Affaire Lobé – Durand : quand une bulle de militants « pro-science » alimente les excès en ligne
L’affaire Lobé-Durand : Quand une bulle pro-science alimente des excès en ligne
La confirmation en appel de la condamnation de Thomas C. Durand par la Cour d’appel de Montpellier le 29 juillet 2025 pour injure publique envers Annie Lobé met en lumière les dérives des militants sur les réseaux sociaux. Cet article d’analyse explore comment une bulle informationnelle »pro-science », amplifiée par les réseaux sociaux, a transformé un militantisme rationnel en rhétorique litigieuse, reproduisant paradoxalement les dynamiques de croyance et de stigmatisation que ces militants dénoncent.
Il y a quelques jours, la Cour d’appel de Montpellier a confirmé la condamnation de Thomas C. Durand, animateur de la chaîne YouTube La Tronche en Biais et figure du militantisme de réseaux sociaux « pro-science » et « esprit critique », ou à retirer des vidéos injurieuses, à 1 000 € d’amende plus 500 € de dommages-intérêts au profit d’Annie Lobé, pour injure publique. Cette décision fait suite à des publications sur YouTube et X (anciennement Twitter) entre le 30 janvier et le 31 janvier 2023, où Durand avait qualifié le travail d’Annie Lobé, militante elle-même pour alerter sur les risques des ondes électromagnétiques, de « merde » de façon répétée. Toutefois, les attaques publiques de Thomas Durand à l’encontre d’Annie Lobé avaient commencé dès 2019.
Dans un post sur X daté du 31 juillet 2025, Durand a déclaré : « La cour d’appel de Montpellier a considéré que dire que le travail d’une personne est ‘de la merde’ est une injure publique. Cela brouille la distinction entre critiquer un discours et attaquer une personne ».
Cette affaire révèle les conséquences d’une dynamique inquiétante, dans ce cas précis en lien avec la relaxe en 2024 d’un médecin urgentiste, le Dr Mathias Wargon, qui, mal interprétée, semble avoir encouragé des excès verbaux, amplifiés par une bulle informationnelle « pro-science » sur X. Tentons d’examiner cette dérive, qui va de l’astroturfing à la méconnaissance juridique et l’emballement de groupe en ligne, en s’appuyant factuellement sur le jugement récent.
Contexte : faits et dynamique de la bulle « pro-science » de réseaux sociaux
L’affaire prend racine dans des publications de Thomas Durand critiquant les travaux d’Annie Lobé, qui entreprend d’alerte sur les impacts des ondes électromagnétiques de radiofréquences (5G, Wi-Fi, Linky,…) en s’appuyant sur des études scientifiques, comme celle du CIRC (Centre intermational de recherche sur le cancer) de l’OMS les classant en 2011 comme potentiellement cancérogènes, ainsi qu’ un jugement de Bordeaux (2023) ordonnant des filtres pour les compteurs Linky.
Soyons bien clair : notre sujet ici n’est pas de dire qui à tort ou raison en matière de science, mais de la façon de mener publiquement des combats sur les réseaux sociaux et de la dynamique délétère de certains groupes militants qui s’engouffrent facilement dans ce qu’ils dénoncent.
Sur la question scientifique soulevé par Annie Lobé, Thomas Durand, fort de ses 300 000 abonnés sur La Tronche en Biais, a opté pour une disqualification brutale de sa cible, qualifiant son travail de « merde ». Cette rhétorique semble s’inscrire comme la réaction d’une bulle informationnelle « pro-science », à la relaxe de Mathias Wargon en juillet 2024. Acquitté par le tribunal de Paris après avoir déclaré sur BFMTV que « France Soir fait de la merde » en réponse à une tribune menaçante du blog visé, le médecin, attaqué par le directeur du blog Xavier Azalbert présent sur le plateau de BFMTV a bénéficié d’une interprétation contextuelle de la liberté d’expression, à savoir qu’il s’agissait d’une opinion à caractère général ne visant pas explicitement une personne. Cette décision, à l’évidence mal comprise, a alimenté le hashtag #francesoirfaitdelamerde qu’ils ont créé et relayé par leur bulle formée par ces militants « pro-science » ; on y trouve les comptes @Acermendax et @TroncheEnBiais de Thomas Durand parmi de nombreux autres, suggérant une campagne d’astroturfing. L’analyse du hashtag #francesoirfaitdelamerde sur X montre en effet une mobilisation coordonnée post-relaxe sur le réseau X. Ainsi, @Acermendax a écrit le 18 juin 2024 : « #francesoirfaitdelamerde : la justice remet les pendules à l’heure ! » ; il a ajouté via la @TroncheEnBiais le 19 juin 2024 : « Une victoire pour la science contre les fake news ! #francesoirfaitdelamerde ». Un autre post de @Acermendax du 20 juin 2024 affirme : « Quand on dit que France Soir fait de la merde, c’est factuel, pas une insulte ». Ces posts semblent révélateurs d’une interprétation du jugement de relaxe, jugement ne justifie en aucun cas la relaxe par un caractère factuel (donc associé à la science) du propos du relaxé, ni n’ouvre la voie à la généralisation desdits propos. Cette dynamique, amplifiée par les algorithmes de X favorisant les contenus polarisants a certainement isolé les militants « pro-science » dans cette croyance, les convainquant que de tels propos étaient légitimes et surtout sans risque juridique.
Analyse du Jugement
Le jugement rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 29 juillet 2025confirme la décision du Tribunal correctionnel de Perpignan du 7 novembre 2024 dans l’affaire opposant M. Thomas Durand à Mme Annie Lobé. La Cour a retenu des publications sur internet (YouTube et Twitter) contenant des propos jugés injurieux envers Mme Lobé fin janvier 2023. Ces derniers, contraires aux articles 33 et 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ainsi qu’aux articles 485 et 512 du code de procédure pénale, ont valu à M. Durand une amende de 1 000 euros et une indemnisation de 500 euros au profit de Mme Lobé.
La qualification juridique d’injure publique est claire : elle distingue la critique d’idées des attaques personnelles, la liberté d’expression cédant lorsque l’honneur ou la considération d’une personne est atteinte. La Cour a rejeté les arguments de M. Durand sur une prétendue prescription ou méconnaissance des faits, estimant que les publications visaient directement Mme Lobé et non seulement ses idées.
Cependant, M. Durand rejette catégoriquement cette qualification, arguant dans un post sur X du 1er août 2025 que sa condamnation limite sa liberté d’expression et constitue une « procédure bâillon ». Il envisage un pourvoi en cassation, affirmant : « Je vais me pourvoir en cassation pour défendre le droit à critiquer un discours sans être accusé d’injure ». Cette résistance nous semble illustrer un phénomène de bulle, où des croyances et un travail d’auto-conviction, renforcées par un groupe partageant évidemment les mêmes vues et opinions, amènent à méconnaître les limites légales. La rhétorique, empreinte de posture victimaire, est un révélateur d’une certaine déconnexion des cadres juridiques, amplifiée par l’isolement intellectuel d’une communauté vivant dans sa bulle informationnelle. Dans ses commentaires post-jugement, M. Durand adopte une posture défensive, publiant sur X le 1er août 2025 : « Cet arrêt entérine la mort de la nuance entre critiquer un discours et injurier publiquement son auteur. Je vais contester, notamment au nom de votre droit de dire, si ça vous chante, que mon propre travail, c’est de la merde ». Cette rhétorique pourrait trahir une mécompréhension du droit : l’injure publique, punissable jusqu’à 22 500 € selon la loi de 1972 sur les discours haineux, ne protège pas les attaques personnelles sous couvert de critique. Le refus de la distinction juridique, couplé à une auto-conviction alimentée par la bulle évoquée, est de nature à entretenir une dynamique de groupe où l’approbation mutuelle prime sur la rigueur légale. La liberté d’expression a ses limites, même quand il s’agit de défendre la science, avions-nous déjà souligné dans ces colonnes.
Vers un Dialogue raisonné, pour la science ?
L’affaire Lobé-Durand illustre comment une bulle informationnelle étanche de militants « pro-science » , amplifiée par les algorithmes de X et une campagne d’astroturfing autour d’un hashtag a conduit à reproduire des propos violents faussement vus par leurs auteurs comme inattaquables. Ils ont au final été jugés illégaux.
En reproduisant les dynamiques de croyance et de stigmatisation qu’ils dénoncent, ces militants contredisent leurs idéaux de rationalité. Le combat pro-science sur les réseaux sociaux pourrait utilement s’inspirer de principes comme « Books not guns. Culture, not violence », qui privilégie la diffusion du savoir par l’éducation et le dialogue culturel, plutôt que la confrontation agressive. C’est évidemment moins vendeur que l’outrance, car la recherche de buzz reste moteur sur les réseaux sociaux. La bulle informationnelle en question, constituée de militants entraînés algorithmiquement à s’enfermer dans leurs propres croyances, n’aide pas.
Ce cas appelle à un dialogue nuancé, où la science éclaire sans diviser. Les plateformes comme X pourraient y contribuer en modérant les campagnes coordonnées (astroturfing) et en favorisant des échanges équilibrés plutôt qu’en donnant une prime à la polarisation et à la surenchère.
Mise à jour : 20/09/2025 : corrections sur la confirmation de la condamnation par la Cour d’appel et précisions de dates.
Illustration d’en-tête : source Kaboompics.com
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