ActualitésArtsChroniqueCultureFrance

« Art brut d’Iran » à la Halle Saint-Pierre

Qu’on se le dise d’emblée : nul besoin d’être amateur d’art ni connaisseur de la situation au Moyen-Orient pour se rendre à cette exposition. Comme à son habitude, la Halle Saint Pierre possède la rare et élégante qualité de nous proposer les œuvres d’artistes qui n’ont pas pignon sur rue, ne fréquentent pas les milieux médiatiques et n’exposent que rarement.

De l’art brut, on se souvient des bases jadis posées par Jean Dubuffet : un travail d’artisanat, éloigné des coteries et des modes, fait pour chacun et par chacun, sans technique ni méthode académiques, et dans lesquels, si la culture locale régnante se retrouve forcément en arrière-plan, on retrouve d’abord et surtout les grands mythes fondateurs de l’Histoire de l’Humanité : la guerre, l’amour, le sexe, la mort, Dieu, les esprits.

Ils sont vingt-quatre artistes iraniens contemporains, de tous les âges et de tous les coins du pays :  Limoo Ahmadi est née en 1953 à Kermanshah où elle vit toujours ;  Davood Koochaki  en 1919 à Rasht au nord-ouest de l’iran tandis que Salim Karami vient de Rostamabad, dans la province de Gilan, Alireza Maleki du village de Kolbat dans la province du Lorestan en 2003 et Mohsen Ascariyan de Téhéran en 1948.

Ils sont vingt-quatre artistes si différents les uns des autres, si profondément singuliers, mais qui ont pour point commun de produire des œuvres fortes, denses, colorées, solaires, et dans lesquelles ils convoquent les mythes de la Perse antique, du Zoroastrisme, du Soufisme, et, naturellement, de l’Islam.

En matière d’art brut, il est totalement impossible de distinguer l’œuvre de l’auteur, l’art et la vie : les deux ne font qu’un, de façon inséparable et obligatoire. Et cette vie, souvent, est des plus précaires, à cause de la misère, à cause d’une terre rude, à cause d’un régime autoritaire, à cause de l’Histoire du Pays et de l’Histoire du Monde.

Alireza Asbahi Sisi, surnommé CC était fils de tailleur et l’ainé de sept enfants, ce qui l’obligea à arrêter sa scolarité à la fin du primaire quand son père mourut, pour s’occuper de la famille. Après avoir travaillé dans une entreprise de fabrication de vêtements, son goût pour l’artisanat l’amena à acheter et revendre tapis et kilims. Mais l’irruption  du covid mit fin à son activité. Après être devenu chauffeur de taxi, il achète une machine à coudre et à broder industrielle pour fabriquer des tapis en patchworks à partir de morceaux inutilisables récupérés. Beau projet et en plus écologique. Hélas, la machine n’est pas adaptée et c’est pourquoi il se lance dans le collage. C’est dans ce domaine qu’il va finalement trouver sa voie artistique.

Limoo Ahmadi a quitté l’école à la fin du primaire. Lorsque son fils diplômé des beaux-arts meurt d’une crise cardiaque à l’âge de trente ans, elle va utiliser son matériel et se mettre à peindre pour échapper à la douleur et à la dépression. Son œuvre, c’est son chagrin, et ce chagrin, pourtant, s’exprime en couleurs joyeuses : elle pleure des dessins.

Mohammadali Dehghanizadeh, né dans les années cinquante, sans trop savoir à quelle date précise, a  perdu sa mère à l’âge de cinq ans. Il a quitté l’école pour se mettre à travailler, à dix ans,  comme ferblantier, d’abord,  puis comme plâtrier et ensuite comme chauffeur de taxi. A la suite d’un accident, et d’une blessure à la tête, il est atteint par la maladie de  Parkinson dont les effets secondaires provoquent des hallucinations. C’est son fils sculpteur qui va lui conseiller de jeter celles-ci, ses hallucinations, sur la toile, puis, conscient de la valeur de ce que son père produit, qui va tout faire pour sauvegarder et exposer les toiles.

Nazanin Tayebeh est née en 1992 avec le syndrome de Down. Elle n’a commencé à marcher et à parler qu’à quatre ans, mais, à six ans, elle a dessiné et produit d’étranges compositions à la fois figures graphiques et écriture que nul ne sait vraiment déchiffrer.

Haaj Mohammad Harati n’a commencé à peindre qu’à l’âge de soixante-dix ans et il poursuivra son œuvre, malgré Alzheimer,  jusqu’à sa mort à 93 ans.

Jamshid Aminfar était parti vivre à Londres avec son diplôme d’art, mais il est revenu vivre au pays où il n’a pu travailler que dans une imprimerie. A cause d’une cyanose dont il souffre depuis l’enfance, il perd son emploi, et, début 2000, il se met à peindre et vendre ses œuvres dans la rue malgré la répression policière et l’avis défavorable de la famille.

Fatemeh Khanoom Khodabandeh fabriquait déjà des poupées avec des cailloux et des morceaux de tissu lorsqu’elle était enfant. Mais les caprices de la vie l’ont fait exercer un tout autre métier. C’est seulement soixante ans plus tard qu’elle va reprendre cet art, et ce malgré l’arthrite rhumatoïde et l’inflammation des articulations qui gagnent ses mains. Durant dix ans, elle va construire ses poupées qui disent l’amour, la famille, la joie de vivre, la solidarité et le bonheur.

Tels sont ces vingt-quatre artistes qui nous donnent, tous, une belle leçon de résilience et de courage dans un contexte politique et social difficile, dans un pays où ils ne sont ni encouragés, ni protégés. Ils sont des exemples vivants d’une sublimation du quotidien qui permet de dépasser la peur, l’angoisse et la mort. Comme s’il fallait à tous prix, et c’est le cas de ceux-là, danser sa vie, chanter son temps sur Terre, peindre avant la fin du jour.

Crédit photos : Alain Girodet, copyright

Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard, 75018 Paris – exposition du 12 février au 31 juillet 2025

Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0329 x 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.
Notre média dépend entièrement de ses lecteur pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section presse reste d’accès gratuit, et abonnez-vous à la newsletter gratuite également !.

ou via J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
22 − 11 =