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Collectif No FakeMed : du rempart anti-pseudoscience à la table des négociations avec l’ennemie

Il était né pour chasser sans compromis les pratiques en santé non éprouvées par la science. Quelques années plus tard, il lui offre un pont d’or. Tentons d’analyser l’étonnant virage.

C’est l’histoire d’une initiative collective sur le papier très honorable qui n’a pas résisté aux sirènes du buzz et de la politique, comme beaucoup de celles tombées dans les rets des réseaux sociaux et de la proximité avec les gouvernements. Celle-ci a cela de remarquable qu’elle a fini par aider ses ennemis déclarés à se promouvoir. Il nous faut l’exposer en préambule : ici l’on ne s’intéresse pas à une association somme toute confidentielle , mais à un mécanisme, à savoir comment selon notre analyse, politique, populisme, corporatisme et militantisme peuvent broyer des projets au point d’entraver leur propres objectifs.

Origine et corporatisme élitiste

Le collectif No FakeMed voit le jour en mars 2018 après une tribune retentissante dans Le Figaro signée par 124 personnes dont des professionnels de santé exigeant le déremboursement de l’homéopathie. Très vite soit quelques mois plus tard, il se structure en association loi 1901 dont l’objet est la « promotion de la médecine, des soins et des thérapeutiques, fondées sur les preuves scientifiques ; soutien et défense de ceux qui assurent cette promotion ; information des professionnels et du public sur la médecine, des soins, et des thérapeutiques, fondées sur les preuves scientifiques ; lutte active contre les pratiques de soins non scientifiques, déviantes, délétères, aliénantes ou sectaires« .
Ses statuts sont particulièrement verrouillés, à la saveur corporatiste sinon élitiste : seuls les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, sages-femmes et dentistes selon le Code de la santé publique) en exercice ont le droit de vote (« collège votants »). Les autres, paramédicaux non soumis à Ordre professionnel, grand public, sympathisants, peuvent adhérer mais restent explicitement exclus de toute voix délibérative (« collège non votants »). L’association se présente d’ailleurs comme « un groupe de professionnels de santé ». Si l’association ne publie aucun rapport détaillé, les estimations croisées (information qui reste donc à vérifier) font état d’un noyau dur de 200 à 500 membres actifs votants (10 à 20 % des effectifs) face à plusieurs milliers de sympathisants sans droit de vote. Le Conseil d’administration affiché sur le site confirme cette proportion, composé de huit professionnels de santé et deux paramédicaux en décembre 2025.

Un avant-goût de contradiction et de populisme

Un autre élément notable dans les statuts du Collectif NoFakeMed est « l’exclusion des personnes morales dont l’activité professionnelle est en lien avec le commerce de produits pharmaceutiques ou destinés aux soins« . C’est une position forte d’opposition aux entreprises du médicament et des soins de santé qui sont les acteurs qui permettent finalement aux membres de ce collectif de leur donner les outils pour soigner et qui travaillent pour l’écrasante majorité à base de science médicale et façonnent la médecine de demain.
On aurait pu comprendre l’exclusion des entreprises qui fabriquent ou vendent des produits et soins non éprouvés, car cela aurait été cohérent avec la mission de l’association. Comment expliquer alors cette contradiction ? La raison la plus plausible est le populisme « anti-big pharma », qui s’est fortement développé dans la crise sanitaire de la pandémie de Covid-19, avec son cortèges de théories complotistes et de manichéisme : les laboratoires pharmaceutiques représentent le mal face aux professionnels de santé, opposition illusoire étant donné qu’ils sont largement représentés dans ces entreprises.

Plus cocasse et anecdotique, mais tout aussi contradictoire : le collectif vend des produits à son effigie, avec une boutique en ligne sur son site internet. Les visuels sont principalement à base du logo du collectif associé à la formule chimique du glucose. Or le glucose, c’est le sucre, soit l’ennemi public numéro un en santé publique pour les conséquences dramatiques de sa surconsommation.

La mobilisation sur les réseaux sociaux… et son revers

Le collectif est très actif sur X (ex Twitter) dans un objectif de visibilité et de mobilisation. Le compte @NoFakeMedecine dépase ainsi les 10 000 abonnés. Les fiches anti-fakemed, tribunes et appels à l’action génèrent des milliers d’interactions. Toutefois la majorité des comptes les plus actifs gravitant autour n’ont pas la formation médicale exigée au sein du collectif. On voit défiler des militants politisés et/ou polarisés qui utilisent la cause comme étendard idéologique ou quête de visibilité. Beaucoup de ces comptes sont apparus à la faveur de la récente crise sanitaire et ont découvert le concept de pseudoscience à cette occasion.

Mais aujourd’hui les critiques pleuvent à l’encontre de No FakeMed : accusations de « meutes », de victimisation après des années d’insultes, d’infiltration par les promoteurs de médecine intégrative, ou de populisme officiel. Ces reproches révèlent une fracture profonde au sein de la communauté en ligne et des interrogations légitimes sur les actions du collectif.

La victoire politique et les premières ambiguïtés

Le succès de l’action initiale est incontestable. Grâce à la pression de No FakeMed, Agnès Buzyn alors ministre de la santé mandate la Haute autorité de santé (HAS) en 2018, et l’homéopathie est déremboursée en 2021.

Mais au fil du temps et finalement assez rapidement, le collectif accepte des échanges discrets avec l’entourage gouvernemental pour finir par l’afficher fièrement. Cela pourrait avoir ouvert la porte à une régulation plus large des pratiques alternatives permettant de leur donner une légitimité.

Le virage institutionnel de 2023

Ce virage progressif devient véritablement spectaculaire en 2023. Agnès Firmin Le Bodo est signataire en 2021 d’un projet résolution parlementaire qui veut institutionnaliser l’A-MCA, une association auto-proclamée « agence » des médecines alternatives et complémentaires, véritable lobby de la pseudoscience. Elle invite officiellement le collectif No FakeMed, le CUMIC et l’A-MCA à siéger dans le même comité ministériel chargé de « faire le tri » dans les pratiques non conventionnelles (pratiques non éprouvées soit-disant combattues par le collectif.

Comme nous l’avions déjà dénoncé dans ces colonnes en 2023, cette configuration pose un problème majeur : inclure des promoteurs de pratiques non éprouvées dans l’instance censée les réguler risque de transformer la vigilance en caution scientifique. Ce doute se transforme facilement en intention certaine quand on sait le rôle moteur d’Agnès Firmin-Le Bodo pour placer l’A-MCA en agence réglementaire.

Il n’y a dès lors qu’un pas à voir comme une compromission inacceptable le fait que le collectif No FakeMed ait accepté de participer à ce projet.

Les alertes de Science infused

Dans notre article de juin 2023, nous avions alerté à nouveau sur Agnès Firmin Le Bodo et son projet inquiétant : « Agence des MCA, association qui défend des pseudosciences conviée à la table des négociations au ministère de la Santé ». Nous dénoncions explicitement l’invitation de cette association, perçue comme un lobby pro-pseudosciences, aux discussions ministérielles, au moment même où la ministre était rattrapée par des affaires de cadeaux acceptés de la part d’URGO.

Nou pointions aussi déjà le collectif NoFakeMed cédant aux sirènes de l’appel ministériel, avec des communications sur les réseaux sociaux particulièrement inquiétantes attestant d’un virage incompatible selon nous avec la mission du collectif.

Cette alerte confirmait nos craintes récurrentes sur la porosité entre pouvoir, promoteurs de pratiques non éprouvées et politisation de structures censées lutter contre ces pratiques.

La contribution du CUMIC au flou académique qui efface la ligne rouge

Par ailleurs, le CUMIC (Collège Universitaire de médecines intégratives et Cmplémentaires) est un organisme universitaire qui promeut l’enseignement et la reconnaissance académique de pratiques non éprouvées scientifiquement, souvent sous l’étiquette « intégrative ». Avec l’A-MCA, qui vise à les réguler et à les légitimer politiquement, le CUMIC constitue ainsi le second fer de lance majeur de la promotion institutionnelle des pseudosciences en France, en leur offrant cette fois un vernis académique et scientifique.

En janvier 2025, un article scientifique publié en ligne dans la revue Ethics, Medicine and Public Health marque un tournant significatif : intitulé « What the “FakeMed” » or “fake medicines” according to a collective of French doctors ». il est co-signé par plusieurs membres éminents du CUMIC, dont Julien Nizard, vice-président du CUMIC et responsable du service Douleur et Médecine intégrative au CHU de Nantes. Les auteurs analysent la définition du « FakeMed » promue par le Collectif No FakeMed, en s’appuyant sur leurs publications et sur des entretiens directs réalisés avec les présidents du collectif, qui a donc accepté de se soumettre à un jeu dangereux. Leur conclusion est sans ambiguïté : le terme « FakeMed » repose sur une démarcation illusoire entre médecine conventionnelle et non conventionnelle, et constitue lui-même un concept trompeur qui simplifie abusivement les nuances scientifiques. Ils plaident pour une approche plus nuancée, où certaines pratiques complémentaires pourraient s’intégrer légitimement à une médecine fondée sur les preuves. Ce texte, en donnant la parole aux dirigeants de NoFakeMed tout en déconstruisant leur discours qualifié de binaire, confirme ainsi les craintes que nous exprimions depuis plusieurs années : en acceptant de participer à des initiatives avec les ennemis déclarés, le collectif contribue à estomper la ligne rouge qu’il avait lui-même tracée, ouvrant la voie à une reconnaissance progressive des pratiques intégratives sous couvert de rigueur scientifique.

Le (non) positionnement ambigu de NoFakemed vis-à-vis du CUMIC

Les convergences entre le Collectif No FakeMed et le CUMIC se manifestent par une série de signes qui alimentent les soupçons de dilution idéologique. Le collectif accepte en 2023 un débat public télévisé où l’une de ses porte-parole, Marion Lagneau, confronte directement un vice-président du CUMIC, Fabrice Berna, sans rejeter catégoriquement le cadre intégratif défendu par ce dernier. Plus troublant, le président de No FakeMed Pierre Brémond d’ARS accorde en 2024 des entretiens approfondis aux auteurs de l’article du CUMIC de janvier 2025 dans Ethics, Medicine and Public Health, qui permettent aux auteurs, comme nous l’avons vu, de déconstruire et discréditer ce que défend le collectif. Ce dernier ne réagira d’aucune façon. Ce silence persistant du collectif face à ces initiatives (aucun communiqué, aucune critique publique du CUMIC sur son site ou ses réseaux) renforce l’impression d’un pragmatisme institutionnel qui prime sur la radicalité originelle. Sur X, ces éléments nourrissent des accusations récurrentes de porosité, voire de parasitage intellectuel, où le collectif, autrefois intransigeant, semble tolérer un dialogue qui normalise progressivement l’universitarisation des pratiques intégratives autrefois qualifiées de pseudosciences.

Un piège de populisme médical qui se referme sur lui-même ?

En quelques années d’existence, le collectif NoFakeMed est passé du statut de poil à gratter anti-charlatan à celui d’acteur institutionnel assis à la même table que l’A-MCA et un support au CUMIC, sous l’égide d’un gouvernement qui promeut une « santé intégrative ». Avec un noyau décisionnel ultra-restreint de 200 à 500 votants et des milliers de sympathisants réduits au rôle de porte-voix sur les réseaux sociaux, le collectif semble être tombé exactement dans le piège qu’il dénonçait : celui du populisme médical, de la quête de pouvoir et de notoriété, au détriment de la lutte sans compromis qu’il clamait défendre et pourtant inscrite dans son objet.

Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused

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