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Chronique lisboète 1/7 : Le quartier de la Baixa

La chronique Culture d’Alain Girodet

Lisbonne, et le Portugal de façon générale, portent la trace d’un très spécifique mouvement historique qui consista à, tout d’abord, se replier sur soi avant, dans un second temps, de s’ouvrir sur les autres. C’est ainsi que, victimes des attaques incessantes des maures puis des castillans, les Portugais, durant le règne de Ferdinand Ier (1367- 1383) établissent une redoutable muraille stratégique autour de leur capitale et ces travaux, menés par tous, puissants et miséreux, au prorata de leurs capacités, ne durent que deux ans en tout et pour tout, de 1373 à 1374 : un exploit. Lisbonne est alors puissante et inattaquable.

Puis, mouvement exactement inverse,  à partir du début du XVe, le Portugal se lance dans  l’exploration du monde connu et inconnu, et, le 7 juin 1494, le traité de Tordesillas répartit l’univers entre le Portugal et son puissant voisin espagnol : à l’un tout l’ouest, à l’autre tout l’est.

Le Portugal, l’un des plus grands royaumes du Monde, devient alors une sorte de vitrine du monde : matières premières, épices, condiments, fruits et légumes inconnus, tissus étonnants et nouveaux, tout se retrouve à Lisbonne. On en découvre, aujourd’hui encore, les reflets dans l’architecture, la diversité des recettes, des techniques artistiques, des façons de tisser et de se vêtir.

Mais survient, en plein XVIIIème siècle, le traumatisme majeur, celui du tremblement de terre. Premier novembre 1755, la terre se fracture et 70 000 personnes trouvent la mort. Il avait été annoncé, ce tremblement de terre, par une quinzaine d’autres dans les cinquante ans qui ont précédé. Mais la catastrophe est gigantesque : le sol se dérobe sous les pieds puis l’eau recouvre le monde. Pour les lisboètes, c’est le nouveau déluge, quelque chose d’un avertissement divin. Et, de ce traumatisme, Lisbonne conserve la cicatrice.

C’est en quoi consiste le quartier de la Baixa : un pansement de pierres posé sur la plaie béante du tremblement. A l’endroit même où celui-ci fut le plus cruel. La Baixa, c’est un ensemble de rues qui se croisent à angles droits et qui alignent des séries d’immeubles à visage unique, superbes de majesté sans ostentation, comme si l’on voulait faire ainsi la nique à la mort, en se montrant plus fort, plus droit, plus élancé.

Sebastiao José de Carvalho e Melo, comte d’Oeiras et marquis de Pombal, est un héros national. C’est lui qui est officiellement chargé de la reconstruction. « Et maintenant ? Nous enterrons les morts et guérissons les vivants. » se serait-il exclamé. Non seulement il s’assure que les nouveaux immeubles correspondent à des normes antisismiques totalement nouvelles à l’époque, mais il dote, en plus, le quartier tout entier d’un système complexe d’égouts et de canalisation qui l’épure totalement et lui confère un confort des plus modernes. Le marquis de Pombal ou Comment métamorphoser l’horreur en une qualité majeure et spectaculaire. Le quartier est devenu un symbole de Lisbonne. Partout ailleurs, la ville serpente ; ici, elle s’affirme dans la rectitude. Ailleurs, elle cahote et bondit ; ici, elle est plane et nette. Ailleurs, elle sinue ; ici, elle est entière et franche.

Et la place la plus emblématique qui borde le Tage, celle qui, autrefois, s’appelait Terreiro do Paço (les lisboètes lui donnent encore ce nom), simplement parce que recouverte de terre, devient la Place du Commerce, Praça do Comercio, pavée de pierres et bordées d’immeubles imposants et d’un arc de triomphe. Les commerçants lisboètes se sont cotisés pour financer la reconstruction de leur ville : on leur rend hommage avec cette nouvelle appellation, c’est leur place. Bel exemple, après l’édification de la muraille d’enceinte en 1373 d’une solidarité municipale qui permettait de rendre la vie et l’espoir à une population tout entière. La ville leur est reconnaissante, comme elle l’est, sur la place Rossio, avec un monument de bronze, aux terrassiers qui pavèrent le sol, petites mains pour une grande édification. Lisbonne est faite de cette solidarité et de cette entraide.

Photos : Alain Girodet, avril 2025, tous droits réservés

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