sont pas des excuses valables pour l’imposture en science :

  • publier à tout prix, même hors de son domaine de compétence, en « réseautant » via les réseaux sociaux avec des médecins, car cela ne va pas assez vite dans « la vraie vie » ?
  • Utiliser les outils de marketing social pour promouvoir ses publications, scientifiques ou non et se mettre en avant ?
  • Obtenir la reconnaissance que jeune diplômé, on n’a pas encore et qui entraîne des frustrations, flatter son ego ?
  • Appât soudain pour la médecine, considérée comme héroïque dans l’esprit collectif depuis la pandémie de Covid-19 ?

Les questions sont ouvertes. S’il n’y a pas de mal à utiliser les outils de communication que sont les réseaux sociaux pour un chercheur débutant, le risque de se brûler les ailes en tentant de se réorienter hors de son domaine de compétence pourrait être un jeu bien dangereux pour sa propre carrière et image, au-delà des effets négatifs sur celle de la science et de ses valeurs.

Image d’en-tête : dessin de presse WAN, rédaction Science infuse

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