‘Vulnérables’ à la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière
L’hôpital effraye : il nous renvoie, tous, à notre rapport intime et direct à la maladie et à la mort, à ce qui subsiste en permanence en nous, même au sein des fêtes les plus folles et des plaisirs les plus intenses, de vulnérabilité. Du latin vulnus, vulnéris, la blessure, donc ce qui est, tout le temps, susceptible d’être blessé.
Et que dire de ceux qui, en plus, ne souffraient pas d’un mal physique mais de ce type de mal que l’on mit des siècles à reconnaître « mental ». Combien de centaines de milliers furent-ils, enfermés au XVIIè, libérés des chaînes au XVIIIè puis hystérisés au XIXè, parce qu’ils étaient dits « anormaux, étranges, différents, inférieurs, asociaux, spéciaux, fous, cinglés, frappés, etc. » ?
Telle est cette exposition, dont on doit l’existence au labeur du professeur David Cohen, chef de service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, lui-même artiste plasticien ; cette exposition qui nous rappelle quatre siècles de vulnérabilité, et le lent passage de la prison-hôpital à l’hôpital de pointe ; cette exposition qui rend hommage et honneur à tous les vulnérables de la société, hommes et femmes de la folie, êtres humains de l’étrange, personnes à part et dont on ne savait que dire. Ces êtres fragiles que la société s’avérait incapable d’accueillir furent casés, retenus, enfermés, dans les hôpitaux-hospices-asiles-casernes, avec la bénédiction de l’Église. Pour survivre, ces rejetés dessinaient, peignaient, tissaient, fabriquaient, inventaient, se tatouaient, se scarifiaient, s’immolaient, se racontaient leurs histoires, s’exprimaient. Telle est cette exposition : ce que disaient ceux qui n’avaient pas droit à la parole.
« Ainsi, 29 artistes internationaux nous proposent d’explorer les vulnérabilités médicales dans leurs diversités : du malade mental, au mourant, à l’insuffisant respiratoire, à la femme enceinte, au thérapeute et au soignant impuissant. » Et ce dans un lieu étrange, d’une architecture tout à la fois grandiose et intimidante : la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière.
L’ensemble est placé, dès le départ, sous les auspices de Bernard Buffet, avec deux de ses immenses toiles de la série Roman burlesque. Buffet qui, très tôt, rendit hommage aux productions artistiques des rejetés de l’art officiel pour lesquels il inventa une appellation « art brut ».

Puis se succèdent, dans les espaces encore en partie sacrés, les interventions tout à la fois impressionnantes et sensibles. Celle de Samuel Bianchini (Respiration) avec cet étrange poitrail métallique brillant qui respire sa vie et fait battre son coeur, telle une présence fantômatique faisant écho à celle du visiteur. Tout aussi interactif, dans la Chapelle de la vierge, les Exorcismes 1 à 8 (installation de Liz Magic Laser) : 8 miroirs double-face animés qui permettent la superposition du public et des corps palpitants des praticiens somatiques enseignant les mouvements de secousses pour guérir l’esprit et le corps. Et cette danse convulsive n’est pas sans évoquer les hystériques de Charcot. Lequel Charcot (1825-1893) pratiquait et enseignait à la Salpêtrière, et amena un indéniable progrès dans la prise en charge des malades mentaux. On se souvient que Freud lui-même vint assister à ses cours lors de son passage à Paris.

Beaucoup d’oeuvres sont de grandes dimensions, et tout aussi ludiques qu’esthétiques : c’est le cas des Spoutniks d’André Robillard et Alexis Forestier.

Ou bien de la série des fusils et kalachnikovs colorés d’André Robillard, inventés pour « tuer la misère ».

Dans le le Choeur, Francine Saillant, elle, reprend et sublime de couleurs vives les portraits photographiques des « folles », qui furent, jadis, résidentes de ces lieux. Michel Nedjar crée de grandes poupées tout à la fois hideuses et charmantes à l’aide de matériaux récupérés , qu’il intitule Chairdâmes.

Et Tomasz Machcinski invente, bien avant les réseaux sociaux, bien avant les appareils numériques, le principe même des Selfies (photographies argentiques noir et blanc, tirages uniques sur papier baryté) : il y apparaît, et là aussi bien avant tout le monde, tantôt homme, tantôt femme, tantôt démon, tantôt ange, en tout cas prince de la métamorphose.
Et, à chaque fois, une intelligente scénographie met en valeur tout à la fois l’installation et son décor, l’oeuvre et le lieu, la création moderne et l’architecture religieuse. Dans la chapelle du bon Pasteur, les céramiques de Shinichi Sawada, artiste et boulanger, semblent résider dans ce décor de pierre et de bois.

De même les deux installations géantes de David Cohen lui-même, soignant et artiste, paraissent utiliser les statues et les toiles religieuses comme complément idéal de son ambition.

Une exposition tout à la fois puissante et émouvante qui nous rappelle un passé thérapeutique peu glorieux mais permet aujourd’hui de sceller une sorte de réconciliation avec tous ceux dont personne, jadis, ne voulait.

Illustration d’en-tête : ‘Créatures’, œuvre de Shinichi Sawada, exposé à l’exposition Vulnérables
Photos : Alain Girodet copyright septembre 2025
Du 24 juin au 21 septembre 2025
Chapelle Saint-Louise, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris
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