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Crises liées au plafond de la dette : brève histoire du chaos politique qu’elles déclenchent

Note de la Rédaction : Trois crises de la dette vues de l’intérieur aux États-Unis, assorti d’une brève histoire de ce phénomène riche en épopées, et en dangers !

par Raymond Scheppah, Professor of Public Policy, University of Virginia, États-Unis

Les États-Unis ont connu de nombreuses crises budgétaires, soit que le Congrès n’ait pas réussi à adopter un budget à temps, soit qu’il y ait eu des doutes quant au relèvement du plafond de la dette fédérale, ce qui aurait pu entraîner un défaut de paiement des États-Unis.

Ces deux types de crises peuvent parfois se dérouler en même temps. Un budget fédéral n’a pas été adopté à temps, par exemple, et il y avait des menaces de ne pas relever le plafond de la dette.

J’ai travaillé comme directeur adjoint du Bureau du budget du Congrès et comme directeur exécutif de l »Association nationale des gouverneurs, et j’ai été le témoin direct d’une grande partie des querelles au Congrès pendant ces crises.

Depuis 1976, il y a eu 22 fermetures du gouvernement fédéral en raison de l’absence d’un budget fédéral.

Bien que ces événements aient été très perturbateurs et aient porté atteinte à l’économie et à l’emploi, ils ne sont pas à la hauteur des effets potentiels d’un non relèvement du plafond de la dette, qui pourraient être catastrophiques. L’ensemble du système financier international pourrait s’effondrer. Cela pourrait à son tour dévaster le produit intérieur brut mondial et créer un chômage de masse.

Heureusement, les États-Unis n’ont jamais connu de défaut de paiement. Le plafond de la dette a été relevé 78 fois depuis 1917 et s’élève actuellement à 31 400 milliards de dollars.

Voici trois crises liées au plafond de la dette que j’ai observées et qui ont eu des conséquences non seulement économiques mais aussi politiques.

1995 : Une révolution mais aussi une erreur du Parti républicain

Souvent, une crise du plafond de la dette est précédée d’une élection qui entraîne un changement majeur dans le contrôle du Congrès. Lors des élections de mi-mandat de 1994, pendant le premier mandat du président Bill Clinton, les républicains ont gagné huit sièges au Sénat et 54 sièges à la Chambre des représentants, renversant ainsi les deux chambres. Ces élections ont été considérées comme une révolution républicaine. Bob Dole est devenu le chef de la majorité au Sénat et Newt Gingrich le président de la Chambre des représentants.

Les législateurs du Parti républicain s’engagent à adopter un budget équilibré dans le cadre de ce qu’ils appellent leur « Contrat avec l’Amérique ». Les républicains de la Chambre envoient à Bill Clinton un budget réduisant les dépenses pour les programmes nationaux, et ce dernier oppose son veto. Ce veto a entraîné la fermeture du gouvernement fédéral pendant cinq jours.

Newt Gingrich menace alors de ne pas augmenter la limite de la dette. Un article du Washington Post a décrit les actions du leader de la Chambre des représentants comme suit : « Le président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, a menacé hier de mettre le gouvernement en défaut de paiement pour la première fois dans l’histoire, à moins que le président Clinton ne se plie aux exigences des républicains en matière d’équilibre budgétaire ». Bill Clinton répond à la dernière offre budgétaire du Parti républicain par un second veto, ce qui entraîne une fermeture du gouvernement plus longue, soit 21 jours.

Finalement, les républicains adoptent un budget proposé par Bill Clinton et relèvent également le plafond de la dette.

Cette impasse comportait des aspects uniques. Bob Dole n’était pas intéressé par la poursuite des négociations, car il se présentait à l’élection présidentielle. Newt Gingrich s’est plaint d’avoir été snobé par le président alors qu’il voyageait avec lui à bord d’Air Force One, et la presse a fait ses choux gras de ces commentaires, établissant un lien entre le « shutdown » (arrêt de l’activité, ndlr) et le fait d’avoir été snobé. Les sondages montrent de plus en plus que les républicains sont tenus pour responsables du shutdown : selon un sondage ABC de 1995, 46 % des personnes interrogées accusent les républicains, contre 27 % seulement pour les démocrates.

La presse et les parlementaires démocrates se sont moqués de la colère du président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich,
face à ce qu’il considère comme une rebuffade présidentielle.

2011 : Réductions budgétaires et réformes accompagnées d’un chaos financier

Comme en 1995, la crise de 2011 s’est produite après une élection et un changement de pouvoir majeur au Capitole.

Les élections de 2010, au milieu du premier mandat du président Barack Obama, voient les Républicains gagner sept sièges au Sénat, mais pas encore la majorité, et un gain net de 63 sièges à la Chambre des représentants, faisant du Parti républicain la majorité. La Chambre exige alors que M. Obama négocie un programme de réduction du déficit en échange d’un relèvement du plafond de la dette.

À l’approche de l’échéance fixée pour le relèvement du plafond de la dette, les marchés financiers américains et même internationaux deviennent chaotiques. Le S&P 500 chute de 17 % et les taux obligataires grimpent en flèche. Le 5 août 2011, l’agence de notation Standard and Poor’s réduit la note de la dette à long terme du gouvernement américain, pouvant potentiellement entraîner une hausse des taux d’intérêt sur cette dette.

Le 31 juillet 2011, deux jours seulement avant que le gouvernement américain ne se retrouve à court d’argent, un accord est conclu entre le Congrès et Barack Obama qui, une fois promulgué, devient la loi de 2011 sur le contrôle budgétaire (‘Budget Control Ac’). Elle a permis de réduire les dépenses de 917 milliards de dollars au cours des dix années suivantes et de relever le plafond de la dette à 2 100 milliards de dollars.

La loi comprend également plusieurs réformes budgétaires – une concession faite aux républicains par Obama et les démocrates – dont la création d’un comité mixte du Congrès chargé de formuler des recommandations sur la réduction du déficit. Elle prévoit également une disposition automatique de réduction du budget en cas d’inaction du Congrès.

2013 : « Nous n’avons rien obtenu »

Le président républicain de la Chambre des représentants des États-Unis, John Boehner, le 8 octobre 2013, au huitième jour de la fermeture du gouvernement en raison de la crise liée à la limite de la dette.
Saul Loeb/AFP via Getty Images

En janvier 2013, le plafond de la dette fixé en 2011 est atteint et le département du Trésorprend des mesures extraordinaires pour continuer à financer les dépenses nécessaires.

Il décide notamment de ne pas cotiser aux fonds de retraite des fonctionnaires fédéraux et d’emprunter à des fonds fiduciaires tels que la sécurité sociale.

Le Trésor indique au Congrès que ces mesures extraordinaires visant à éviter le défaut de paiement devraient être épuisées à mi-octobre 2013 et que la limite de la dette serait alors atteinte, ceci signifiant que les États-Unis ne pourront plus emprunter d’argent pour payer leurs factures.

Dans le même temps, les républicains, qui contrôlent la Chambre des représentants, exigent des coupes budgétaires ainsi que des changements de politique. Ils veulent que M. Obama supprime le financement de sa loi sur les soins abordables (‘Affordable Care Act’), considérée comme sa principale réalisation législative.

Le gouvernement a fermé une fois de plus, pendant 16 jours. Une fois de plus, le soutien de l’opinion publique à l’approche républicaine commencent alors à s’éroder. Cela a conduit le parti républicain à capituler et à adopter un budget qui n’incluait pas de réductions significatives et qui relevait le plafond de la dette, le tout lors d’un vote qui a eu lieu la veille du jour où le gouvernement devait être à court d’argent.

« Nous n’avons rien obtenu » déclare le représentant républicain conservateur Thomas Massie, du Kentucky.

Risques pour les deux parties

Il est difficile de prédire comment la crise potentielle de 2023 sur la limite de la dette sera résolue – chaque crise est unique et dépend des dirigeants spécifiques des deux parties ainsi que de la façon dont le public réagit à la crise.

L’histoire montre qu’il existe des risques substantiels pour les deux partis et leurs dirigeants respectifs alors que la nation se dirige vers l’épreuve de force de début juin. La crise de 1995 n’a pas profité aux républicains, et certains affirment même qu’elle a contribué à la réélection de Bill Clinton.

En 2011, je dirais que les républicains ont obtenu des démocrates des concessions substantielles en matière de réduction et de réforme du budget. Mais le manque de soutien à la position républicaine en 2013 les a amenés à céder.

La crise de 2023 qui se profile est semblable à celles de 1995 et de 2011 en ce sens qu’elle a été précédée d’une élection qui a fait basculer la majorité à la Chambre des représentants. Mais elle diffère considérablement par la taille de cette majorité. Avec une majorité de seulement quatre sièges, les risques pour les dirigeants républicains sont élevés.

Si l’impasse se prolonge et que les marchés financiers réagissent comme ils l’ont fait lors des crises précédentes, les enjeux pour les deux partis et leurs deux dirigeants respectifs sont énormes et ne cesseront de croître avec le temps. Cela pourrait bien affecter la réélection du président Joe Biden et la longévité de l’actuel président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy.

Image d’en-tête : Le Capitole, Washinton, États-Unis

Texte paru initialement en anglais dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction étant protégée par les droits d’auteur, cet article traduit n’est pas libre de droits. Nous autorisons la reproduction avec les crédits appropriés : « Citizen4Science/Science infuse » pour la version française avec un lien vers la présente page.

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