Lutte contre les déserts médicaux : peu médiatisée, la pénurie de pharmaciens hospitaliers est également concernée. Quelles solutions à l’horizon ?
La France explore des solutions pour maintenir l’activité des pharmacies à usage intérieur (PUI) au sein des établissements hospitaliers, en déficit critique. Une mesure du Pacte de lutte contre les déserts médicaux, dévoilée le 7 mai 2025, proposait d’autoriser des docteurs en pharmacie sans DES à exercer en PUI après une formation dédiée. Analyse dans le contexte de la proposition de loi Mouiller adoptée par le Sénat le 13 mai dernier.
Les médias préfèrent se focaliser sur les médecins, dont la visité est portée par lobby puissant bien relayé au Parlement. Pourtant, la pénurie de pharmaciens hospitaliers, estimée à 15 000 postes vacants en 2023, menace la continuité des soins dans les hôpitaux français, particulièrement dans les zones sous-denses comme par exemple le Cher ou la Haute-Loire. Dans les hôpitaux, les pharmacies à usage intérieur (PUI), chargées de la gestion des médicaments, des préparations stériles et des médicaments expérimentaux des essais cliniques, souffrent d’un manque chronique de personnel qualifié. Les causes incluent un DES de pharmacie hospitalière exigeant, une attractivité limitée face à l’industrie et une démographie défavorable. Le Pacte de lutte contre les déserts médicaux, relayé par l’Ordre des pharmaciens le 7 mai 2025, proposait des mesures novatrices, dont l’autorisation pour des pharmaciens sans DES d’exercer en PUI. Cette initiative, inspirée d’expérimentations passées, pourrait mobiliser des profils comme les pharmaciens industriels experts en essais cliniques. Cet article explore les solutions envisagées, leur contexte historique et les avancées issues de l’adoption de la proposition de loi (PPL) Mouiller par le Sénat le 13 mai 2025, dans un contexte de résistances professionnelles.
Une pénurie enracinée dans le système
La pénurie de pharmaciens hospitaliers résulte d’un déséquilibre structurel. Le DES de pharmacie hospitalière, requis pour exercer en PUI, demande quatre années de formation suite à la réussite au concours de l’internat pour un total de 10 ans d’études, un investissement qui dissuasif face à des salaires hospitaliers inférieurs de 20 à 30 % à ceux de l’industrie. En 2023, seuls 10 % des diplômés en pharmacie choisissaient la filière hospitalière, contre 70 % pour l’officine et 20 % pour l’industrie. Dans les régions sous-denses conduisant aux déserts médicaux, les départs à la retraite aggravent la situation, laissant des PUI en sous-effectif chronique.
Les impacts sont sévères : réduction des activités, recours à un intérim coûteux (2 000 €/jour pour un pharmacien intérimaire) et risques accrus pour la sécurité des patients. Les SDIS, EHPAD et hôpitaux locaux, essentiels dans les déserts médicaux, sont les plus touchés. En 2025, la pharmacie clinique, renforcée par l’ordonnance n° 2016-1729 du 15 décembre 2016, accentue les besoins en pharmaciens pour sécuriser les prescriptions et accompagner les patients.
Mesures transitoires du passé : un précédent éphémère
L’idée d’autoriser des pharmaciens sans DES à travailler en PUI n’est pas nouvelle. Dans les années 1980, certains pharmaciens d’officine exerçaient dans des PUI sous dérogations locales. En 2008, un décret (non reconduit) permettait des remplacements de courte durée dans des PUI en pénurie, sous supervision. Plus récemment, le décret n° 2017-1605 du 24 novembre 2017 autorise les pharmaciens avec deux ans d’expérience en PUI à exercer sans DES.
Dans un note de l’Ordre des pharmaciens datée du 15 mai dernier, l’instance ordinale soutient également un dispositif transitoire pour les pharmaciens sapeurs-pompiers, avec une commission pour évaluer leur aptitude à exercer dans les PUI des SDIS.
Ces précédents, bien que limités, ont permis de maintenir l’activité dans des hôpitaux de proximité, mais leur caractère temporaire a mis à mal toute pérennisation.
Une mesure audacieuse : ouvrir les PUI à des pharmaciens sans DES
Le bulletin de l’Ordre des pharmaciens du 7 mai 2025 annonçait une mesure phare : autoriser les docteurs en pharmacie sans DES à effectuer des remplacements temporaires ou un exercice expérimental dans les PUI après une courte formation. Cette initiative, nécessitant une modification de l’article R.5126-80 du Code de la santé publique, ciblait les zones sous-denses, les EHPAD et les hôpitaux locaux. Elle s’appuyait sur les stages d’externat hospitaliers suivis par tous les docteurs en pharmacie. En effet, les futurs docteurs en pharmacie effectuent une 6e année d’études hospitalo-universitaire, où à l’instar des futurs médecins, ils font des stages dans divers services, dont la pharmacie hospitalière.
Une disposition incluse dans la PPL Mouiller, mais retirée préalablement à son adoption au Sénat
Cette mesure était intégrée à la PPL Mouiller (texte n° 577, 2024-2025) déposée en mars 2025. La PPL a été adoptée par le Sénat le 13 mai 2025 avec 190 voix pour et 29 contre dans le cadre d’une procédure accélérée, mais la mesure sur l’exercice de pharmaciens en PUI sans DES a été supprimée. Le Sénat a choisi de ne pas intégrer cette disposition dans la version finale adoptée, privilégiant d’autres priorités comme l’extension des compétences des pharmaciens pour les pathologies bénignes, la reconnaissance des préparateurs en pharmacie, ou encore les aides financières pour les zones fragiles. Après ce vote, la PPL a été transmise à l’Assemblée nationale pour la suite de la navette parlementaire. La PPL Mouillier est surtout médiatisée pour l’encadrement de l’installation des médecins qu’elle prévoit : les généralistes en zones bien dotées doivent exercer à temps partiel dans des zones sous-denses, tandis que les spécialistes ne peuvent s’installer qu’en cas de départ d’un confrère. Une « solidarité territoriale obligatoire » oblige les médecins en zones denses à consacrer jusqu’à deux jours par mois à des zones prioritaires.
La question des mesures pour palier au déficit de pharmaciens en PUI reste donc en suspens, et l’incertitude persistera tant que la navette parlementaire n’est pas achevée ou qu’une commission mixte paritaire ne statue pas spécifiquement sur ce point. Il est à noter que les dérogations existantes pour les pharmaciens sans DES, basées sur leur expérience avant 2017, restent applicables pour l’instant.
Le potentiel des pharmaciens industriels : un atout sous-exploité
Parmi les profils concernés par une éventuelle ouverture des PUI aux docteurs en pharmacie sans DES de pharmacie hospitalière, certains pharmaciens avec parcours industriel spécialisés en recherche et développement (R&D) clinique se distinguent. Avec une expérience solide de maîtrise des Bonnes pratiques cliniques (BPC), de la gestion des médicaments expérimentaux utilisés dans les essais cliniques, de la pharmacovigilance et de l’Assurance Qualité des études y compris la gestion des médicaments concernés, ces profils offrent des compétences utilement transférables aux PUI des CHU, CLCC, ou structures comme les SDIS et EHPAD. C’est particulièrement le cas des pharmaciens experts de la conception des protocoles d’études cliniques menés à l’hôpital, ou en charge d’effectuer des audits des centres investigateurs hospitaliers pour évaluer leur conformité à la réglementation et aux procédures des laboratoires pharmaceutiques. Une adoption future de la mesure PUI pourrait mobiliser ce vivier de professionnels de santé avec expérience et qualifications pointues familiers avec le fonctionnement des hôpitaux en matière de médicaments. Cette voie apparaît comme un véritable atout pour réduire la dépendance à l’intérim coûteux et aux mesures transitoires qui ne permettent pas de parer durablement au déficit en PUI. Pourquoi cette voie n’est-elle pas explorée ? Une raison est sans doute un problème culturel en France qui rend difficile les parcours transversaux, particulièrement entre le public et le privé. Ainsi, la norme est de faire carrière soit dans le public soit dans le privé et à ce titre le passage de l’un à l’autre est souvent vu comme la conséquence d’une mauvaise orientation initiale ou d’un échec et peu valorisé. Il s’agit là d’une posture rigide, qui ne profite à personne et encore moins au système de santé. En particulier, la pharmacie hospitalière à pourrait pleinement
Quelles autres solutions pour renforcer les effectifs de pharmaciens hospitaliers ?
Outre la mesure évidente d’ouverture des PUI aux pharmaciens sans DES mais avec expérience pertinente solide, plusieurs leviers existent, en premier lieu la revalorisation de la filière de l’internat. Ainsi, l’Ordre des pharmaciens note une augmentation des postes d’internat (480 en 2025 contre 313 en 2022) pour stimuler le recrutement, et propose une commission pour évaluer les titulaires du DES IPR (Innovation Pharmaceutique et Recherche) ou pharmacie spécialisée pour des rôles en PUI (Ordre, 15 mai 2025). Une réflexion sur un « 2e DES », inspiré de la médecine, pourrait permettre aux titulaires de DES officine/industrie d’accéder aux carrières hospitalières. Les pharmaciens non spécialisés peuvent passer le concours d’internat après trois ans d’exercice (titre européen).
Une autre mesure est la mutualisation des PUI. Le décret n° 2019-489 du 21 mai 2019 facilite ainsi la cooopération entre PUI via les groupements hospitaliers de territoire (GHT). Il y a aussi le renforcement de la pharmacie clinique, qui accroît le rôle des pharmaciens hospitaliers concernés dans la sécurisation des prescriptions et l’éducation thérapeutique. Enfin, et nous l’avons déjà évoqué pour son coût élevé, il y a l’intérim, ainsi que les équivalences, sujet complexe permettant de reconnaître des diplômes étrangers.
Défis et résistances : un chemin semé d’embûches
La mesure d’ouverture des PUI suscite une forte opposition. La section H (Hôpital) de l’Ordre des pharmaciens, dans son avis du 15 mai 2025, défend le DES comme indispensable pour les tâches complexes des PUI, avertissant qu’une différenciation des niveaux de spécialisation créerait des inégalités dans la prise en charge des patients. Cette position, bien que présentée comme un enjeu de qualité, vise clairement à préserver le monopole des pharmaciens hospitaliers sur les PUI, limitant l’accès à d’autres profils comme certains pharmaciens industriels à profil adapté, malgré la pénurie. Les syndicats (SYNPREFH, SNPHPU, FNSIP-BM) partagent cette ligne, estimant dans une vision étriquée que les stages d’externat sont insuffisants et la « courte formation » floue. Mobiliser des pharmaciens d’officine pourrait aggraver les pénuries ailleurs (10 000 postes vacants en officine), mais ce n’est pas le cas pour les pharmaciens industriels.
Ce débat s’inscrit dans un contexte plus large de lutte contre les déserts médicaux. La PPL Garot, adoptée par l’Assemblée nationale le 7 mai 2025, concurrence la PPL Mouiller en proposant une régulation stricte de l’installation des médecins. Comme les pharmaciens, professionnels de santé soumis à des régulations, les médecins résistent à ces contraintes, soutenus par un lobby puissant qui préserve leurs privilèges. Il est temps qu’ils acceptent une régulation équitable, une question de santé publique pour garantir l’accès aux soins.
L’adoption de la PPL Mouiller le 13 mai 2025 marque une avancée, mais son passage à l’Assemblée nationale et une éventuelle commission mixte paritaire pourraient modifier le texte. Les précédents transitoires pour les PUI, abandonnés face aux résistances et malgré certaines voies pérennes pour solutionner au moins partiellement la question , rappellent la difficulté des réformes en matière de santé publique.
Un tournant à l’horizon ?
La pénurie de pharmaciens hospitaliers reste un défi systémique, mais le Pacte de lutte contre les déserts médicaux offre des perspectives. L’ouverture des PUI aux pharmaciens sans DES, proposée dans la PPL Mouiller, visait à mobiliser des profils comme les experts en essais cliniques, mais son adoption reste incertaine, face à l’opposition de la section H de l’Ordre, qui défend son monopole. L’adoption de la PPL Mouiller par le Sénat le 13 mai 2025 progresse dans la lutte contre les déserts médicaux, mais les détails sur les PUI sont en attente. Une réforme réussie nécessitera un équilibre entre pragmatisme, formation rigoureuse et sécurité des patients. Cet article sera complété avec toute information future sur la mesure PUI, cruciale pour des zones sous-denses, autrement dit les déserts médicaux.
Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused
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