Au cinéma bientôt : « Nous, les Leroy » : puisque l’amour s’en va, un mini road-trip à la fois pimenté, drôle et nostalgique
Grand Prix du festival de l’Alpe d’Huez, cette comédie touchante qui mêle rires et pleurs est un premier film sensible très réussi
La salle est comble à l’UGC Ciné-Cité de la Défense en cette soirée du dimanche 7 avril pour une avant-première qui nous permettra d’échanger avec le réalisateur Florent Bernard à la fin du film.
« Avant de nous dire adieu« , c’est une chanson interprétée par Jeane Manson en 1976. C’est un peu l’intrigue du film : Sandrine (Charlotte Gainsbourg) annonce à son mari Christophe (José Garcia) qu’elle veut divorcer. Enfin, c’est d’abord à leurs deux adolescents qu’elle le confie, un peu maladroitement pendant leur petit déjeuner type ‘Chokapic’. Mis dans la boucle, le mari tente une opération de la dernière chance pour sauver son couple. Il organise un week-end pour tous les quatre, au cours duquel ils vont parcourir en Land Rover des lieux symboliques pour le couple choisis par Christophe. Mais rien ne va vraiment se passer comme il le prévoyait…
Le sujet du divorce est abordé sans manichéisme, avec des personnages tout en sensibilité : il n’y a pas de fautif pointé du doigt, il y a seulement « l’amour à la machine » (Alain Souchon,1994) : « Passez notre amour à la machine, faites le bouillir… Pour voir si les couleurs d’origine peuvent revenir…« . La machine choisie par Christophe, qui tombe des nues suite à la décision de séparation de sa femme, ce sera un week-end de commémoration familiale dans des lieux fétiches qui retracent son histoire. Est-ce que cela va suffire à réparer une relation de 20 ans qui asphyxie Sandrine par sa routine, l’isolement et la pauvreté affective ?
La scène introductive est d’emblée mémorable : elle retrace les premiers moments et l’avenir qui se scelle entre Sandrine et Christophe, non pas par la narration mais par des images et des ambiances. Notamment les murs d’une chambre bardée de références musicales des années 80, comme les Cure, la pochette de l’album « Breakfast in America » de Supertramp ou celle toute verte avec un robot de Queen (« News of the World« ), et plein d’autres. Il y a une lumière particulière, un esthétisme que l’on retrouvera tout au long du film.
Le couple d’acteurs vedette est crédible, pourtant ils n’ont jamais joué ensemble. Le fait d’avoir été associé par Florent Bernard à la réécriture de leurs personnages respectifs joue sans doute. José Garcia capitalise sur son sens du comique et de personnage gauche, parfois désagréable, lourd, et même cassant et colérique. Il semble louper sa vie car totalement passéiste, pas du tout tourné vers l’avenir, dépassé. Charlotte Gainsbourg joue une femme déprimée, avec des pleurs à foison mais soucieuse des autres : elle est prête à donner beaucoup pour ne pas faire de mal aux enfants ; le divorce qu’elle demande la fait culpabiliser vis-à-vis d’eux et de son mari. Elle est à la fois sous pression (ingénieusement symbolisé par des cannettes en surpression à chaque fois qu’elle les ouvre) et en recherche de tendresse ; elle l’exprime, demande à ses enfants la tendresse qui lui manque. Sur cette base, on aurait pu redouter un mélo ou de la sensiblerie.
De façon surprenante, c’est Charlotte Gainsbourg qui nous offre les scènes les plus comiques, comme des sketchs qui vont faire intervenir différents personnages rencontrés au cours du périple, acteurs humoristes de profession. José Garcia est bien dans son rôle, mais les rouages de son comique sont relativement attendus et « standard ». On apprécie particulièrement le sucré-salé, ou plutôt le doux-amer qui mélange larmes et tristesse aux « vannes » de Sandrine et situations tragi-comiques qui s’enchaînent. Sandrine fait figure de clown triste, touchant. Charlotte Gainsbourg joue de son côté doux et fragile comme sa voix tel un souffle qui se brise dans les moments d’émotion. Des moments d’amusement et de rire sincère donnent espoir dans sa capacité à retrouver un équilibre, la scène finale semble en jouer. Le couple des ados fonctionne bien, avec un jeu très naturel. Ils ont l’air plus matures que les parents désorientés par la rupture amorcée. On se dit que le divorce est plus banal qu’autrefois pour les jeunes d’aujourd’hui. Plus philosophes sur la question ?
La bande-son, ce sont les années 80 à l’instar des pochettes d’album du début, avec Niagara « Quand la ville dort » longuement sur une scène de parking nocturne, voire les années 70 avec une scène de karaoké mémorable à base de « Voici les clés » de Gérard Lenorman.
Le film traite de l’absence de communication dans le couple et la famille face à l’érosion des sentiments, du sentiment de la culpabilité, de l’adversité qu’il faut surmonter pour la transformer en opportunité ; de l’acceptation. Bonne nouvelle : Sandrine retrouve des forces lors des péripéties du voyage. Un signe sur la fin : la dernière cannette qu’elle ouvre ne fait pas « pschitt » : le trop-plein de pression commence à retomber. Alors peut-être qu’après le roadtrip, le couple et la famille sauront réinventer leur relation, différemment.
On espère revoir très vite Charlotte Gainsbourg dans une comédie fine comme celle-ci. On a été ému, touché, mais on n’a pas a arrêté de rire. Une sacrée recette, mais aussi une sacrée performance pour la comédienne qui focalise ce mélange de sentiments.
Florent Bernard, la petite trentaine, nous rejoint dans la salle à la fin du générique. Jean délavé, baskets blanches et casquette de base-ball, la main gauche fixée dans la poche de l’imper court ; elle ne sortira que tardivement au moment d’une question qui l’inspire, avec beaucoup d’expression. Avec ses boucles blond vénitien, on ne peut que faire la similitude avec celles de l’adolescent Bastien dans le film. Le scénariste réalisateur se livre avec plaisir et dynamisme aux questions des spectateurs, et on a la confirmation des nombreux éléments autobiographiques du film. Oui, il raconte la séparation de ses parents, il y a de lui dans Bastien, sans doute de ses parents dans le couple déchiré, et des lieux de tournage choisis parce que c’est chez lui, là où tout s’est passé. On apprécie de continuer à rire régulièrement, comme dans le film, avec Florent Bernard qui balance une dose d’humour à chaque question ou presque. Simple et touchant, à l’image de son film.
« Nous, les Leroy » de Florent Bernard avec Charlotte Gainsbourg, José Garcia, Lily Aubry, Hadrien Heaulmé – durée 1h43. Sortie : 10/04/2024
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