Chronique azuréenne 5/8 : ‘Bao Vuong, derrière les vagues’ au Musée des arts asiatiques de Nice
Ce n’est pas parce que l’environnement manque de charme qu’il faut s’abstenir de découvrir un lieu. Certes, l’immédiate proximité de l’aéroport de Nice pourrait dissuader de visiter le musée des arts asiatiques mais ce serait grand dommage. Le bâtiment est vaste et impressionnant. Un grand escalier à vis permet d’accéder aux trois niveaux dont l’un est consacré à l’exposition permanente et les deux autres aux invités du moment.
La collection du musée est relativement restreinte mais les œuvres sont habilement mises en valeur et présentées par des cartels complets et riches. De plus, elles sont, ces œuvres, sans exception aucune, d’une réelle qualité artistique et ne se contentent pas d’un sommaire résumé des arts chinois, japonais, indonésiens et indiens mais présentent également des pièces contemporaines. On voyage ainsi, de façon confortable et zen, dans l’espace et dans le temps. Si la découpe de cuivre anthropomorphe portant des traces de dorures (Inde première moitié du II è millénaire avant notre ère) paraît si follement moderne qu’on la jurerait de Picasso ou de Matisse, la plaque ajourée en bronze, Glory in the flower n°1, a des allures de vestige immémorial alors qu’elle a été pensée et exécutée par Tu Wei-Cheng en 2017 à partir de rebuts technologiques ! Tout l’un et tout l’autre !
Si les Chiens-Lions assis en bronze veillaient sur un temps depuis le début du XVè siècle, Lidabashi de Yoshida Toshi n’a été gravé qu’en 1939 et Le bouquet de pins de Miho de Ray Morimura dessiné en 2013 : respect des traditions, puissance de techniques ancestrales demeurées vivaces encore, élégance des inspirations…
Et c’est au premier étage du bâtiment que se tient l’exposition de Bao Vuong : Derrière les vagues.
Ce n’est pas parce qu’une vie a très mal commencé que, pour autant, l’individu est irrécupérable. Bao Vuong peut l’attester. Certes, en matière de destin contrarié, il était servi. Bao Vuong n’avait pas même un an que ses parents et lui quittaient leur Vietnam natal dans des conditions dramatiques : la guerre s’achève, les Viêt-Cong envahissent le sud du pays, assoiffés de vengeance, et les places sur les bateaux sont rares, à destination d’un occident qui a tant de mal à accueillir les réfugiés. Bao Vuong grandit dans le sud de la France (Toulon, Avignon) : après une expérience en tant qu’éducateur spécialisé (accompagnement de jeunes en difficultés, on comprend que le concept ait pu l’interpeller !) il se consacre à la peinture. Au Vietnam (où il retourne en 2012) et en France, il explore son thème majeur qu’il intitule The crossing.
The crossing : la traversée. Naturellement ! il va se mettre alors à produire une succession d’œuvres autour de ce thème obsessionnel, comme s’il devait décliner à l’infini cette idée du départ, de la séparation, de la perte, du deuil, de l’ailleurs.
Les dix toiles qui constituent Derrière les vagues ont été réalisées entre 2023 et 2025. Dans leur grande majorité, elles ne comportent pas de titre spécifique mais le nom général du thème, The crossing, suivi d’un numéro. Il s’agit d’une série, d’une suite, d’une exploration qui pourrait ne s’achever qu’à la mort de l’artiste, ou à sa guérison (si tant est que l’on puisse guérir de son passé). Les formats sont presque toujours les mêmes (un rectangle d’environ deux mètres sur un) à l’exception notoire de la toile ronde, exposée à l’entrée du musée, et qui donne son nom à l’ensemble : Derrière les vagues.
C’est encore la poudre et la cire d’aluminium, traitées en trainées verticales au pinceau, qui donne l’impression de voir surgir à l’horizon, sous les nuages sombres, quelques timides rayons de soleil dans CCLXI.
Dans CCLXXXVI, la toile entière paraît noire sauf une zébrure de lumière qui traverse les nuages et que l’artiste obtient en ne recouvrant pas le support (une tôle métallique) à cet endroit précis.
L’artiste peut parfois utiliser deux supports différents pour modifier les effets : l’huile sur bois pour la mer, l’huile sur tôle pour le ciel. Et même, dans Hang Ma III, il va peindre à l’or sur des feuilles de prière, comme si, vraiment, l’espoir, un espoir mythique, spirituel, divin, étaient encore envisageable.
De toute façon, même lorsque l’intégralité de la toile est recouverte de noir, là encore, la lumière, forcément, vient poser sa marque et faire briller l’obscurité : CCXIV. Comme chez Soulage, le noir n’existe pas mais « cette lumière secrète venue du noir ».
C’est ainsi que l’artiste d’origine vietnamienne a réussi une œuvre magistrale, dense et puissante qui parle, à tous, de résilience et de survie. Une excellente raison de se rendre au musée des arts asiatiques de Nice, même tout près de l’aéroport.
Du 19 avril au 19 octobre 2025
Musée des arts asiatiques – 405, Promenade des Anglais – 06200 Nice
Photos : Alain Girodet Copyright, juin 2025
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