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Risque d’inégibilité de Marine Le Pen : l’action de la justice flirte-t-elle avec l’action politique ?

C’est un peu l’objet de la polémique aujourd’hui concernant le procès du Rassemblement national, le Parquet ayant demandé dans son réquisitoire une mesure d’inégibilité immédiate qui l’empêcherait de se présenter aux élections présidentielles de 2027 ; le RN vient de lancer une pétition, se considérant victime d’un complot politique

Dans cette affaire, le RN est accusé d’avoir détourné massivement des fonds publics, en lien avec des assistants parlementaires qu’il s’est adjoint au Parlement européen. Sur les bases des témoignages qui apparaissent dans le très long réquisitoire des procureurs qui a fait figure de marathon, durant toute la journée du 13 novembre, la question ne semble pas vraiment de savoir si l’infraction est caractérisée. Il s’agit plutôt d’envisager quelle peine peut être envisagée pour Marine Le Pen sans qu’il soit considéré que l’action de la justice se confonde avec l’action politique. En tout cas, c’est le débat qui fait fureur.

Faits reprochés et peines requises

De 2004 à 2016, le FN (Front national) devenu en cours RN aurait mis en place un véritable « système » au « caractère organisé et systématisé » (selon le Parquet) de ponction d’argent public au moyen de « contrats artificiels » consistant en des rémunérations d’assistants parlementaires qui en réalité, travaillaient pour le parti politique. Le montant du détournement est évalué à 4,4 millions d’euros. « L’ampleur » et « la durée » des faits ont été mis en avant, avec pour conséquence un « enrichissement personnel partisan inédit » du parti.

Au terme du réquisitoire et après un mois de procès, les procureurs ont requis 5 ans de prison dont 2 ans ferme mais « aménageables », ce qui en pratique signifie que Marine Le Pen n’irait pas en cellule, 300 000 euros d’amende, et 5 ans d’inégibilité. C’est ce dernier point qui fait polémique.

Des peines lourds ont été requises pour tous les prévenus, dont le RN lui-même avec une amende de 4,3 millions, Louis Aliot (numéro 2 du RN), Julien Odoul (porte-parole) et même la Yan Le Pen, sœur de Marine.

L’inégibilité dans la loi

L’égibilité fait partie des droits civiques, civils et de la famille avec le droit de vote, le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice, de témoigner en justice autrement que pour de simples déclarations, d’être tuteur ou curateur.
L’article 131-26 du Code pénal dispose qu’une juridiction peut retirer tout ou partie de ces droits pour une durée maximal de 5 ans en cas de délit et de 10 ans en cas de crime. La limite de 10 ans peut être dépassé lorsqu’il s’agit d’un membre du gouvernement ou autre titulaire d’une mandat électif public au moment des faits. L’interdiction de droit de vote et l’inégibilité interdisent tout exercice d’une fonction publique.

En outre, l’article 131-26-2 dresse une large liste de délits pour lesquels l’inégibilité doit être obligatoirement prononcée. Le détournement de fonds publics en fait partie.

Justiciable et présidentiable

À 56 ans, Marine Le Pen a des ambitions présidentielles affichées depuis des décennies, s’étant déjà présenté trois fois aux élections présidentielles. Aujourd’hui députée après le résultat impressionnant du RN aux dernières législatives, avec 11 millions de voix, chacun se doute qu’elle espère enfin réussir à la Présidentielle de 2027. Pour les actes commis, il n’est pour autant pas question d’invoquer la moindre immunité de la femme politique, qui reste une justiciable. La question aujourd’hui n’est pas vraiment celle-là, la justice va juger l’affaire et définir amendes pécuniaires et peines de prison a minima avec sursis.

Réactions

Marine Le Pen s’est exprimée tant dans les couloirs du tribunal de Paris pendant l’audience, alors qu’elle sortait plusieurs fois pour téléphoner dans un contexte d’hospitalisation de son père, Jean-Marie Le Pen, 96 ans, qu’à la sortie de l’audience, et à la sortie de l’audience, elle affirme que le réquisitoire est de « l’outrance » et n’a d’autre objectif que de « ruiner le parti ».

Jordan Bardella, président du RN surenchérit sur X : « Le parquet n’est pas dans la justice: il est dans l’acharnement et la vengeance à l’égard de Marine Le Pen. Ses réquisitions scandaleuses visent à priver des millions de Français de leur vote en 2027. C’est une atteinte à la démocratie. Tout mon soutien Marine. »

Gérald Darmanin voit dans la réquisition d’inégibilité une instrumentalisation politique de la justice, en déclarant sur X : »Il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du Peuple. N’ayons pas peur de la démocratie et évitons de creuser, encore plus, la différence entre les « élites » et l’immense majorité de nos concitoyens.« 

Ceux qui se félicitent des réquisitoires et peines prévues quant à eux se félicitent de l’application de la loi indépendamment de qui la subit et ici de ses ambitions politiques. Certains internautes n’ont pas hésité à ressortir un passage télévisé de Marine Le Pen où elle s’indigne des politiques qui détournent l’argent des Français :

Pétition

Le Rassemblement national a lancé hier une pétition le 13 novembre au soir en soutien à Marine Le Pen : « Défendez la démocratie, soutenez Marine ! »
Elle précise : « Ce mercredi 13 novembre, au Tribunal judiciaire de Paris, les procureurs ont requis des peines inouïes, dans l’affaire dite “des assistants parlementaires” contre Marine Le Pen et les cadres de notre mouvement, sans nuance ni prise en compte des réalités de la vie parlementaire. Comme si le procès n’avait jamais eu lieu, le parquet a poursuivi une logique implacable : tous coupables. Il s’agit d’un coup direct porté à la liberté d’action et de parole d’un mouvement politique pourtant légitimé par des millions de Français. Ces réquisitions sont une ingérence manifeste dans l’organisation de la vie parlementaire, au mépris de la séparation des pouvoirs. Le parquet semble remettre en question des pratiques politiques parfaitement légitimes, comme si un député n’avait pas le droit de demander à ses collaborateurs de travailler en coordination avec les autres députés de son parti. Ces attaques visent uniquement à discréditer Marine Le Pen et à affaiblir le Rassemblement National, contournant ainsi la volonté démocratique des millions de Français. C’est une tentative d’éliminer la voix de la véritable opposition. »

Ce matin, Jordan Bardella se félicitait d’avoir obtenu « 100 000 signatures en quelques heures« .

Intervention télévisée de Marine Le Pen

Marine Le Pen est invitée au journal de 20h de TF1 le 15 novembre. Elle déclare que « c’est la mort politique qui est réclamée, parlant d’une « condamnation politique avec exécution provisoire ». À ce titre, elle évoque « une opération lancée par un socialiste » du Parlement européen « en accord avec Mme Taubira ministre de la justice à l’époque ».

Durée d’inégibilité enjeu crucial

On l’a vu, la loi prévoir une obligation d’inégibilité pour les faits reprochés au RN et Marine Le Pen. Oui, mais ce qui va compter, c’est la durée de cette inégibilité, au regard de l’enjeu de la présidentielle 2027, prévue à ce jour en avril. Le Parquet réclame 5 ans d’inégibilité ce qui empêcherait Marine Le Pen de se présenter à la présidentielle. La durée de cette inégibilité obligatoire selon la loi semble l’enjeu : un à 3 ou 4 mois ne l’empêcherait a priori pas de se présenter, au-delà, c’est effectivement la condamner à se retirer au moins pour autant de la vie politique. F

La défense plaidera à son tour le 18 novembre, pour une fin de procès le 27 novembre.

Image d’en-tête : capture d’écran France 2 – Marine Le Pen s’exprimant à la sortie du tribunal de Paris le 13/11/2024 au soir

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