Déontologie médicale : L’Ordre des médecins publie les dix commandements du médecin créateur de contenus sur les réseaux sociaux
Cette charte vise protéger les usagers en matière de santé mais aussi à préserver l’image de la profession médicale et empêcher certaines dérives, à l’heure où les réseaux sociaux sont une précieuse source d’information et d’échange, mais aussi source de dangers et dévoiements ; notre analyse : les médecins en recherche de notoriété, format influenceurs et militants numériques sont visés et vont devoir modifier leurs pratiques de communication sur les plateformes
Ce sont les règles d’or à respecter par les médecins qui publient sur des plateformes internet ou interviennent sur les réseaux sociaux. Ils sont parus en janvier dernier, avec l e leitmotiv suivant : la nécessité d’une information médicale rigoureuse. L’Ordre des médecins le voit comme une arme de défense préventive contre les fausses informations (« fakenews« ) médicales qui se développent et peuvent devenir virales sur les réseaux sociaux, lieux où le grand public va souvent chercher ses informations, justement. Or, et notamment à la faveur de la crise sanitaire du Covid-19, la désinformation médicale a pris dans l’ampleur, profitant d’une période incertaine et de la défiance en la science, parfois instillée malicieusement par des profiteurs de crise.
Les fondements dans le Code de déontologie médicale
Rappelons l’article 13 du Code de déontologie médicale (article R.4127-13 du code de la santé publique), qui s’applique aux actions d’information du public « à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire » . Dans ce cadre, le médecin ne doit faire était que de données éprouvées, être prudent et se soucier des « répercussions de ses propos » auprès du public. Second point, particulièrement intéressant : lors de ces actions de communication, le médecin ne doit pas avoir en tête de « tirer profit de son intervention dans le cadre de son activité professionnelle, ni à en faire bénéficier des organismes au sein desquels il exerce ou auxquels il prête son concours. Enfin, il ne doit pas non plus viser à « promouvoir une cause qui ne soit pas d’intérêt général ».
L’article 14 stipule aussi que les procédés nouveaux de diagnostic ou de traitement donc non suffisamment éprouvés ne doivent pas être divulgués au « public non médical ». En miroir, on a l’article 39 qui interdit la pratique du charlatanisme.
L’article 19 est clé, décrivant les caractéristiques d’une communication professionnelle que le médecin doit par obligation adopter. Tout d’abord, il rappelle que le médecin peut librement communiquer au public « par tout moyen, y compris un site internet » ses compétences, pratiques et parcours professionnels. En toute déontologie, c’est-à-dire : une communication « loyale et honnête », qui « ne fait pas appel à des témoignages de tiers, n’est pas basée sur « des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements », n’incite pas à la surconsommation inutile de soins ou d’actes de prévention.
L’article précise, à nouveau, l’importance de se baser sur des données et informations étayées, et non présenter comme acquises des hypothèses non encore confirmées.
On peut rappeler aussi l’article 31 qui requiert que le médecin s’abstienne de « tout acte de nature à déconsidérer » la profession, et ce même « en dehors de l’exercice » de celle-ci.
Enfin, quand on parle de communication du médecin, on ne peut oublier non plus son obligation de secret médical (article 4).
2018 : Les recommandations du rapport « Déontologie médicale sur le web »
Il s’agit de la première formalisation de recommandations sur la production de contenus sur internet par les médecins. Les principes énoncés reprennent principalement des éléments fondateurs du Code de déontologie médicale. Cela reste des recommandations, d’ordre général.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins y établit cinq principes : le respect de la dignité et de la probité, qui stipule que les publications des médecins sur internet doivent être conformes à l’honneur de la profession, éviter toute polémique inutile ou atteinte à la réputation des confrères ; l’exactitude scientifique : Les informations diffusées doivent reposer sur des données validées et ne pas induire en erreur le public ; l’interdiction de publicité : Un médecin ne peut pas utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir ses services ou faire de la publicité directe ; le respect de la confidentialité, à savoir l’interdiction de publier des données permettant d’identifier un patient ; et enfin, la nécessité d’être prudent dans les échanges publics : Les médecins doivent éviter de donner des conseils médicaux personnalisés dans des espaces publics, car cela pourrait engager leur responsabilité.
2025 : Les dix commandements pour les contenus sur réseaux sociaux et plateformes
Cette charte passe des recommandations à l’engagement actif des médecins à les respecter. La crise du Covd-19 et ses profiteurs, ainsi que le rapport de l’Ordre des médecins sur les pratiques non conventionnelles en santé publié en 2023 sont passés par là, dénonçant de nombreux abus sur les réseaux sociaux, y compris par des médecins et autres professionnels de santé.
En bas de cet article se trouve l’intégralité de la Charte du médecin créateur de contenu responsable, que nous nous proposons d’analyser et commenter.
1– Je pourrai intervenir sur les réseaux sociaux et plateformes en tant que médecin pour délivrer du contenu pédagogique s’adressant à des confrères, des étudiants, ou d’autres professionnels de santé, du contenu médical et scientifique vulgarisé visant à sensibiliser et informer le grand public, ou tout autre contenu concernant des thématiques de santé.
À ce stade préliminaire, rien à signaler – l’information du public en matière de santé fait partie de la mission du médecin.
2– J’utiliserai le terme docteur dans mon pseudonyme seulement si j’en possède effectivement le titre et je m’engagerai à informer l’ordre de cette activité.
Voilà qui pourra laisser perplexe certains lecteurs, considérant qu’un médecin est de toute façon docteur. Et bien il existe une période où il ne l’est pas pendant la seconde partie de son parcours étudiant ; car pour être docteur, il faut avoir obtenu son doctorat. Le doctorat de médecine est acquis après que le diplôme ait été décerné à l’étudiant ; avoir présenté sa thèse ne suffit pas. L’article « On peut être médecin sans être docteur (et inversement) ! » évoque le sujet en détaillant le parcours de l’étudiant en médecine.
En pratique, ce commandement numéro 2 est utile. On a vu des étudiants en médecine de 3e ou 4e année se présenter, parfois à la faveur du pseudonymat, se présenter comme docteur, voire médecin spécialiste ou généraliste.
Ces dernières années, c’est la crise sanitaire et l’affaire du Professeur Raoult et son hydroxychloroquine qui ont été alimenté la génération spontanée d’experts médicaux autoproclamés toujours très spécialisés dans les sujets qui font le buzz. Des docteurs en chimie, sociologie, histoire ou informatique donnent ainsi de véritables cours de médecine ou de pharmacie, n’hésitant pas à leurrer le public en affichant leur titre de « Dr ».
3– Je m’astreindrai à produire un contenu daté, avec sources explicites et détaillées que je m’efforcerai de mettre à jour.
Source et dater ses informations, c’est la base de la bonne gestion de l’information. Respecter ce commandement, cela implique de changer drastiquement le mode de communication sur les réseaux sociaux et plateformes, où les échanges sont plutôt basés sur l’argument d’autorité, l’appel à l’émotion voire l’agressivité. Sourcer et dater ses affirmations n’a rien de sexy ni vendeur. S’y astreindre pour les médecins en recherche de notoriété est un défi.
4– Je n’utiliserai pas de moyens payants pour mieux référencer mon contenu et je respecterai les règles en matière d’influence responsable en mentionnant mes partenariats dans mes contenus.
Voilà un commandement qui remet en question les pratiques de médecins qui sont où se rêvent influenceurs sur les réseaux sociaux. On les retrouve sur la sulfureuse plateforme X (ex Twitter) d’Elon Musk, avec des abonnements payants visant à promouvoir leurs contenus, dans une course à l’audience et aux suiveurs. L’abonnement Premium leur permet d’être rémunérés par la plateforme en tant que créateur de contenus. Une véritable relation d’affaires avec le patron milliardaire de X par monétisation des contenus, un Musk que souvent, ironiquement, ils critiquent vertement. Le populisme sur les réseaux sociaux n’est pas un vain mot.
Vont-ils donc abandonner leur coche bleue, signe distinctif des surfeurs de vague sur les réseaux sociaux et abandonner leur abonnement payant, leurs revenus sur les plateformes, et la mise à disposition d’outils de suivi de leur progression en notoriété et en influence que leur offrent ces plateformes partenaires ? Ils y sont désormais tenus, pour des raisons éthiques et déontologiques clairement énoncées.
5- Je ne donnerai aucun conseil médical personnalisé sur les réseaux sociaux et plateformes à des utilisateurs.
Pendant la pandémie de Covid-19, des internautes zélés, non professionnels de santé mais jouant au docteur sur Twitter ont dispensé des conseils publiquement, voire proposé une sorte de permanence sur leur messagerie Twitter pour conseiller individuellement les demandeurs sur la vaccination. On a vu également la création d’une boîte de messagerie anonyme alimenté par un groupe de militants RS qui indiquait avoir des médecins et pharmaciens en son sein et pouvoir répondre aux questions et donner des conseils individuels les internautes. La tentation est parfois forte. Ainsi, ce point de la charte interdit ce genre de pratique. Quand on a une question sur sa santé et pour avoir des conseils personnalisés, une seule réponse possible sur les réseaux sociaux : consultez votre médecin ou votre pharmacien.
6- Je ne ferai ou je n’encouragerai la promotion d’aucune pratique ou thérapeutique non validée scientifiquement.
Évidemment ici , on pense immédiatement aux nombreuses pratiques et remèdes charlatanesques vendus sur les réseaux sociaux. On peut penser qu’elle n’émanent pas de professionnels de santé ; pourtant l’existence-même de ce 6e commandement montre que les médecins peuvent y céder. Cela a été le cas de Didier Raoult, l’ex-patron de l’IHU Marseille qui a abondamment promu l’hydroxychloroquine pour le Covid-19, alors que la molécule n’a jamais montré son efficacité dans cette indication. Plus délicat, le cas des produits de santé officiellement reconnus comme des médicaments, et donc enseignés dans les facultés. Le cas de l’homéopathie est exemplaire : c’est une thérapeutique précisément on validée scientifiquement. Des médecins sur les réseaux sociaux la promeuvent car ils peuvent en être prescripteurs ou tout simplement la défendre car selon eux sans danger. D’autres vont au contraire, peu confraternellement, viser les pharmaciens d’officine, pourtant tenus d’avoir de l’homéopathie en stock. Là-dessus, l’Ordre des médecins n’assume pas ses propres contradictions puisque corporatiste, on ne le voit pas lutter pour supprimer la spécialisation de médecins en homéopathie, par exemple. D’autres pratiques non éprouvées existent avec le même problème, comme l’ostéopathie, certains actes étant sous monopole médical.
7- Je ne ferai sur les réseaux sociaux et plateformes aucune promotion de ma propre activité et pratique médicale.
Là, nous avons encore une fois un problème, car sur les réseaux sociaux, les médecins en recherche d’influence (et souvent d’argument basé sur l’autorité), vont souvent faire référence à leur cabinet, clinique, hôpital), parfois indiqué comme un panneau publicitaires sur les plateformes. Simple volonté de transparence quant à leur activité ou affiliation médicale ou publicité ? C’est compliqué de trancher, sauf à explorer les contenus publiés. Il peut être utile d’aller voir la vitrine internet du praticien si elle existe : s’il y fait de la publicité pour ses comptes de réseaux sociaux, on pourrait le voir comme de l’auto-promotion multicanal et croisée.
8- Je ne créerai pas de contenu faisant la promotion commerciale de tout produit de santé, médicament ou dispositif médical.
9- Je serai prudent dans les contenus délivrés et modéré dans mes propos et interactions avec les autres utilisateurs.
Sur les réseaux sociaux, la notoriété est plutôt inversement corrélé avec la modération. En pratique, pour avoir de l’engagement, il vaut mieux être dans l’émotion et l’indignation, tranché, binaire et excessif. Voilà comment se pose la difficulté pour les médecins en recherche d’influence sur les réseaux : pour respecter ce commandement, il va falloir accepter de ne plus faire la course aux « likes » et « followers ». On est dans une problématique qui est associée aux abonnements payants sur les plateformes.
10 – J’utiliserai tous les moyens que les réseaux sociaux et plateformes mettent à disposition aux médecins pour s’identifier en tant que médecin, pour indiquer mes qualifications médicales reconnues par l’ordre et pour qualifier mon contenu de « contenu de santé ».
Il y a ici une volonté de l’Ordre de demander aux médecins d’obtenir que leurs contenus soient labellisés « santé » et donc de qualité. Encore faudra-t-il aussi s’engager à respecter la charte…qui finalement, dit que des qualifications médicales ne suffisent pas pour produire du contenu de qualité.
Alors, qui osera afficher publiquement cette charte et s’engager à la respecter ? Cette charte s’adresse visiblement aux médecins qui veulent être influenceurs et sont gros producteurs de contenus numériques sur leurs comptes de réseaux sociaux. Or, On l’a vu, certains médecins, véritables militants sur la toile, sont loin de cocher toutes les cases de cette charte parmi : auto-promotion et/ou de son cabinet, paiement des plateformes pour renforcer sa visibilité donc l’auto-promotion, discours non mesuré,… etc. On pourrait aussi parler du militantisme politique sous couvert de science ou d’argument d’autorité.
Tout cela rend les actions de communication digitale des médecins concernés problématique, car manifestement non éthique et déontologique, référence ordinale désormais à l’appui. Au moins, le cadre est posé.

Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused
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