Qui était Narcisse ?
par Marguerite Johnson, Honorary Professor, The University of Queensland, Australie
Narcisse est l’un des personnages les plus connus de la mythologie grecque.
Sa beauté a traversé les millénaires : son nom désigne le genre des plantes de la famille des amaryllis, comme la jonquille [ex., Narcissus jonquilla, ndlr] et le Jonquil [fleur légendaire, NDLR] ; sa personnalité a généré le terme de « narcissisme » qui décrit un individu égocentrique ; et son histoire a inspiré des œuvres majeures d’art et de littérature.
Les origines familiales de Narcisse varient. Dans les Métamorphoses, le poète et mythographe latin Ovide le désigne comme le fils du dieu fleuve Céphise et de la nymphe Liriope.
Selon un autre auteur grec de la fin de l’époque impériale romaine, Nonnos, sa mère est la déesse de la lune, Séléné, et son père est son compagnon mortel, Endymion.
Les versions romaines du récit de Narcisse sont clairement basées sur un mythe grec beaucoup plus ancien. Il ne persiste que peu de preuves de ses origines, si ce n’est l’étymologie grecque de son nom et son lieu de naissance en Béotie, en Grèce centrale.
Châtiment divin
La version vivante et dramatique d’Ovide est la plus connue et la plus citée. Elle décrit le destin du beau jeune homme, Narcisse, tel qu’annoncé par le devin Tirésias : il vivra une vie longue et fructueuse, à condition de ne jamais se reconnaître.
Cette prédiction se réalise inévitablement lorsque Narcisse est soumis au châtiment divin pour avoir rejeté la nymphe Écho. (Dans une tradition alternative à laquelle Ovide fait également allusion, Narcisse rejette les avances d’un jeune homme, Ameinias).
Ovide raconte la répulsion de Narcisse face aux avances d’Écho et l’effet dévastateur qui en résulte pour elle-même. Affolée par le rejet agressif du beau jeune homme, Écho dépérit littéralement jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’elle que sa voix. Elle n’est dès lors plus capable que de répéter les derniers mots des phrases prononcées par d’autres personnes.
Ovide révèle qu’Écho n’est que l’un des nombreux admirateurs contrariés, dont fait partie un jeune homme qui prie pour que le châtiment divin soit appliqué à l’arrogance de Narcisse. Malheureusement pour Narcisse, la déesse du châtiment, Rhamnusia [surnom de Némésis, NDLR], s’avère plus qu’heureuse d’exaucer cette prière, concrétisant ainsi la prédiction de Tirésias.
Un jour qu’il chasse et qu’il a soif, Narcisse se penche au bord d’un étang pour boire. Soudain, il contemple son propre reflet. Narcisse est fasciné par le beau jeune homme qui le regarde à la surface de l’eau. Mais il est rejeté par l’objet de son désir, qui disparaît continuellement chaque fois qu’il est sur le point de l’atteindre.
Il tombe amoureux de quelqu’un qui ne lui rendra jamais cet amour – lui-même. Et, comme Écho, il commence à disparaître.
Un récit puissant
L’histoire de Narcisse est puissante. Elle a enseigné aux Grecs et aux Romains le pouvoir cruel et absolu des forces divines dans leur vie et la dureté de la justice qu’elles infligent aux mortels. Elle résume également une croyance antique bien connue à propos des soupçons qui pèsent sur les personnes qui sont belles.
Les anciens étaient extrêmement prudents sur les dangers potentiels de la beauté. Ils pensaient qu’elle pouvait susciter la jalousie divine et humaine et dissimuler des maux cachés sous un vernis enchanteur.
L’idée que la beauté peut nuire et blesser est au cœur de l’histoire de Narcisse, exprimant la crainte ancienne qu’un visage éblouissant ne soit pas accompagné d’un cœur bienveillant.
Image d’en-tête : John William Waterhouse, Écho et Narcisse, 1903. Wikimedia Commons
Comme les contes par centaines racontés dans les Métamorphoses, le mythe de Narcisse est un mythe de la transformation. Alors que les nymphes des eaux et des arbres préparent le bûcher funéraire pour Narcisse, on ne parvient à trouver aucun corps : Il est remplacé par une fleur aux pétales blancs entourant un centre jaune, la jonquille.
Comme de nombreuses versions des mythes d’Ovide si puissamment et si évocatrices, l’histoire de Narcisse a inspiré des artistes et des poètes, ainsi qu’évidemment les premiers psychanalystes.
Le psychanalyste autrichien Otto Rank a publié en 1911 une première étude sur le narcissisme, Une contribution au narcissisme. Sigmund Freud a suivi en 1914 avec un article intitulé Pour introduire le narcissime.
OttoRank a mis l’accent sur la vanité et la grandiosité en tant qu’aspects du narcissisme. Freud a établi un lien entre le narcissisme et les théories libidinales sur les pulsions sexuelles instinctives. Selon lui, le narcissisme n’est pas nécessairement un état humain anormal, mais un état tempéré par le fait que la libido est dirigée vers l’intérieur (vers soi-même) ou vers l’extérieur (vers les autres).
Ces incursions dans le narcissisme ou le terme de plus en plus populaire de « trouble de la personnalité narcissique » sont actuellement compris comme étant caractérisés par une fixation sur soi-même, allant jusqu’à un sentiment exagéré de son importance et une empathie limitée pour les autres.
Pour les artistes et les poètes, l’histoire de Narcisse reste peut-être moins complexe. Ils ont préféré capturer le moment charnière de son regard fixé sur lui-même, laissant au spectateur le soin de l’interpréter.
De l’Antiquité aux temps modernes, les artistes, des fresquistes pompéiens du premier siècle de notre ère au Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio, 1571-1610) et à John William Waterhouse (1849-1917), ont saisi l’issue tragique inhérente à l’obsession de son propre reflet.
Aujourd’hui, nous pouvons considérer ce mythe comme une mise en garde majeure contre notre obsession contemporaine pour les « selfies » et le phénomène d’autopromotion des réseaux sociaux.
Texte paru initialement en anglais dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction étant protégée par les droits d’auteur, cet article traduit n’est pas libre de droits. Nous autorisons la reproduction avec les crédits appropriés : « Science infuse/Citizen4Science » pour la version française avec un lien vers la présente page.
Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0324 x 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique doté d’une Rédaction avec journalistes professionnels. Nous défendons farouchement notre indépendance. Nous existons grâce à vous, lecteurs. Pour nous soutenir, faites un don ponctuel ou mensuel.