Les affiches antivax du collectif RéinfoCovid à Toulouse peuvent-elles être retirées ?
Certaines instances viennent de s’activer, et on peut s’interroger sur les motifs à invoquer et l’issue de ces demandes de suppression
C’est d’abord une première affiche placée sur un axe très fréquenté de la ville de Toulouse, boulevard de l’Embouchure le long du Canal du Midi,, parfaitement inratable. Elle perturbe les habitants du quartier des Minimes concerné, gêne le service de communication de la ville engagé dans la promotion de la vaccination. Pourtant, elle est toujours là et fait polémique depuis des semaines du fait de l’inaction des autorités pour la faire retirer. La presse régionale et locale en a parlé en juillet, comme La Dépêche
Alors que la Rédaction a entamé une enquête en vue d’un article à ce sujet en début de semaine, vu la faible couverture des médias pour un problème important, la donne a changé alors que nous préparions cet article. Tout le monde s’est mis à couvrir le sujet, reprenant principalement l’article initial de La Dépêche, tentant parfois de comptabiliser le nombre d’affiches dans la ville de Toulouse et alentours.
Hier, LCI ET BFM ont abordé le sujet sur leurs chaînes.
Les auteurs : « Réinfocovid » et « Conseil scientifique indépendant »
L’auteur de cette affiche est les tristement célèbres collectifs « RéinfoCovid » et « Conseil scientifique indépendant », un nom qui peut faire sérieux mais n’a rien d’officiel.
Réinfocovid est un collectif qui se décrit comme « un groupe de soignants, médecins et scientifiques universitaires, réunis autour d’une idée : le besoin d’une politique sanitaire juste et proportionnée pour la France ». Il s’appui sur le « Conseil scientifique indépendant CSI), groupe de scientifiques en marge du consensus scientifique émanant de « Coordination santé libre » (CSL) avec en tête d’affiche Louis Fouché, médecin anesthésiste à Marseille, suspendu pour ses propos antiscience, Laurent Mucchielli, supporter de l’IHU Marseille et désinformateur qui a fait l’objet d’une action de Citizen4Scdience via une lettre ouverte au CNRS l’an dernier, ou encore Martine Wonner, médecin et ancienne députée qui a été très active aussi en luttant contre le masque et le vaccin.
Dans le jargon, « indépendant » est souvent synonyme de « dissident » avec rejet de la communauté scientifique au vu de la non acceptation des données de la science.
Ces mouvements sont politisés et attaquent le gouvernement sur leur gestion « liberticide » de la crise sanitaire, se considérant comme substitut légitime du feu Conseil scientifique qu’ils n’ont cessé de dénigrer, le tout sur fond de complotisme « Big Pharma », et même de complotisme tout cours.
Dérive sectaire ?
Fort de son succès auprès du public opposé au gouvernement et/ou sensible au conspirationnisme, Louis Fouché semble parti dans un combat politique tout en proposant à ses adeptes de fonder une société nouvelle qui rejette le système.
« Les inquiétants symptômes de RéinfoCovid », titrait en octobre 2021 Le Monde dans un article parlant de personnes embrigadées voulant « tout plaquer pour s’installer en Aveyron dans un domaine qui pourrait devenir le lieu de vie du collectif ». Des associations de lutte contre les dérives sectaires suivent de près le phénomène RéinfoCovid.
Du fait de l’inaction des pouvoirs publics, il apparaît que d’autres affiches se sont mis à fleurir dans la ville, comme en témoigne ce compte Twitter engagé qui nous en montre une nouvelle et en évoque la possibilité d’une centaine à Toulouse :
Campagne agressive de messages de désinformation trompeurs et mensongers sur la vaccination anti-Covid
Les messages ne sont pas ambigus et reprennent dans une présentation publicitaire ce que l’on voit courir sur les réseaux sociaux pour refuser les vaccins contre le Covid.
Sur l’une des affiches, des slogans chocs : « 1 accident cardiovasculaire pour 100 injections » et « La santé de nos enfants vaut plus que des vaccins expérimentaux ». Pour accentuer l’effet shocking, des noms de manifestations indésirables sont listées.
Le premier message laisse penser que les injections de vaccin provoquent des accidents cardiovasculaires chez 1 % des vaccinés, alors que rien ne permet de le dire. Un astérisque fait référence en bas de l’affiche à la base de données listant, non pas les événements indésirables survenus post vaccination.
Le second message parle de « vaccins expérimentaux », ce qui est mensonger : les vaccins anti-Covid sont autorisés et commercialisés, ce ne sont pas des médicaments expérimentaux. Un produit « expérimental » en santé est une appellation réglementaire et on peut dès lors qualifier l’affiche de mensongère à ce propos.
Sur cette seconde affiche (en fait la première apparue, avenue de l’Embouchure), on commence avec un préambule incitant à penser que ce qui va être expliqué est inattaquable : ‘On peut discuter de tout sauf des chiffres ». La Rédaction va donc ici prouver le contraire.
Slogan : « Vaccination Covid : 1 effet secondaire grave sur 100″, et si c’était votre enfant ? »
L’astérisque est toujours là, faisant référence à la source, la base de données des événements indésirables.
Notez bien : « événements », pas effets ». Et c’est bien là l’astuce de toutes ces affiches : la fameuse base de données dont sont issues les chiffres « 1 sur 100 » représente des événements venus post-vaccination, qu’ils soient liés ou non au vaccin. En d’autres termes, aucune causalité n’est établie.
Mais depuis le début de leur campagne, les antivax détournent les chiffres de cette base de données. Vu le taux de couverture vaccinale, des dizaines de millions de citoyens ont été vaccinées, en réalité la plus grande partie de la population. Indépendamment de la vaccination, la vie suit son cours, avec ses aléas. La vaccination n’empêche pas d’avoir des ennuis de santé, dont des accidents cardio-vasculaires.
Citizen4Science évoque depuis le début de la crise ce stratagème des antivax utilisé pour tromper la population sur la dangerosité proclamé des vaccins : c’est l’illusation de corrélation :
Ainsi, ces affiches sont de la pure désinformation, employant des termes mensongers : « vaccins expérimentaux » et « effets secondaires » alors qu’il s’agit de produits non expérimentaux et d’événements, non pas d’effets impliquant causalité avec le vaccin.
Les faits ne sont pas des opinions
Hier, Citizen4Science a condamné le discours de défense de ces affiches qui est basé principalement sur la liberté d’opinion, pointant ainsi ce message de Virginie Joron, députée européenne Front national :
Notre entretien avec la mairie de Toulouse mardi
Nous avons contacté la mairie de Toulouse, tout à fait ouverte à évoquer ce problème et a déploré son impuissance à agir. Elle a mis en avant le fait qu’il s’agissait de panneaux publicitaires et non de panneaux d’information, et a insisté sur leur localisation sur des terrains privés. Elle précise que plusieurs affiches sont visibles y compris en banlieue de la ville rose, pour moins d’une dizaines de panneaux au total.
Elle considère ne pas avoir de motif lui permettant d’agir, et nous a suggéré d’enquêter du côté de la société d’affichage, que nous n’avons pas pu joindre. Nous avons invoqué un trouble à l’ordre public, mais notre interlocuteur a indiqué que la mairie ne pouvait agir sur ce motif sans pour autant le justifier pleinement, évoquant simplement l’absence de « désordre » ni de plaintes de riverains.
Nous avons également contacté l’ARS Occitanie et Haute-Garonne sans retour à ce jour.
Des instances officielles réagissent enfin
Tout d’abord, c’est Stéphane Oustric, médecin conseil à l’Ordre des médecins à Toulouse qui a déclaré hier avoir saisi le préfet, sans suite connue.
Ce matin, nous avons découvert sur Twitter le message de la Secrétaire d’État à la Citoyenneté auprès du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. Son message est à la hauteur de l’agressivité des affichages antivax :
Sur quelles bases juridiques faire retirer les affiches antivax de RéinfoCovid ?
La question ne semble pas évidente. Nous avons évoqué plus tôt, et discuté avec la mairie de Toulouse de l’atteinte à l’Ordre public. Mais qu’est-ce que c’est ?
L’Ordre public, un concept traditionnel et fondamental du droit non parfaitement défini
Il est cité dans des centaines d’articles de loi de multiples codes. Il est souvent fait référence aux « troubles » ou « atteintes » à l’Ordre public.
L’article 6 du Code civil stipule : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. »
L’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, relatif aux pouvoirs de police du maire, fait référence à l’ordre, ainsi qu’à la sûreté, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique.
C’est ainsi qu’une atteinte à la salubrité, à la santé publique dans notre cas avec de la désinformation sur le vaccin anti-Covid, pourrait peut-être être invoqué, d’autant que l’Ordre public contient la notion de protection et en particulier protection des plus vulnérables. Ici sur un sujet technique, le citoyen non parfaitement informé peut prendre pour vrai bien évidemment les affirmations péremptoires et mensongères visant à inciter à ne pas se faire vacciner, ce qui est une mise en danger individuelle, mais aussi collective.
En face, l’article L581-1 du Code de l’environnement
Nous l’avons vu, la mairie de Toulouse a bien insisté sur le fait qu’il s’agit d’affiches publicitaires. Or cet article qui la régit stipule : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions du présent chapitre. »
Il est question finalement ici de liberté d’expression et c’est bien ce qu’évoquent les défenseurs des affiches.
Mais la liberté d’expression a ses limites : la publicité mensongère n’est pas autorisée, c’est-à-dire les allégations fausses, soit la désinformation qui, on l’a démontrée, est bien « à l’affiche » ici.
Espérons donc que la préfet saura invoquer les bons dispositifs légaux pour faire cesser les affichages désinformateurs et anxiogènes de RéinfoCovid.
Image d’en-tête : Image barrée de l’une des affiches Réinfocovid antivax à Toulouse produit sur Twitter par la Secrétaire d’État Sonia Backes
Mise à jour 20/8/2021 : suppression de multiples liens Twitter en doublon
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