Éditorial – 18/06/2022
Sondages, médias et journalisme
On entend beaucoup de réflexions en ce moment sur la place grandissante des sondages dans les médias, et à ce titre de la progression – ou régression – du journalisme vers du commentaire de sondages en lieu et place d’un travail d’investigation et d’analyse sur les sujets et problématiques de fond. Alors faisons un petit sondage, là, tout de suite, pour les besoins de cet édito, en glanant quelques réflexions d’internautes sur les réseaux sociaux à ce sujet :“Heureusement qu’il y a les sondages pour faire parler les journalistes et occuper l’antenne !”
« Aujourd’hui, les journalistes sont devenus des commentateurs de sondages. Pas besoin d’être très qualifiés.”
Et puis il y a toute la question de la validité des sondages. On entre ici un peu dans l’univers de la data science et de l’éthique. Un ouvrage est sorti récemment sur les méthodes de quotas, expliquant que l’on peut tout faire dire ce que l’on veut selon le choix des outils, et évidemment les questions posées. Comme pour la recherche scientifique ? Non, car la recherche scientifique est rigoureuse et applique des méthodes pour que le chercheur ne puisse influencer les résultats. Avis glanés d’internautes :
“Arrêtez les faux sondages qui disent aux gens pour qui voter”
“Absence de rigueur scientifique des instituts de sondage, commandes aux questions orientées qu’ils acceptent”
“Les sondages… faux comme d’habitude, et les “journalistes” fainéants font passer les infos non vérifiées”
“Instituts de sondages ? coupables. Journalistes ? complices.”
Peut-être faudrait-il donc se pencher sur les méthodologies utilisées et développer des standard de qualité et de rigueur calqués sur la méthode scientifique. Le sondage est une enquête, que l’on pourrait s’atteler à essayer de rendre aussi scientifique que possible pour supprimer les biais. Reste le choix des questions posées qui n’est pas anodin. On se rappellera, pour l’anecdote, certaines attaques contre la science et les scientifiques au début de la crise sanitaire, à base de sondages sur les réseaux sociaux, demandant aux internautes leur préférence entre l’hydroxychloroquine (promue comme médicament contre le Covid par un charlatan) et le remdésivir (médicament expérimental à l’époque en cour d’évaluation dans le Covid). Un sondage inepte qui instrumentalisait cet outil, l’efficacité d’un médicament n’étant pas une opinion.
“J’en peux plus de ces journalistes qui, quand ils ne commentent pas de pseudo sondages, passent leur temps à demander : entre un tel et un tel, vous appellerez à voter pour qui ?” râle un internaute. Pour Francis Letellier qui anime l’émission hebdomadaire de France Télévisions “Dimanche en politique”, les journalistes ne devraient pas commenter les sondages. Peut-être une bonne idée pour ne pas entrer dans un cycle auto-entretenu presque alimentaire de commandes de sondages par les médias ?
Et enfin l’ultime réflexion pour cet édito : quand bien même les sondages seraient fiables, reflétant l’opinion d’une population donnée à l’instant T : qu’en tire-t-on ? l’avis du plus grand nombre est-il le meilleur ? pas forcément, mais à force de sonder en mode matraquage, par exemple lors des élections, ne rentre-t-on pas dans un schéma auto-réalisateur en mettant constamment en exergue l’avis du plus grand nombre et en pointant le statut minoritaire d’un autre, moins populaire ? De populaire à populisme il n’y a parfois qu’un pas. Car il s’agirait aussi d’éviter que les instituts de sondage ne forgent l’opinion.
Et bien sûr, on termine par un dernier “sondage” d’opinion d’internaute :“Peut être que si les journalistes passez pas leur temps à commenter des sondages et voir la politique uniquement comme une course de chevaux mais plutôt débattre de sujets de fonds, ça dégouterait moins les électeurs des personnage politiques”.
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