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Comment fournir des vaccins COVID-19 aux pays en développement tout en conservant les avantages des brevets pour les fabricants de médicaments ?

Par Dalindyebo Shabalala, Professeur associé, University of Dayton

Le monde fait face à un problème d’accès au vaccin contre la COVID-19 : près de la moitié des doses administrées jusqu’à présent l’ont été en Europe et en Amérique du Nord, tandis que de nombreux pays plus pauvres ont vacciné moins de 1 % de leur population.

Les nouvelles variantes du coronavirus augmentant le risque sanitaire. L’Afrique du Sud et l’Inde ont proposé que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) renonce temporairement aux droits de propriété intellectuelle pour les vaccins COVID-19 afin d’aider à accélérer la production.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union européenne ont rejeté cette idée, arguant que les droits de propriété intellectuelle, qui donnent aux créateurs de vaccins le pouvoir d’empêcher d’autres entreprises de reproduire leurs produits, sont nécessaires pour garantir l’innovation et que leur suppression n’entraînerait pas une augmentation de la production. Ils sont maintenant sous pression pour changer d’avis.

Alors, n’y a-t-il que deux voies possibles ? Les brevets restent protégés ou alors on fait fi du respect des brevets ?

Je travaille sur les questions juridiques liées à l’accès aux médicaments depuis 2004 et j’ai participé à ces débats à l’OMC et à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), en collaboration avec des groupes de la société civile et des pays en développement. Je pense qu’il existe une voie médiane : les licences obligatoires.

Quels sont les pays ayant administré le plus de doses de vaccin ?

La distribution de vaccins COVID-19 a varié à travers le monde. Compte tenu de l’approvisionnement limitée, les pays les plus riches ont pu obtenir d’importants contrats de vaccination, tandis que les pays à faible revenu n’en ont pas bénéficié.

Doses de vaccin administrées
Données en date du 13 avril 2021. Les chiffres les plus récents de certains pays datent de la semaine précédente. Des informations détaillées ne sont pas disponibles pour tous les pays.
Certains vaccins requièrent deux doses. Carte : The Conversation/CC-BY-ND – Source : Our World in Data – Get the data

Les gouvernements peuvent déjà contourner les brevets

Lorsqu’un pays approuve un brevet, il accorde au titulaire du brevet un monopole pour une durée limitée, généralement 20 ans, pour des idées nouvelles et hautement inventives.

La promesse d’un monopole incite le titulaire du brevet à prendre le risque de la recherche et du développement et à mettre un produit sur le marché. L’entreprise peut demander un prix élevé pendant une période limitée pour récupérer cet investissement.

L’expression clé est « durée limitée ». Cela permet de s’assurer qu’une fois le brevet expiré, des tiers peuvent fabriquer le produit. Les médicaments génériques en sont un exemple. La concurrence fait généralement baisser les prix et garantit un meilleur accès aux personnes qui souhaitent, ou ont besoin du produit.

Pour les cas d’urgence, le système des brevets dispose d’une série de soupapes de sécurité qui permettent aux gouvernements d’intervenir avant que ce temps limité ne soit écoulé. La soupape de sécurité la plus importante pour la production du vaccin COVID-19 est la licence obligatoire. En fonction des besoins publics, notamment les urgences sanitaires, un gouvernement peut autoriser des tiers à fabriquer le produit, généralement moyennant le versement d’une redevance raisonnable au titulaire du brevet.

Aujourd’hui, tout pays qui a délivré un brevet à un fabricant de vaccins COVID-19 peut utiliser ce brevet simplement en délivrant une licence obligatoire pour permettre la production par ses propres entreprises.

Alors, pourquoi cela ne résout-il pas le problème de l’accès au vaccin COVID-19 ?

Les brevets sur les vaccins s’arrêtent à la frontière

Le même problème s’est posé dans le contexte de l’accès aux médicaments contre le VIH à la fin des années 1990.

Tout comme pour les médicaments contre le VIH à l’époque, la capacité de fabrication des vaccins est aujourd’hui inégalement répartie. La vraie question n’est pas de savoir si un pays comme le Botswana peut délivrer une licence obligatoire permettant à ses entreprises nationales de fabriquer les vaccins ; de nombreux pays ne disposent pas de ce type d’installations de production et, dans de nombreux cas, les médicaments n’y sont même pas brevetés.

La vraie question est de savoir si l’Inde, la Chine ou les Philippines – des pays dont l’industrie pharmaceutique est florissante et où les médicaments sont beaucoup plus susceptibles d’être brevetés? peuvent délivrer une licence obligatoire qui permettrait à leurs entreprises d’exporter vers le Botswana.

Pourquoi cela ne se produit-il pas dans le cadre des règles existantes ?

L’article 31 de l’accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, ou ADPIC, limite les licences obligatoires essentiellement à la production et à l’utilisation nationales. Il ne permet pas à un pays de délivrer une licence obligatoire à une entreprise située en dehors de son territoire. Les pays ne peuvent pas non plus délivrer de licences obligatoires à des entreprises situées sur leur territoire pour produire des produits destinés principalement à l’exportation.

Plusieurs tentatives ont été faites pour résoudre ce problème, notamment une modification de l’accord sur les ADPIC approuvée en 2005. Mais un seul pays – le Rwanda – a utilisé ce système pour accéder aux médicaments. Après un processus de près de deux ans, le Rwanda a pu importer 7 millions de doses du Canada. Toutefois, le fabricant canadien de médicaments génériques, Apotex, a déclaré que le système n’était pas viable économiquement pour une entreprise privée. Lors d’une révision du système en 2010, de nombreux pays en développement ont noté combien il était difficile à utiliser, plusieurs producteurs de médicaments génériques ayant abandonné au milieu du processus.

Le processus nécessite un accord entre les deux pays qui délivrent les licences obligatoires. Il s’accompagne également d’une série d’exigences légales, notamment la production de la seule quantité commandée par le pays importateur, l’utilisation d’un emballage, d’une coloration ou d’une forme entièrement différents pour distinguer le médicament de la production régulière, et le respect de processus spéciaux dans le pays importateur pour empêcher le produit d’être détourné ailleurs. Une licence obligatoire et une ligne de production différentes seraient nécessaires pour chaque pays supplémentaire.

Pour le COVID-19, il y a également un autre problème : les technologies des vaccins COVID-19 sont complexes et impliquent de multiples brevets, secrets commerciaux et savoir-faire. Un système de licence obligatoire devrait porter non seulement sur les brevets, mais aussi sur toute la propriété intellectuelle connexe.

Ce qu’il faut faire

Un consortium international appelé COVAX tente d’étendre les livraisons de vaccins COVID-19 aux pays à faible revenu par le biais d’accords avec les producteurs de vaccins, mais il peine à atteindre son objectif de fournir 2 milliards de doses d’ici fin 2021.

Pour réussir à étendre la production de vaccins, les pays ont besoin d’un système relativement transparent qui permette à un pays comme l’Inde d’accorder une licence unique et globale autorisant ses entreprises à produire des vaccins développés par des sociétés américaines ou européennes pour les exporter vers tous les pays qui ne disposent pas de leur propre capacité de fabrication.

C’est ce que permettrait, à mon avis et idéalement, un système de licence obligatoire mondial fonctionnant correctement. L’octroi de licences obligatoires ne constitue pas une violation du brevet ou de la propriété intellectuelle. Le détenteur des droits est toujours indemnisé, et l’accès est assuré au moment où il est le plus nécessaire.

Doses de vaccin COVID-19 par 100 personnes

La distribution de vaccins COVID-19 a varié à travers le monde. Compte tenu de l’approvisionnement limitée, les pays les plus riches ont pu obtenir d’importants contrats de vaccination, tandis que les pays à faible revenu n’en ont pas bénéficié.

Doses par 100 résidents
Données en date du 13 avril 2021. Les chiffres les plus récents de certains pays datent de la semaine précédente. Des informations détaillées ne sont pas disponibles pour tous les pays.
Certains vaccins requièrent deux doses. Carte : The Conversation/CC-BY-ND – Source : Our World in Data – Get the data

La proposition de dérogation aux droits de propriété intellectuelle de l’OMC vise à répondre à ce besoin, mais elle pourrait être plus large que nécessaire. À mon avis, une meilleure solution consisterait à faciliter le recours aux licences obligatoires pour l’ensemble des droits de propriété intellectuelle nécessaires au développement de la fabrication de vaccins.

La suppression des limitations imposées par l’accord ADPIC sur la production pour l’exportation permettrait à un pays comme l’Inde, à la demande d’un pays admissible, d’émettre des licences obligatoires générales couvrant toutes les technologies de vaccins COVID-19, de fixer les prix de compensation et de permettre l’exportation des vaccins vers plusieurs pays simultanément.

L’entreprise fabriquerait le vaccin dans ses installations existantes et serait autorisée à constituer des stocks en vue de commandes futures. Les demandes supplémentaires d’autres pays pourraient être satisfaites à partir de la même chaîne de production, sur la même base, ce qui garantirait un modèle commercial durable. Le titulaire du brevet, par exemple Moderna, peut perdre le contrôle du marché, mais il conserve son droit d’être indemnisé, comme il est normal pour toute licence obligatoire.

Cela fait partie de l’accord que Moderna et Pfizer ont conclu lorsqu’ils ont obtenu la protection d’un brevet.

Le résultat pourrait être une augmentation rapide de la fabrication de vaccins qui atteindrait les pays qui ont été laissés de côté. Sans vaccinations mondiales, il est difficile d’envisager la fin de cette pandémie. Cette situation d’urgence est exactement ce pour quoi le système des brevets est conçu, si on lui permet de fonctionner correctement pour le détenteur du brevet et pour le public.

Traduit par Citizen4Science – Article original paru dans The Conversation : Lien vers l’article

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