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L’histoire rocambolesque d’un coup médiatique d’activistes de réseaux sociaux autour de l’affaire Raoult

C’est une histoire vraie relatée ici sous l’angle de la sociologie des réseaux sociaux, une saynète parsemée de luttes de clans Twitter et de leurs tentatives pas toujours orthodoxes pour percer hors de leur bulle

On ne traitera pas ici d’un sujet de fond à l’origine de tout car il est entendu : la lutte contre la mauvaise science et les essais cliniques illégaux est parfaitement légitime et même cruciale. Cela étant dit, la façon de la mener et la crédibilité de qui se saisit de cette noble cause peut avoir un impact fort sur l’efficacité des actions.

Sur les réseaux sociaux et en lien avec cette lutte, au fil du temps des groupes d’influence en opposition se sont radicalisés autour de Didier Raoult. Fraîchement retraité de l’IHU Marseille mais toujours sur le devant la scène car relayé sans cesse par ces deux clans qui l’entourent et le scrutent, il est devenu tristement célèbre pour avoir promu l’hydroxychloroquine pendant la pandémie de Covid-19, l’administrant dans le cadre d’un protocole pendant 2 ans à plus de 30 000 patients hors de tout cadre légal et éthique.

Aujourd’hui, deux à trois an plus tard, dans le cadre de cette radicalisation se font face deux groupes : les « pro-Raoult », menés par la garde rapprochée de l’ex-professeur de l’IHU Marseille ; depuis le début ils s’en sont pris, pour protéger leur maître à penser, au camp « d’en face », des scientifiques et citoyens portant la voix du consensus médical, s’opposant ainsi aux thèses du professeur Raoult. Ces derniers au départ essentiellement « pro-science » se sont transformés au fil du temps en « anti-Raoult » avides de sanctions pour l’intéressé et son équipe, dans un contexte d’expéditions punitives de part et d’autre et de « populisme juridique » : on brandit des actions en justice contre des membres de l’autre clan, transformant assurément le combat en bagarres de personnes d’autant que l’usage est de les étaler sur internet.


Ces clans en opposition vivent en bulles étanches sur les réseaux sociaux et ne se parlent guère directement. Leurs membres jouent les influenceurs chacun devant leur auditoire déjà acquis à leur cause, attaquant l’autre clan à coup de démonstrations virulentes pour se faire applaudir. Si chez les pro-Raoult, le héros est sans contexte le professeur Raoult, dans le clan anti-Raoult c’est un peu la compétition pour se placer sur le devant de la scène à coup de « factchecks » démonstratifs ou comme chef de clan se drapant de vertu. Certains finissent par avoir soif de reconnaissance au-delà du réseau social.

Le but de ce récit n’est pas de stigmatiser des personnes mais de montrer une convergence frappante des comportements de clans en opposition et comment des activistes de réseaux sociaux pas forcément légitimes tentent de franchir la barrière de la jungle des plateformes, profitant parfois de la négligence ou de la complaisance des médias.

D’ « experts » en pagaille…

Depuis le début de la pandémie de Covid-19 ayant généré « 60 millions de covidologues« , les médias subissent l’appel du pied de passionnés ou d’opportunistes qui se sont bombardés experts en santé. Cela offre des choses assez bizarres dans les journaux et sur les plateaux avec par exemple dernièrement des « expertises » des données médicales de l’étude « sauvage » de Didier Raoult par des statisticiens spécialistes de l’analyse des sols ou de l’océan, et des critiques sur ses aspects réglementaires par diplômé de biologie ou profs de maths. Pourtant, ceux-là mêmes s’indignaient au début de la pandémie de voir de faux experts invités par les médias, comme des sociologues expertisant des données de pharmacovigilance ou des historiens et autres professeurs de physiologie reconvertis pour l’occasion dans l’épidémiologie. Finalement, on voit que chacun roule pour sa « boutique » au-delà de ses grands principes et des causes défendues.

…à « présidente » en one-man show

Si cette immixtion de plus en plus marquée des influenceurs de réseaux sociaux dans les médias est particulièrement inquiétante, elle offre aussi des aventures divertissantes mais parfois peu reluisantes, remplies de péripéties improbables.

On monte aujourd’hui d’un cran dans l’art du spectacle car après le défilé des faux experts, voici l’histoire de l’irruption brutale dans les médias d’une association de victimes, mais sans victimes à son bataillon, avec une présidente sans représentation légale et non élue par un conseil d’administration inexistant, et au passé qui interroge.

Le décor est planté avec ce scénario type vaudeville centré sur une personne, prometteur de quiproquos et de comique de situation.
On ne peut que souhaitet bon courage à l’unique protagoniste, qui va se lancer sans filets, en s’inquiétant par anticipation tout de même de sa témérité à se lancer ainsi dans un tel guêpier.

Clap d’ouverture scène 1 : Le scénario apparemment bien en tête, la « présidente » se voit offrir quelques lignes d’entretien dans un journal à l’occasion de l’interview du coordinateur d’une tribune de sociétés savantes qui dénonce l’inaction des autorités face aux dérives du Professeur Raoult.

La machine médiatique est lancée et l’on découvre un nom parfaitement inconnu du public, Amélie Boissier Descombes. Elle annonce son statut de présidente de « l’association de victimes d’essais cliniques non autorisés ». Elle prétend ainsi porter la voix de plus de 30 000 patients du Pr Raoult ayant reçu de l’hydroxycholoroquine.

La preuve en est pour qui voudrait le vérifier, que cette entité se matérialise … en tout et pour tout par un « compte Twitter officiel » de l’association officieuse, arborant son logo, qui semble sorti à la va-vite de Word ou Powerpoint. Ce compte, de génération spontanée quelques jours avant cette première sortie médiatique de la « Présidente ». se mettra alors en activité pour diffuser les sorties médiatiques du leader de l’association, après un cafouillage d’entrée sur le nom de l’association qui change en cours de route car il ne correspond pas à l’acronyme choisi…

La « Présidente » vient très vite confirmer le script dans une émission TV de grande écoute, au cours d’un entretien avec un animateur vedette de la chaîne. Et voilà qu’un visage inconnu vient s’associer au nom jusqu’ici inconnu. Mme Boissier Descombes confirme être « Présidente » de l’association et M édecin généraliste. Aucun autre fondateur, administrateur ou membre de l’association ne sera évoqué, ni même l’histoire de cette initiative. D’ailleurs cela ne semble pas intéresser le journaliste présentateur qui s’interroge plutôt sur la réaction que Didier Raoult va avoir.

Activation des vérificateurs

Mais déjà sur Twitter, cela s’agite du côté des pro-Raoult voyant poindre le danger pour leur maître. Des investigations sont lancées, une routine de veille se met en place : On recherche chaque jour des traces de l’enregistrement de l’association mais rien ne vient poindre à l’horizon du Journal officiel. Quelqu’un fait remarquer qu’il existe des associations « de fait », tout à fait informelles donc non déclarées. Un autre dit que ça ne tient pas car dans ce cas il ne peut pas y avoir dans un tel cas de Président, représentant légal élu par un conseil d’administration, réservé aux associations déclarées. Un autre surenchérit qu’une association de victimes a pour fondement d’agir légalement, ce qui implique d’être déclarée, évoquant ici qu’il ne s’agit pas d’un » club de pétanque ».
En résumé, rien ne colle.

Quoi qu’il en soit, les « pro-Raoult » ne manquent pas, à raison, de fustiger les médias qui n’ont pas été professionnels ; ils s’indigent de faire le job de vérification élémentaire à leur place, à savoir vérifier l’enregistrement de l’association et vérifier ses statuts (si tant est qu’ils avaient existé !).

Paraissent alors des articles qui confirment que l’association n’existe pas encore : un article l’annonce « en cours de constitution, un autre le dépôt des statuts « la semaine prochaine ». Les jours, « la semaine prochaine » passent, et toujours rien dans les registres officiels.

Coups de théâtre

Un avocat pro-Raoult et défenseurs d’antivax bien connu, Fabrice Di Vizio, annonce alors sur Twitter une révélation fracassante à venir sur une anti-Raoult. Il précisera ensuite qu’il s’agit de fraude à un examen de médecine. Tout le monde pense à un coup bas visant la « Présidente » et les pro-Raoult se délectent déjà de voir cette nouvelle venue bombardée dans les médias se faire remettre à sa place. Les révélations de l’avocat les satisferont : il fera quelques jours plus tard le récit, soi-disant à base de témoignages de camarades de promotion, d’une fraude à un examen de médecine pour tentative de substitution de copie, assorti de plusieurs années d’interdiction à la faculté. Les pro-Raoult jubilent, les anti-Raoult trouvent ça trop gros pour être vrai et soupçonnent un très méchant canular. Quoi de plus discréditant et ironique, il est vrai, qu’un délit de fraude pour quelqu’un qui se targue de défendre les victimes d’un fraudeur. Plus tard, à l’appui de ses révélations, l’avocat produit un document de sanction disciplinaire qui ne peut qu’impressionner : le délit est bien décrit, la date, sur papier à en-tête de l’université concernée notifiant la sanction d’annulation de l’épreuve et 2 ans d’interdiction d’examen. Mais… le nom du destinataire de la sanction n’apparaît pas sur cette pièce à conviction, où seule une « Madame X » est identifiée.

Les anti-Raoult rétorquent : la fameuse preuve n’existe pas et cette anonymisation volontaire prouve que c’est une tentative de discrédit montée de toute pièce qui ne concerne pas Mme Boissier-Descombes. En vérité, rien d’étonnant : les sanctions disciplinaires sont destinées à être placardées dans l’établissement concerné. Il est d’usage et c’est dûment prévu par le code de procédure disciplinaire à l’égard des usagers (les élèves) de l’enseignement supérieur que le nom de la personne sanctionnée puisse être remplacée par Madame X ou Monsieur X à l’évidence pour ne pas la stigmatiser.

Comme si cela n’était pas suffisamment embarrassant, une seconde rumeur se met à circuler : la « Présidente » serait une anti-Raoult notoire très active sur Twitter et sous pseudonyme avec un titre affiché de « Médecin spécialiste », et qualifiée par les « pro-Raoult » de personne agressive et peu recommandable.
Peu après, une journaliste d’investigation indépendante ayant subi des attaques violentes du compte anonyme en question les dévoile, ne mâchant pas ses mots et l’accusant d’être l’organisatrice d’un harcèlement en meute sur des cibles. Et surtout, elle affirme que ce compte de « Médecin spécialiste » est celui de Mme Boissier Descombes. Elle subira en retour des attaques nourries d’anti-Raoult qui démentent tout lien de ce compte avec la « Présidente » et n’hésitent pas à parler paradoxalement de « doxxing » du compte pseudonyme.

En parallèle, les pro-Raoult s’activent et font des recherches sur la « Présidente », et c’est une curée : on brandit un statut d’étudiante en médecine dans une base de données publique. Des accusations d’usurpation de titre fusent parce que depuis début 2020, son compte Twitter anonyme affiche ce titre de « Médecin spécialiste » et qu’elle a été présentée à la télévision comme médecin généraliste et a acquiescé. Impitoyables, les « pro-Raoult » vont chercher son classement dans les épreuves nationales de 3e cycle de médecine et se réjouissent de la trouver dans les dernières places (environ 8300 sur 8700)…en 2019, ce qui impliquerait qu’elle n’est ni médecin généraliste depuis peu et encore moins médecin spécialiste depuis 2020. Allant encore plus loin, ils remettent en cause son statut de « docteur », car ils ne trouvent pas de thèse d’exercice dans les bases de données officielles où figurent toutes les thèses soutenues.

Article anti pro-Raoult

Alors que le compte Twitter « officiel « auto-réalisateur » de l’association dont il n’est trace nulle part semble mis en veille, un article dans un journal paraît récapitulant les événements, assorti de recherches et de réactions de Mme Boissier-Descombes. On se dit qu’enfin on va avoir le fin mot de cette histoire.
Le titre la qualifie d' »anti-Raoult« . Mais les anti-Raoult n’apprécient pas d’être vus ainsi. prennent à parti la journaliste sur Twitter et réclament un changement de titre. Elle est accusée de ne rien comprendre : leur camp c’est les « pro-science » ! il faut bannir ce terme « anti-Raoult ». La demande est claire, appuyée, relayée, insistante : il faut changer le titre. Ce sera fait quelques heures plus tard… Voilà l’ordre des choses rétablies : le fil conducteur de l’article, c’est la « haine en ligne » des pro-Raoult.

Sur le fond : la journaliste a fait des investigations, qui confirment l’absence d’association enregistrée. On le savait, il suffit de regarder le Journal officiel, comme l’ont fait les vérificateurs chaque jour. Concernant le flagrant délit de fraude, manque de chance, l’université n’en a plus la moindre trace de la sanction qui date d’il y a une dizaine d’années. La journaliste pour autant, ne juge pas utile de demander à l’intéressée ce qu’il en est. Pas de démenti à se mettre sous la dent, ce qui est vite considéré comme une confirmation implicite de la fraude par les pro-Raoult. Pour la thèse d’exercice de médecine de la « présidente », cette dernière déclare l’avoir soutenue quelques semaines plus tôt, mais la journaliste ne fait pas était de vérifications, se contentant de relayer la parole de l’intéressée.

L’article un peu tendancieux dénonce abondamment les attaques subies par la Mme Boissier-Descombes suite à cette histoire abracadabrante, pointant le clan Raoult, mais omet complètement de parler de ce qui a été révélé sur cette activiste anti-Raoult concernant ses méthodes discutables sur Twitter. Pourtant, la journaliste s’est abonnée à son compte anonyme privé tout récemment, à l’évidence pour les besoins de son article et a donc accès à toute sa « prose », citant d’ailleurs le contenu d’une de ses publications dans son article.

On s’amusera de la légende de la photo de l’article : « Amélie Boissier-Descombes est considérée (sic) comme la Présidente de l’Association des victimes d’essais cliniques non autorisés » qui résume assez bien le parti-pris.

Et maintenant ?

Dans un nouvel article de presse, on apprend que Mme Boissier-Descombes s’est adjoint un conseiller en communication. S’agit-il donc de réparer les pots cassés ? Cela paraît bien périlleux. Dommage de ne pas l’avoir consulté avant de lancer l’initiative, il lui aurait sans doute conseillé de faire les choses dans l’ordre et surtout de ne pas communiquer avant que l’association n’existe légalement. Il lui aurait certainement conseillé aussi une présence numérique avec un site internet même basique comprenant à minima les statuts et la présentation de la fondatrice, un mail de contact si ce n’est un numéro de téléphone. Un conseiller juridique n’aurait pas été de trop non plus en amont. Une association de victimes est une affaire sérieuse avec des caractéristiques bien particulières.

Ce fiasco pour l’image des anti-Raoult est-il rattrapable ? Il faudrait peut-être a minima changer la distribution, particulièrement en l’absence de démenti concernant cette fraude à l’examen ce qui pourrait être perçu comme un aveu.

On pourra conclure de toute cette mésaventure que pour défendre une cause, qu’elle soit légitime ne suffit pas, ceux qui la portent doivent aussi l’être et montrer patte blanche.

En attendant, le redoutable Raoult, qui continue d’être porté médiatiquement par la machine des pro-Raoult contre les anti-Raoult s’est inspiré de la mise en avant de victimes de son essai « sauvage » pour le renvoyer de plein fouet aux attaquant : il invoque désormais sur les plateaux TV les soi-disant victimes de la vaccination Covid-19, la présentant comme… un essai « sauvage ». On rappellera pour la bonne information du public que cette comparaison n’est pas pertinente, les vaccins ayant été évalués dans le respect de la réglementation et disposent d’une autorisation de mise sur le marché.

Quant à l’avocat Fabrice Di Vizio, on apprend au moment de boucler cet article que Didier Raoult l’a nommé pour contre-attaquer face à la haine en ligne émanant des anti-Raoult. Il a déclaré cet après-midi sur Twitter : « Je viens d’être officiellement saisi par Didier Raoult pour traquer toutes les attaques dont il fait l’objet et tous les délits dont certains ici et ailleurs se plaisent à se rendre auteurs ! En outre j’entends bien saisir la justice contre l’ANSM qui va bien vite en besogne ! Le temps de la riposte est maintenant ! Personne n’est dupe de ce qui se cache derrière la haine de ses détracteurs et c’est eux qu’il nous faut pourchasser désormais pour les traduire devant les tribunaux, pour qu’ils comprennent que tout n’est pas possible et s’ils ont pensé un jour impressionner par leurs menaces, c’est bien mal connaître là détermination de Didier Raoult et de ses avocats ! »

Condamnation de Fabrice Di Vizio suspendue par appel

Le 17 juin 2024, l’avocat a été condamné pour diffamation envers Mme Boissier Descombes, n’ayant pu produire de preuve pour la rumeur de triche aux examens qu’il avait fait circuler sur l’étudiante en médecine. Nous reviendrons éventuellement sur cette affaire pour une analyse de cette condamnation dans un autre article.

Pro-Raoult vs Anti-Raoult : une histoire dont on n’est pas prêt de voir la fin.

Mises à jour : 13/06/2023, et 20/06/2024 : précision sur les titres et ajout du dernier paragraphe relatif à une plainte en diffamation

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