Thon en conserve à la cantine scolaire banni dans plusieurs villes : le risque sanitaire du mercure
Plusieurs maires en France ont suspendu le thon en conserve des menus scolaires suite à une enquête révélant des niveaux élevés de mercure. Faits scientifiques, réglementations, impact de cette mesure et analyse des oppositions sont au menu de notre article
Le contexte de la décision des villes françaises
En septembre 2025, au moins douze villes et agglomérations françaises incluant Paris, Lyon, Montpellier, Grenoble, Lille, Rennes, Bègles, Marseille et Nice, communes regroupant environ 4 millions d’habitants ont suspendu le thon en conserve dans leurs cantines scolaires. Cette décision fait suite à une enquête d’octobre 2024 par les ONG Bloom et Foodwatch, qui ont analysé 148 boîtes de thon en conserve de cinq pays européens (France, Espagne, Italie, Allemagne, Royaume-Uni). Les résultats montrent que tous les échantillons contenaient du mercure à la concentration moyenne de 0,56 mg/kg et des pics à 3,9 mg/kg.
Les maires, préoccupés par la santé des enfants, ont agi pour limiter l’exposition au mercure qui est neurotoxique, dans l’attente d’une révision des normes européennes qui accordent une dérogation au thon par rapport à d’autres poissons. Cette mesure cible exclusivement le thon en conserve, préservant les autres produits de la mer dans les menus scolaires.
Le problème avec le mercure et sa présence dans le thon
Le mercure, un métal lourd, provient de sources naturelles (éruptions volcaniques) et humaines (industries, mines, combustion fossile). Dans les océans, il se transforme en méthylmercure, une forme toxique qui s’accumule dans les poissons via la bioaccumulation. Ce processus concentre le mercure des micro-organismes aux prédateurs comme le thon, amplifié par la biomagnification à chaque niveau trophique.
Il est à noter que les espèces de thon diffèrent sensiblement au titre de l’accumulation de mercure dans leur organisme. Le thon albacore (Thunnus alalunga), ou « thon blanc », vit 10 à 15 ans dans les eaux tempérées, accumulant 0,3 à 0,5 mg/kg de mercure dans sa chair fraîche. Un point important pour notre sujet : ce mercure peut dépasser 1 mg/kg lorsqu’il est en conserve. Le thon listao (Katsuwonus pelamis), ou « thon léger », à croissance rapide (5 ans), présente des concentration de mercure de 0,1 à 0,3 mg/kg. Le « thon obèse » (Thunnus obesus) et le thon rouge (Thunnus thynnus), moins courants en conserve, présentent des concentrations élevées.
Ce qui nous intéresse pour notre sujet, c’est que les conserves, qui représentant 80 % de la consommation européenne de thon, c’est la plus grande partie, contiennent du thon dont la concentration en mercure est nettement plus élevée en raison de la perte d’eau occasionnée lors de la cuisson industrielle (déshydratation).
Le méthylmercure est neurotoxique. Il traverse la barrière hémato-encéphalique et pertube le développement neurologique des enfants, avec des effets sur la mémoire, l’attention et la motricité fine. Chez les adultes, il augmente les risques cardiovasculaires et rénaux. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) fixe une ingestion hebdomadaire tolérable (IHT) de 1,3 µg de méthylmercure par kg de poids corporel, sur la base d’études menées dans les îles Seychelles et Féroé. Les enfants, en raison de leur faible poids et de leur développement en cours, sont une population particulièrement vulnérable pour cette toxicité.
Consommation de thon dans les cantines scolaires
Les données sur la consommation de thon en cantine scolaire sont limitées. France AgriMer (2023) estime la consommation moyenne de thon en France à 4,9 kg par an (poids vif), soit 2,5 kg en conserve, mais cela inclut tous les contextes. Dans les cantines, le thon est servi environ une à deux fois par mois, en portions de 50 à 100 g (salades, plats chauds). Une étude de l’Association des maires de France (2024) indique que les cantines proposent 1 à 2 repas de poisson par semaine, le thon étant privilégié pour son coût et sa praticité 9. Une portion de 100 g à 0,56 mg/kg (moyenne de l’enquête) représente 0,056 mg de mercure, proche de l’IHT pour un enfant de 20 kg (0,026 mg/semaine). Une consommation bimensuelle peut donc poser un risque cumulatif, justifiant la vigilance des maires, bien que des données plus précises sur les fréquences et portions par âge soient nécessaires.
Les réglementations européennes et internationales
Le règlement (UE) 2023/915 fixe une limite maximale de résidus (LMR) de 1 mg/kg pour le mercure dans le thon frais et autres grands prédateurs (espadon, requin), contre 0,3 mg/kg pour les poissons plus petits (sardine, maquereau). Cette dérogation, datant des années 1990, vise à maintenir la commercialisation du thon, dont 95 % des captures dépasseraient une limite plus stricte. Cependant, les conserves, où le mercure peut atteindre 2,7 mg/kg en moyenne, ne sont pas spécifiquement réglementées. Les ONG plaident pour une harmonisation à 0,3 mg/kg, soutenue par une question parlementaire européenne de décembre 2024.
Aux États-Unis, la FDA recommande 2 à 3 portions (113-170 g) par semaine de thon listao pour les enfants, et d’éviter le thon albacore. Au Canada, Santé Canada fixe une LMR de 0,5 mg/kg pour le thon albacore en conserve, avec une recommandation de 75 g/semaine pour les enfants. En Australie, le FSANZ s’aligne sur 1 mg/kg, avec des avertissements pour les groupes vulnérables comme les enfants. Au Royaume-Uni, les normes suivent l’UE, mais des crèches comme Acorns Nurseries ont banni le thon en conserve en novembre 2024. Aucune interdiction scolaire nationale n’existe apparemment ailleurs, même si les ONG internationales appellent à des seuils plus stricts.
Qui critique la mesure des maires et sur quelles bases ?
L’enquête de Bloom et Foodwatch et les récentes interdictions de maires français ont suscité des critiques, notamment, on s’en doute de la filière industrielle concernée qui bénéficie de normes européennes « adoucies » pour le thon, non pas sur des bases scientifiques pour mais pour préserver leur marché. Ainsi, la Fédération des industries d’aliments conservés (FIAC), citée par France Bleu en octobre 2024, qualifie le rapport de « partial » et « alarmiste », arguant que la moyenne de 0,56 mg/kg respecte la norme européenne de 1 mg/kg et que leurs contrôles montrent des niveaux inférieurs
D’autres, médias ou militants, dénoncent une mesure basée sur un alarmisme excessif. Le ministère de l’Agriculture lui-même vient de nier, en date du 29 août 2025 toute « défaillance sanitaire ».
Sur le fond, les arguments des militants critiquant l’action des maires manquent de pertinence. Il s’agit de rappeler la limite fixée en Europe pour le thon qui ne vise qu’à protéger l’industrie, ou d’arguments hors-sujet, comme l’évocation d’un principe de précaution dévoyé. En effet, les maires ciblent uniquement le thon en conserve, s’appuyant sur des données scientifiques établies, et n’étendent pas la mesure à d’autres poissons par précaution. De même, l’argument selon lequel les niveaux de mercure sont stables depuis des décennies, relevé par une étude américaine citée par Portail-IE, indique une pollution chronique et non une absence de problème, renforçant plutôt la nécessité de protéger les enfants.
Le véritable défi réside dans la concentration accrue de mercure dans les produits en conserve (jusqu’à 2,7 mg/kg) par rapport aux normes applicables au poisson frais, et dans le manque de données précises sur la consommation des enfants.
Quel impact de la mesure des maires sur les enfants français ?
Cette mesure protège une fraction notable mais limitée des enfants scolarisés. Les villes concernées regroupent environ 443 000 élèves, soit 3,7 % des 12 millions d’élèves français (maternelle à lycée) ou 6,6 % des 6,7 millions d’élèves de maternelle et primaire, principaux usagers des cantines. Paris (180 000 élèves), Marseille (80 000), Lyon (50 000) et les autres villes représentent une couverture significative dans les grandes agglomérations, mais la majorité des enfants, notamment en zones rurales, continueront de consommer du thon en cantine. Certaines écoles privées ou cantines indépendantes pourraient ne pas appliquer la mesure, réduisant légèrement l’impact.
Risque réel, amorce d’un mouvement ?
Le mercure dans le thon en conserve semble bien représenter un risque sanitaire réel pour les enfants en cas de consommation régulière, ce qui est le cas dans les cantines scolaires, justifiant la suspension sur la base d’arguments solides . Ces mesures, fondées sur des données scientifiques, soulignent les limites des normes actuelles, inadaptées aux conserves d’une part, et objet d’exceptions non basées sur la science et la santé dans un but économique de protection d’une industrie. Bien que critiqués, les maires concernés s’engagent à protéger ensemble du risque neurotoxique du mercure dans le thon en conserve environ 6,6 % des enfants en maternelle et primaire, soit 443 000 élèves, principalement dans les grandes villes. Ce n’est peut-être qu’un début : d’autres collectivités pourraient suivre, et la pression pour harmoniser les normes européennes s’intensifie.
Promouvoir des alternatives comme le thon listao ou des poissons moins contaminés (sardine, maquereau) permettrait de préserver les bénéfices nutritionnels tout en réduisant les risques. Une action globale, via la Convention de Minamata, reste cruciale pour limiter la pollution mercurielle.
Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused
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