« Médecines » alternatives : Agence des MCA, association qui défend des pseudosciences conviée à la table des négociations au ministère de la Santé
Le 9 mars, Agnès Firmin-le Bodo annonçait la création d’un groupe de réflexion sur la régulation des pseudo-médecines et pratiques alternatives de santé, un projet répondant à celui de l’A-MCA. L’ initiative dénoncée dès son origine par l’association Citizen4Science peut-elle encore être déjouée ?
« Agence des MCA » (Médecins Complémentaires et Alternatives) porte dans son nom son ambition : devenir une agence gouvernementale qui a la main mise sur le déploiement des pratiques de santé non éprouvées. Elle n’est pourtant qu’une jeune association loi 1901 créée fin 2020 par Véronique Suissa (psychologue), et par Serge Guérin (sociologue) et Philippe Denormandie (médecin, père de Julien Denormandie proche d’Emmanuel Macron et qui a été son ministre) très liés au Groupe Korian qui officie sur le marché des seniors et est principalement détenu par de grosses mutuelles.
Quelques mois après sa naissance, l’association est propulsée par un groupe de députés pour réaliser son ambition de régulateur. Parmi ces députés, Agnès Firmin Le Bodo, nommée en août 2022 ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale des professions de santé. Mme Firmin-Le Bodo a été moteur comme signataire d’une tribune dans le journal Le Monde pour promouvoir Agence des MCA et ses ambitions. Pharmacienne d’officine, l’Ordre auquel elle est rattachée professionnellement s’est positionné en 2021 sur les dangers que constituent les pseudosciences et Agence des MCA, comme l’ont fait à la même époque l’Académie de médecine et l’association Citizen4Science via la tribune de sa fondatrice publiée par le journal L’Express : Médecines alternatives : stop à la complaisance des autorités ! Le message, commun à ces structures, était clair : les pratiques non basées sur les preuves ne relèvent pas de la médecine, et le rôle des autorités de santé est d’évaluer l’ensemble des pratiques de santé et de valider celles qui sont éprouvées.
Capture article de l’article en ligne du journal Marianne du 21/11/2022
consacrée à Agnès Firmin-Le Bodo et son rapport à Agence des MCA
L’enjeu d’un marché immense…
Agence des MCA présente toutes les caractéristiques du faux nez d’un lobby avec pour commencer les conflits d’intérêt de ses dirigeants fondateurs sachant que l’enjeu financier des pseudosciences est énorme pour les mutuelles : nombre d’entre elles proposent des forfaits de prise en charge de « médecines douces » entièrement à leur charge. L’industrie du bien-être est florissant, attractif pour les Français, population vieillissante avec son marché convoité de seniors. On entrevoit vite l’objectif potentiel que permettrait cette Agence des MCA régulatrice : valider des pratiques, permettant leur prise en charge par la sécurité sociale, les mutuelles se plaçant en organisme complémentaire. Au final, si ce projet aboutit, les citoyens financeront non plus les actes des professionnels de santé régulés par le Code de la santé publique, mais une grande partie de cette industrie de pratiques santé du tout et du n’importe quoi via ses cotisations sociales et de mutuelle santé.
Au niveau mondial, le marché du bien-être est évalué en 2020 à 1 500 milliards de dollars (1, 375 milliards d’euros), dont possiblement 10 % pour la France, en 2e position au niveau européen après l’Allemagne. La croissance est exponentielle
…parsemé de dangers avérés pour la santé et l’intégrité des personnes
Les pseudosciences, qui par définition n’ont pas démontré scientifiquement leur efficacité, mêlent des pratiques pour certaines a priori inoffensives (ex. homéopathie) mais aussi pour d’autres dangereuses intrinsèquement. Mais mêmes inoffensives, elles peuvent être dangereuses en retardant une prise en charge adéquate de patients qui ont besoin de soins éprouvés ou parce qu’elles sont poreuses aux organismes sectaires et autres gourous.
Homéopathie, sophrologie, osthéopathie, acupuncture, aromathérapie, réflexologie,… voici des exemples parmi d’autres de pratiques de soins alternatives qu’Agence des MCA promeut.
Qui dit pratiques non éprouvées dit aussi souvent praticiens aux compétences voire parfois à la probité discutables. Il est important de rappeler que les pratiques santé et bien-être pseudoscientifiques sont largement en tête des signalements de dérives sectaires auprès de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
La naturopathie a été largement médiatisée ces derniers temps avec l’affaire du gourou Thierry Casasnovas entre autres. Ce n’est qu’une facette de ces pratiques non conventionnelles et où elles peuvent mener. Une série d’articles est disponible dans ces colonnes sur Jérémie Mercier, un chimiste de formation exilé en Estonie qui tente d’exploiter le filon des médecines alternatives (lavage du foie, traitement de l’autisme, etc.).
Lobbying et entrisme intensif
Agence des MCA a été dès l’origine portée politiquement auprès du gouvernement via la proposition de résolution il y a 2 ans évoquée plus haut. Depuis lors, on a cessé de voir cette association infiltrer les structures gouvernementales en particulier autour du président Emmanuel Macron, ou de son épouse Brigitte qui a reçu notamment Véronique Suissa en 2021 en grande pompe pour présenter Agence des MCA. Le journal Marianne a fait état au cours de ces deux années d’autres liens de forte proximité entre le trio dirigeant Agence des MCA et l’environnement présidentiel : son article sur Agnès Firmin-Le Bodo est instructif sur son rôle propulseur d’A-MCA. Il y a eu aussi un article sur la présence de Serge Guérin dans le dispositif de campagne du parti présidentiel : Comment le réseau des « médecines alternatives » s’est invité dans la campagne de Macron.
Début mars 2023 ont eu lieu les premières Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires organisées par le gouvernement sous la houlette de Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté auprès du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Des acteurs étatiques y étaient conviés : Miviludes, Police, Gendarmerie, ainsi que des associations investies sur le sujet des dérives sectaires comme UNADFI, GEMMPI, France Victimes, et divers experts et parlementaires.
Dans ce cadre, Agnès Firmin-Le Bodo a annoncé le 9 mars la création à venir d’un groupe de réflexion sur la régulation des pratiques de santé complémentaires et alternatives largement touchées par les dérives sectaires.
Trois jours plus tôt, elle avait rencontré le président du collectif de médecins « No FakeMed » positionné antérieurement contre Agence des MCA…. qui annoncera non sans fierté sa participation au groupe de réflexion. Ce collectif aurait donc répondu à l’appel des sirènes, embarqué dans le piège de la régulation convoitée par A-MCA.
Enquête sur le salon Medintechs
En mars dernier s’est tenu à Paris Medintechs, salon de l’innovation médicale . Il « rassemble l’écosystème de la santé, les experts en nouvelles technologie et les citoyens« , expliquent les organisateurs sur son site internet. Cet événement est placé sous le haut patronage d’Emmanuel Macron, président de la République. Décidément.
L’Agence des MCA a fait la publicité de sa participation en tant qu’organisateur. Nous avons voulu en savoir plus.
Francis Braun sur le stand d’Agence des MCA, face à Véronique Suissa (de dos) le 13 mars au salon Medintechs
Tout d’abord, on s’est aperçu qu’Agence des MCA avait quelque peu changé sa dénomination, qui est passée d’Agence des Médecines complémentaires et alternatives à Agence des médecines complémentaires adaptées. et ajoute le plus souvent dans sa communication désormais le suffixe « et de la prévention« .
D’ailleurs, elle se qualifie sur son site de « lieu d’expertise des pratiques complémentaires et de prévention« .
Le retrait du mot « alternatives » se comprend, il a forte connotation de dérives notamment sectaires ; « adaptées » est plus politiquement correct et préfigure peut-être la moulinette de la future régulation. L’ajout de « prévention » permet quant à lui de ratisser large… D’ailleurs, tout un pan de Medintechs était tenu par Véronique Suissa via le « Village Prévention » du salon, rien que ça. Elle a eu droit aux honneurs du ministre de la Santé Francis Braun, venu inaugurer l’événement.
Véronique Suisse a publiquement signalé son appartenance au « Conseil scientifique de Medintech ».
Interrogée quand à ses implications par la Rédaction, Agence des MCA nous répond bien volontiers le 12 mars, la veille de l’ouverture de Medintechs 2023 :
« L’A-MCA était déjà partenaire l’an dernier et Véronique SUISSA y avait également co modérée une Conférence avec le Dr Alain TOLÉDANO, fondateur de l’Institut Rafael, sur les médecines complémentaires. Serge GUÉRIN et Philippe DENORMANDIE (cofondateurs AMCA) y étaient également intervenu dans le cadre de conférences du salon Medintechs respectivement sur le sujet du bien-vieillir et du handicap.
La programmation du salon est construite tout au long de l’année aux côtés du Conseil Medintechs composé de : Dr Alain TOLÉDANO, Dr Fabrice DENIS, David DE AMORIM, Véronique SUISSA, Anne JEANBLANC, Lucas THIERY, ainsi que les fondateurs du Salon. Pr Gilles BERRUT, conseiller scientifique de l’A-MCA est également le conseiller scientifique du Salon MEDINTECHS.
Cette année, à la demande des fondateurs de MEDINTECHS, Véronique SUISSA a conçu, mis en place et coordonnée le Village PRÉVENTION (formats, intervenants, programmation…). L’A-MCA a naturellement un stand au sein du Village Prévention. Les livres des fondateurs de l’A-MCA seront d’ailleurs accessibles (parmi les ouvrages de nombreux intervenants) à la librairie du village prévention. »
Quant à Medintechs, l’équipe organisatrice ne souhaite pas en discuter avec la Rédaction de façon détaillée en raison de la proximité immédiate de la manifestation. Elle précisera tout de même :
« À la questions des médecines alternatives, il nous est important de préciser qu’elles n’auront en aucun cas, et jamais leur place à MedInTechs. »
Il faut quand même le lire pour le croire.
Un « lobbying réussi » ? quel contre-pouvoir désormais ?
Dans un article paru hier 18 juin, L’Express révèle qu’une première réunion du « comité d’appui à l’encadrement » des soins non conventionnels aura lieu le 28 juin, qu’Agence des MCA a effectivement été conviée, ce que l’association Citizen4Science redoutait.
On apprend également dans cet article un couac du ministère de la Santé avec la Miviludes, « dernier rempart face aux abus liés aux soins non conventionnels » dixit L’Express, qui n’aurait pas été conviée à ce stade. En effet, c’est le 13 juin que son conseil d’orientation aurait appris la tenue de cette réunion et elle n’aurait aucune information à son sujet, relate l’article de nos confrères. Contactée par L’Express, Mme Firmin-Le Bodo s’est voulue rassurante sur la présence de la Miviludes à la réunion inaugurale.
L’Express évoque plutôt qu’une erreur involontaire le résultat de visions opposées sur le traitement de ces « médecines parallèles » par les autorités.
Force est de constater qu’avec la relation « historique » d’appui de Mme Firmin-Le Bodo pour Agence des MCA, et son invitation à la table des négociations, la cause semble acquise pour cette association, et ce depuis le début.
La Miviludes n’est pas dans cette optique et L’Express a recueilli la réaction houleuse de George Fenech, ancien président de la Miviludes : « Soit les soins sont validés scientifiquement, soit ils ne le sont pas. Dans ce cas, ils n’ont pas à être ‘encadrés’ par le ministère de la Santé ». Citizen4Science a réagi en soutien hier soir via son compte de veille des réseaux sociaux, rappelant avoir interpellé Agnès Firmin-Le Bodo et s’inquiétant que la collectif « No FakeMed » ait cédé à l’appel du gouvernement d’entamer des négociations avec l’association lobbyiste.
« No FakeMed » et Citizen4Science étaient jusqu’ici les 2 personnes morales officiellement en lutte contre les ambitions de régulation d’Agence des MCA, comme le rappelait l’École de guerre économique dans son analyse « L’offensive informationnelle du secteur des médecines douces« .
Prochaine étape, la réunion du 28 juin dont la composition au final n’est pas connue à ce jour. On sait au moins que l’association Citizen4Science n’en fera pas partie et ce même si elle était conviée. Son Bureau a précisé ce matin en substance qu’elle refuserait toute négociation dans laquelle Agence des MCA serait partie prenante, considérant que cela ne pourrait servir que de faire valoir à cette opération qui semble bouclée d’avance.
Image d’en-tête : dessin de presse LeBecq pour Science infuse
Pour aller plus loin
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