Carte de presse des journalistes : une tribune réclame la suppression d’une conditions essentielle d’attribution du « sésame »
Publiée le 16 janvier dans Télérama, ses signataires considèrent que les critères d’attribution de la CCIJP (Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels) sont obsolètes. Leur demande est une mauvaise réponse à un vrai problème et mettrait à risque la profession
Les personnes regroupées pour signer cette tribune ont pour beaucoup plusieurs métiers parmi journaliste, correspondant local de presse, chef-opérateur, réalisateur, producteur, auteur, écrivain. Pour une majorité d’entre eux, ils combinent journalisme et réalisation audio-visuelle.
Oui mais voilà : si le journalisme n’est pas leur activité principale, et/ou si leur travail journalistique n’est pas payé en salaire comme il se doit,, ils ne sont pas admissibles à la carte de presse.
La carte de presse n’est pas du tout obligatoire pour faire du journalisme. Néanmoins, le collectif considère qu’elle est un gage de crédibilité et de sérieux, et que donc tout ceux qui ont des activités journalistiques doivent en bénéficier. Bref, la carte de presse pour tous, et donc exit le gage de sérieux ?
Ils insistent sur le fait qu’elle permet l’accès à des personnes et événements en haut lieu comme les gouvernants. Ils évoquent aussi les zones de guerre où la carte de presse est « un outil essentiel » sur la ligne de front. La tribune va plus loin en disant que la carte de presse peut sauver d’un « faux-pas » comme une « accusation d’espionnage » ou un « lynchage » lors d’une émeute. Les violences policières sont évoquées. La tribune va assez loin sur ce thème, prenant à parti le public en demandant s’il faudra des morts pour que les choses changent.
Le souhait exprimé dans cette tribune, c’est donc que le critère d’exercice du journalisme à titre principal disparaisse purement et simplement, car cette exigence ne traduirait pas le fait qu’on peut faire du journalisme à temps partiel, invoquant à ce titre d’ubérisation de la profession.
L’affirmation de la tribune est fausse : la CCIJP accepte tout à fait des journalistes qui ont d’autres activités professionnelles, même multiples. D’ailleurs, elle recueille les informations détaillées concernant les autres métiers exercés par le demandeur de carte.
Ce qu’elle refuse en revanche, c’est d’attribuer une carte de presse quand le journalisme est une activité exercée de façon accessoire c’est-à-dire moins d’un mi-temps. L’autre critère qui doit se cumuler avec le précédent est que, conformément à la législation fiscale sur le caractère professionnel de l’activité, les revenus au titre du journalisme doivent être majoritaires.
Ainsi, la CCIJP applique tout simplement la loi.
Le problème réel : les journalistes non payés en salaire !
En réalité, le problème vient certainement plutôt des entreprises de presse qui n’appliquent pas là loi et payent du travail journalistique en droits d’auteur plutôt que de salarier un journaliste. C’est monnaie courante et c’est un contournement de la loi. Or les droits d’auteur ne sont pas reconnus au titre du journalisme, donc ne donnent pas droit à la carte de presse. Et heureusement.
Notons aussi que la tribune affirme faussement que la qualité de l’activité journalistique n’est pas évaluée par la CCIJP : preuve en est que le journaliste demandeur de carte doit fournir chaque année à la commission d’évaluation une vue précise de sa production journalistique récente, publications à l’appui. La production journalistique sera examinée par au moins deux commissaires de la CCIJP.
La carte de presse, un rempart essentiel face à l’absence de régulation de l’exercice du métier
En France, le métier de journaliste n’est pas régulé. Seule l’obtention d’une carte de presse, qui n’est pas exigible pour être journaliste professionnel, est soumis à condition. La carte de presse est en effet un gage de sérieux et de professionnalisme et tout du moins, permet de savoir si on a affaire à un journaliste qui travaille pour un éditeur ou agence de presse professionnel, et si on fait ce métier à titre principal.
Et c’est tant mieux car l’usage du titre de journalisme est libre, et il n’existe aucune formation obligatoire ni code de déontologie ou Ordre des journalistes opposable. C’est un choix, la profession ayant historiquement prôné l’autorégulation, dont fait partie le système des cartes de presse. À ce titre, il est inquiétant de lire dans cette tribune que les signataires s’indignent de voir des collègues utiliser de fausses cartes de presse parce qu’ils n’auraient pas le choix. Pour eux, c’est l’accès restreint à la carte qui est uniquement en cause, validant ainsi implicitement cette pratique pour le moins peu déontologique et hors des clous (usage de faux).
Répondre à la demande de cette tribune, c’est ouvrir la porte à la disparition de tout critère permettant de savoir qu’un journaliste exerce ce métier à titre principal pour un média professionnel. Cela n’empêche que des journalistes sans carte de presse travaillent de façon tout à fait professionnelle, fort heureusement car il y en a beaucoup. Mais donner la carte de presse à toute personne qui l’exerce à titre accessoire ou occasionnel, c’est ouvrir une boîte de pandore permettant abus et impostures et finalement, c’est rendre cette carte inutile car non informative sur son titulaire. Or le journalisme en France a besoin de systèmes qui compensent l’absence de régulation du métier.
Cette tribune semble donc une très mauvaise réponse (attaquer la CCIJP) à un vrai problème (absence de régulation du métier de journalisme, mais surtout salaires de travail journalistique payé abusivement en droits d’auteur).
Notons au passage que le nombre de cartes de presse attribuées par la CCIJP a augmenté cette année, pour la première fois depuis 2012.
La CCIJP réagit
Le 25 janvier, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a publié une longue tribune en réponse à celle de Télérama, avec un argumentaire détaillé qui va dans le sens du présent article.
Mise à jour 25/01/2024 – ajout du dernier paragraphe suite à la réaction de la CCIJP
Pour aller plus loin
Cet article GRATUITde journalisme indépendant à but non lucratif vous a intéressé ? Il a pour autant un coût ! Celui de journalistes professionnels rémunérés, celui de notre site internet et d’autres nécessaire au fonctionnement de la structure. Qui paie ? nos lecteurs pour garantir notre ultra-indépendance. Votre soutien est indispensable.
Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0324 x 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.
Notre média dépend entièrement de ses lecteur pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section presse reste d’accès gratuit, et abonnez-vous à la newsletter gratuite également !
via J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante