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Une histoire de possession démoniaque et d’exorcisme dans la Nouvelle-France du XVIIe siècle : Peut-on savoir ce qui s’est réellement passé ?

par Mairi Cowan, Associate Professor, Department of Historical Studies and Institute for the Study of University Pedagogy, University of Toronto Mississauga, University of Toronto, Canada

Note de la rédaction sur une idée reçue : les idées suicidaires, cela se prend en charge exclusivement par des professionnels de santé. L’un d’eux vous explique que non, et pourquoi cela peut sauver des vies d’en prendre conscience et d’agir Les proches peuvent agir et c’est clé. Guide très pratique

Au cours de l’automne 1660, les colons de Québec et des environs ont commencé à signaler des phénomènes très étranges.
Dans le ciel, ils ont vu un homme enveloppé de flammes et un canoë de feu. Dans les airs, ils ont entendu des cris de lamentation et une voix horrible voix qui tonnait. Une domestique adolescente a dit qu’elle avait été terrifiée par des démons.
Les personnes qui tentaient de chasser les esprits malveillants ont décrit une musique fantasmatique ainsi que des pierres qui se détachaient des murs et volaient toutes seules. La servante a accusé un meunier de sorcellerie. Après avoir montré des signes de possession démoniaque, cette servante a été amenée à l’hôpital où elle a été soignée par des religieuses. Le meunier a été emprisonné et plus tard exécuté.

Lorsque les gens apprennent que mes recherches portent sur ces histoires d’infestation démoniaque, ils demandent souvent : Mais que s’est-il réellement passé ?

Ma première réponse est simple : Je ne sais pas vraiment. Ma réponse suivante est mieux : Que nous croyions ou non à ces histoires de prime abord, nous pouvons en apprendre davantage sur les personnes qui les ont racontées en se posant des questions ayant trait à l’histoire.

Les rapports sur des phénomènes supposés surnaturels fournissent des informations précieuses sur les sociétés du passé et sur notre propre époque.

Raisonnement et sources historiques

En tant qu’historienne, je reste « professionnellement agnostique » sur les questions auxquelles on ne peut répondre en utilisant le raisonnement et les archives historiques : J’accepte que certaines choses ne puissent tout simplement pas être expliquées complètement avec les preuves auxquelles j’ai accès.

Mais un respect avisé des limites de nos connaissances ne signifie pas que nous ne pouvons rien savoir du tout.

Les investigations historiques sont un exercice qui consiste à essayer de comprendre le passé du mieux que nous pouvons à partir des preuves qui subsistent. Comme les historiens l’ont montré avec les études sur la sorcellerie, les démons et la possession démoniaque, les rapports sur des phénomènes supposés surnaturels fournissent des informations précieuses sur les sociétés du passé et sur notre propre époque.

La vie quotidienne de gens ordinaires

Les pauvres et les personnes humbles sont tout aussi dignes de notre attention que les riches et les personnes célèbres. Les « histoires ordinaires » peuvent toutefois être difficiles à rechercher, en l’absence de sources écrites par ou sur des gens ordinaires.

Barbe Hallay, la servante souffrant de tourments démoniaques en Nouvelle-France, ne savait ni lire ni écrire. La seule chose que nous avons de sa main est la  » marque  » (un signe qu’elle a laissé à la place de sa signature) sur son contrat de mariage.

L’inquiétude des gens face à la possession démoniaque a généré des documents qui nous permettent d’en savoir plus sur sa vie, avec des aperçus de ses expériences en tant que servante dans un manoir et en tant que patiente dans un hôpital.

Grâce à l’approche de la microhistoire [ressource supplémentaire français, ndlr], qui consiste à examiner de près un petit objet d’étude afin de répondre à de grandes questions, nous pouvons explorer le sens profond et la signification plus large de ses actions et de celles de ceux qui l’entourent.
Comment les colons de la Nouvelle-France prenaient-ils leurs décisions ? Leurs pensées et leurs actes étaient façonnés par l’environnement, ainsi que par les idéologies du colonialisme, de la classe sociale, du sexe et de la religion.
En étudiant la façon dont ces forces ont influencé les gens dans le passé, nous comprenons mieux comment nous sommes nous aussi soumis à des forces que nous ne contrôlons pas, ou même que nous ne percevons pas.

Les documents historiques nous permettent parfois d’avoir un aperçu de la vie quotidienne de personnes dont les expériences n’auraient pas été enregistrées autrement.

Voir au-delà des apparences

Les détails de la vie ordinaire apparaissent presque par hasard dans les comptes rendus d’événements extraordinaires. Nous pouvons également examiner ces événements eux-mêmes pour étudier les croyances et les hypothèses sous-jacentes d’une société.

Marie Regnouard était la seigneuresse (une femme à la tête d’une seigneurie) du domaine où travaillait Hallay. Elle a laissé un récit remarquable de ses efforts pour mettre fin aux tourments démoniaques en utilisant un os de côte d’un prêtre jésuite récemment décédé. Ce récit qualifie ses actions de « délivrance », de « soulagement » et de « guérison ».
Ces mots évoquent des soins de santé, mais la procédure elle-même ressemble à un rituel que Marie Regnouard, en tant que femme laïque, ne serait pas censée accomplir : un exorcisme.
L’exorcisme, bien que controversé, est également devenu plus courant dans certaines églises chrétiennes. L’exorcisme peut entraîner de réels dommages. Dans certains cas, il peut constituer une infraction pénale.

L’examen des récits historiques nous incite à prêter attention
non seulement au nom des choses, mais aussi à leur signification.

Les exorcismes étaient également controversés dans le passé. Les gens s’efforçaient de discerner les véritables causes des comportements perturbateurs et ne s’accordaient pas sur la question de savoir qui était qualifié pour décider.
Pour les premiers modernes, l’exorcisme avait d’autres fonctions que de libérer quelqu’un d’une présence maléfique. Il démontrait le pouvoir de l’exorciste et du système spirituel qu’il représentait.
Pourquoi Marie Regnouard a-t-elle accompli un rituel qui n’avait d’exorcisme que le nom ? Elle a démontré qu’elle s’acquittait de son devoir de prendre soin des membres de sa famille (une responsabilité largement reconnue par son entourage) et qu’elle avait l’autorité de faire appel à des connaissances médicales et religieuses (des domaines qui étaient contestés, surtout pour les femmes).

En regardant au-delà des étiquettes du récit de Marie Regnouard et des actions qu’elle a réalisées, nous nous rappelons qu’il faut prêter attention non seulement au nom des choses, mais aussi à leur signification.

Nos démons, nous-mêmes

Nous pouvons étudier ce qui nous effraie pour en apprendre davantage sur nous-mêmes. Tout comme la popularité des films d’horreur aujourd’hui est probablement un symptôme de notre agitation culturelle, les peurs historiques sont des signes d’angoisses passées.

Les dirigeants français avaient prévu que la Nouvelle-France devienne une société parfaite. Avec la fondation de la Compagnie de Nouvelle-France en 1627, le roi et le cardinal Richelieu ont écrit que la Nouvelle-France, avec l’aide divine et l’exemple de bon comportement des colons, amènerait les gens à la connaissance du vrai Dieu. Quelques années plus tard, selon les mots du prêtre jésuite Paul Le Jeune, elle devait être « une nouvelle Jérusalem bénie de Dieu, composée de citoyens destinés au ciel. »

La cité de Québec et ses environs en 1691, dans ‘Mémoires de l’Amérique septentrionale,’ Baron de Lahontan, 1728. BiblioArchives

Puis les colons se sont rendu compte que les peuples autochtones ne s’assimileraient pas simplement aux normes françaises comme certains, en France, l’avaient présumé avec arrogance, et que les migrants transatlantiques devaient faire des compromis entre leurs croyances et leurs pratiques traditionnelles et leur nouvel environnement. Ils étaient isolés pendant une grande partie de l’année et vulnérables aux attaques des autres puissances impériales et des nations autochtones qui n’étaient pas alliées des Français.

La Nouvelle-France est précaire, et les colons le savent. Ils ne savent pas exactement si ou quand le coup de grâce va tomber. Une telle incertitude peut conduire à une profonde anxiété.

Qu’exprimaient les colons à travers leurs craintes d’une infestation démoniaque ? Probablement beaucoup de choses, avec un noyau d’insécurité dans le projet colonial et d’anxiété quant à l’avenir inconnaissable de la Nouvelle-France. En étudiant leurs craintes du royaume surnaturel, nous pouvons également en apprendre davantage sur le monde plus tangible qui les entourait.

Pour aller plus loin

Image d’en-tête : extrait de la couverture du livre « Thinking with Demons » de Stuart Clark

Texte paru initialement en anglais dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction étant protégée par les droits d’auteur, ce article traduit n’est pas libre de droits. Nous autorisons la reproduction avec les crédits appropriés : « Citizen4Science/Science infuse » pour la version française avec un lien vers la présente page.

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