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Désaffection des études de pharmacie : un rapport bi-académique dénonce les failles de la réforme PASS/LAS et appelle à une refonte urgente

Validé le 9 octobre 2025 par les Académies nationales de médecine et de pharmacie, un rapport bi-académique dissèque la désaffection pour les études de pharmacie, aggravée par la réforme PASS/LAS, et propose des solutions pour relancer une filière cruciale.

Une crise d’attractivité qui fragilise un pilier de la santé publique

Le rapport bi-académique du 9 octobre 2025, piloté par Jean-Louis Beaudeux et Dominique Bertrand, alerte sur une crise préoccupante : la désaffection des études de pharmacie, marquée par 293 places vacantes en deuxième année (DFGSP2) en 2024 sur 3 413, après 471 en 2023 et 1 100 en 2022, soit 17 % des capacités nationales. Cette situation, inédite face à l’attraction intacte de la médecine, menace un secteur clé. Avec 75 080 pharmaciens inscrits à l’Ordre en 2024 (croissance de 1,8 % en dix ans contre 3,5 % pour la population), la pénurie estimée à 6 000 professionnels risque d’aggraver les déserts pharmaceutiques, particulièrement en zones rurales où les officines (30 pour 100 000 habitants) assurent un accès immédiat aux soins. Ce déclin reflète une sous-valorisation chronique de la pharmacie, reléguée dans l’ombre de la médecine malgré son rôle pivot en prévention (vaccination, éducation et suivi thérapeutique) et en gestion des crises, comme le Covid ou les pénuries médicamenteuses.


PASS/LAS : une réforme brouillonne qui marginalise la pharmacie

Nous avions déjà eu la réforme PACES qui a créé une première année de concours commune médecine et pharmacie, très discutable dans le principe puisqu’elle introduit de facto une compétition entre ces deux formations de professionnels de santé. Puis, introduite en 2020 pour diversifier les profils et réduire les échecs précoces, la réforme PASS/LAS (Parcours Accès Santé Spécifique/Licence Accès Santé) a complexifié l’accès à la pharmacie. Dans Parcoursup, la filière disparaît sous l’étiquette générique « études de santé », perdant en visibilité. La lisibilité souffre aussi : les parcours PASS et LAS, aux épreuves orales et interclassements hétérogènes selon les universités, désorientent les bacheliers. À Paris Cité, le taux d’occupation en DFGSP2 tombe à 80 % en 2023-2024, avec un déficit marqué en LAS. Les passerelles (8 % des places) et l’intégration d’étudiants hors UE, limitée par des quotas stricts, ne comblent pas le vide. La Cour des comptes, en décembre 2024, fustige une réforme « mal conçue » qui n’atteint que marginalement ses objectifs de diversification sociale. Analysons : PASS/LAS, en voulant tout uniformiser, a renforcé la domination culturelle de la médecine, marginalisant la pharmacie comme choix par défaut pour 50 % des entrants. Cette opacité est un échec stratégique, ignorant la complémentarité des métiers de santé.
On pourra lire avec intérêt dans ce cadre, la tribune de Jean-Louis Beaudeux, Doyen de la faculté de pharmacie de Paris.


Méconnaissance des débouchés : un déficit éducatif dès le lycée

Une enquête auprès de 345 étudiants en DFGSP2 à Paris Cité (38 % de réponses) révèle une ignorance alarmante : 80 % méconnaissent les débouchés au-delà de l’officine (hôpital, industrie, biologie médicale, recherche). 68 % des LAS ont échoué une PASS, et seuls 14 % ont priorisé la pharmacie dès le départ. Les sources d’information sont familiales (62 %), loin devant les JPO ou unités d’enseignement (moins de 20 %). 37 % des PASS choisissent la filière par manque d’intérêt pour d’autres métiers ou peur des responsabilités médicales. Ce déficit s’explique par le remplacement des conseillers d’orientation par des psychologues axés sur la réussite scolaire, et une communication institutionnelle lacunaire malgré les efforts de l’Ordre depuis 2021. Nous avons déjà relaté dans ces colonnes comment des barrières culturelles et réglementaires freinent la compréhension des métiers. De là il n’y a qu’un pas à considérer que le manque d’éducation dès le secondaire est une faute systémique. Sans une campagne agressive pour valoriser la pharmacie, de la recherche à l’hôpital, les efforts apparents ne resteront qu’un pis-aller, minant la motivation des futurs diplômés.

Pénurie et paradoxe en PUI : un gâchis de compétences

La démographie pharmaceutique, majoritairement féminine (âge moyen 46 ans stable), stagne. L’Ordre prévoit une baisse de 2,3 % des effectifs d’ici 2035 si les vacants persistent, avec un déclin des biologistes médicaux et une hausse limitée (+20 %) en hôpital et industrie. La DREES, en 2021, alertait déjà sur ce déséquilibre face à une population croissante. Mais un paradoxe criant, absent du rapport, aggrave la crise : la pénurie en Pharmacie à Usage Intérieur (PUI) hospitalière. Depuis le décret de 2017 (article L.5126-1), l’accès aux PUI exige un DES de pharmacie hospitalière via un internat de quatre ans. La dérogation temporaire (deux ans d’expérience pour non-DES) expire le 1er juin 2025, laissant des centaines de postes vacants et forçant des externalisations coûteuses. Nous avons récemment dénoncé ce levier au point mort qu’est le frein à la mobilité public-privé : des pharmaciens industriels, experts en recherche clinique, gestion des essais ou pharmacovigilance, sont exclus des PUI pour des raisons réglementaires (DES obligatoire) et culturelles (défiance envers les « industriels »). Une question sénatoriale de novembre 2024 alerte sur ce blocage, plaidant pour des reconversions facilitées. Le CNOP confirme l’urgence, avec la fin des dérogations en 2025. Analysons : ce cloisonnement est un non-sens. Les pharmaciens industriels, formés à des standards rigoureux (bonnes pratiques cliniques, normes EMA), pourraient pallier les pénuries en PUI, où leur expertise en gestion des stocks et protocoles thérapeutiques est directement transférable. Ce verrou réglementaire, justifié par une quête de spécialisation et de protection de la section dédiée de l’Ordre, frise l’absurde dans un contexte de crise hospitalière. En ignorant cette question, le rapport rate une opportunité de plaidoyer pour une mobilité fluide, essentielle à la résilience du système.

Le besoin d’un plan pour redynamiser la filière


Le rapport bi-académique propose neuf mesures pour la réforme de 2026-2027 : information obligatoire en lycée et portail Parcoursup dédié aux métiers ; enseignements équilibrés en première année (20-27 ECTS santé/disciplinaire/transversal) ; accès expérimental spécifique à la pharmacie (un tiers des places). Il prône aussi une professionnalisation (simulations, DES officine/industrie), l’extension du CESP pour zones sous-dotées, un oral recentré sur l’adéquation professionnelle, des passerelles élargies (10 à 30 % des places) et un « droit au remords » entre filières. Ces pistes, nourries par des auditions comme celle de Maryse Camus-Piszek (Ordre), s’alignent sur l’appel de la Cour des comptes à une voie unique simplifiée. Ces mesures apparaissent comme solides, mais leur timidité sur la mobilité post-diplôme, notamment vers les PUI, limite leur portée. Intégrer des passerelles pour pharmaciens industriels vers l’hôpital serait un signal fort d’innovation.

Fluidifier les carrières pour une pharmacie agile et résiliente

Ce rapport est un cri d’alarme : sans réforme audacieuse, la pharmacie risque de s’effacer face à une médecine survalorisée, menaçant l’accès équitable aux soins. Les recommandations tracent une voie, mais elles esquivent un levier crucial : la mobilité public-privé et la nécessité de briser les silos entre officine, industrie et hôpital. C’est ainsi que la France pourrait non seulement combler ses pénuries, mais faire de la pharmacie un modèle d’agilité interdisciplinaire pour une santé publique robuste et inclusive.

Mise à jour : 12/11/2025 – ajout de la tribune du Dr Beaudeux.

Illustration d’en-tête : Allison Saeng

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