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Le journalisme scientifique grandit

par Deborah Blum, directrice du Knight Science Journalism Program au Massachusetts Institute à in Cambridge, MA, États-Unis, et éditrice de Undark Magazine

Résumé

Au début des années 1920, un couple improbable, formé par un puissant éditeur de journaux nationaux et un zoologiste basée en Californie, décide qu’il en a assez. Assez de la façon boîteuse dont son rapportés les résultats de la recherche, assez des articles qui laissent les lecteurs dans la confusion quant aux principes de base de la science. Ils veulent quelque chose de mieux que cela. Ils veulent une façon de rapporter la science qui encouragent une « habitude mentale scientifique », une conscience citoyenne du rôle de la recherche dans la vie quotidienne.

Aussi improbable soit-elle, l’alliance entre Edward Willis Scripps, fondateur de l’un des plus grands groupes de journaux américains, et William Emerson Ritter, zoologiste formé à Harvard, est profonde. Les deux hommes partagent la conviction que la science est l’agent de transformation le plus puissant du siècle nouveau, mais aussi que les scientifiques ne parviennent pas à la faire connaître. En avril 1921, ils décident de mettre en œuvre une solution, une entreprise appelée Science Service, qui se consacrerait à fournir au public des histoires intelligentes et positives sur la science. L’organisation qu’ils créèrent il y a un siècle allait devenir la Society for Science, éditrice de Science News.
Le véritable journalisme scientifique, investigations indépendantes sur l’entreprise scientifique et la mise en lumière de la recherche, avec toutes ses interactions humaines merveilleusement complexes, ne viendra que bien plus tard. Mais avec la création de Science Service, une nouvelle profession a fait ses premiers pas, même si ceux-ci ont été quelque peu périlleux.
Bien que les sociétés et organisations scientifiques aient soutenu ce nouveau service, les chercheurs eux-mêmes se méfiaient du journalisme souvent flamboyant du début du XXe siècle. En 1934, une douzaine de rédacteurs scientifiques américains ont formé une Association nationale des rédacteurs scientifiques, en partie pour établir des relations plus étroites avec leurs sources méfiantes, et pour identifier les rédacteurs d’élite, sensibles à la science, parmi les autres journalistes. Boyce Rensberger , ancien directeur du Knight Science Journalism Program, a un jour décrit cette alliance entre scientifiques et journalistes comme le début de la période « Gee Whiz » du journalisme scientifique, qui, selon lui, a conduit directement à la couverture embarrassante du développement des armes nucléaires et de la course aux armements de l’après-guerre.
Comme le notent également Rensberger et d’autres, la profession a abandonné ce modèle à contrecœur. Les rédacteurs scientifiques étaient parfois carrément hostiles lorsqu’ils étaient confrontés aux inconvénients environnementaux du développement technologique apparus dans les années 1960 : pollution de l’air, pollution de l’eau, avertissements de Rachel Carson selon lesquels l’utilisation incontrôlée des pesticides était dangereuse, etc. Selon un journaliste de premier plan, les meilleurs articles scientifiques sont le fruit d’une coopération avec des « industries éclairées ».
Pourtant, les doutes journalistiques concernant la couverture de la science enjouée s’intensifiaient, et l’accent mis sur la nécessité de raconter l’histoire intégrale dans toute sa complexité s’accentuait également à mesure que la profession continuait à se développer, avec la création de groupes tels que l’Union européenne des associations de journalistes scientifiques en 1971, etc. Au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, l’accent a été mis sur la formation professionnelle, le nombre de femmes journalistes scientifiques a augmenté (bien que d’autres formes de diversité aient été lentes à suivre) et les reportages d’investigation sont devenus plus pointus, allant de la politique de la recherche sur le VIH aux échecs des navettes spatiales en passant par les risques de contamination chimique. Comme le souligne Liza Gross, auteur de The Science Writers’ Investigative Reporting Handbook, les critiques qui qualifiaient les journalistes scientifiques de simples « pom-pom girls » des chercheurs se sont progressivement révélées fausses.
L’essor de la communication numérique au cours de ce siècle a accéléré le changement, tant dans la manière dont les auteurs racontent leurs histoires, en utilisant des outils allant du podcasting à la visualisation, que dans leur visibilité. Les revues scientifiques couvrent désormais facilement des domaines scientifiques controversés, allant du changement climatique aux vaccins en passant par la guerre culturelle de longue date autour de l’évolution , avec clarté et, à leur tour, elles font face aux réactions furieuses des sceptiques sur les réseaux sociaux et autres plateformes.
La mission originale de Science Service, qui consiste à promouvoir la science, n’a pas été perdue. Aujourd’hui, d’innombrables « communicants scientifiques », allant des attachés de presse aux scientifiques eux-mêmes, travaillent à promouvoir une image positive de la science. Et il y a toujours une place pour des articles journalistiques portant sur les merveilles de la science. Mais le siècle dernier a prouvé que ce n’est pas la contribution la plus importante des journalistes scientifiques. Il s’agit plutôt de présenter la recherche avec précision, dans ses bons et ses mauvais côtés, et de défendre sans relâche l’intégrité de l’histoire. Scripps et Ritter étaient des hommes intelligents, et il y a de bonnes raisons de penser qu’ils approuveraient ce dernier point.

Traduit par Citzen4Science, article paru comme Editorial de Science du 23 avril 2021 – Vol 372 – numéro 6540
lien vers l’article original

http://www.sciencemag.org/about/science-licenses-journal-article-reuse
Il s’agit d’un article distribué selon les termes de la loi sur la protection des données Science Journals Default License.

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