« Les Français ne votent pas avec leur cerveau » Peter Sloterdijk dans « Le Point ». Un entretien sur la perte de rationalité
Nous avons lu et apprécié l’entretien du philosophe allemand accordé à l’hebdomadaire la semaine dernière.
Le Point le qualifie de « philosophe le pus lucide d’Europe ». À la Rédaction de Science infuse, il est une référence pour quelques essais mémorables dont évidemment le premier : Critique de la raison cynique » (1983), qui fait écho à la « Critique de la raison pure » de Kant et qui met en question les principes des Lumières comme seul moyen de lutte contre l’obscurantisme. Original, parfois excentrique, son regard sur le monde est assez décalé et plein d’enseignements. Il a notamment écrit sur l’après-guerre, l’Europe et les relations franco-allemandes. Il analyse finement la société française et ses caractéristiques. Les élections présidentielles sont une bonne occasion pout lui de nous dire quelques vérités sur nos comportements irrationnels.
L’enjeu de l’élection : l’avenir de l’Europe
Pour Peter Sloterdijk (interrogé entre les deux tours), l’enjeu est clair : voter pour Le Pen c’est voter pour Poutine car cela conduirait à la désunification de l’Europe, étape préalable à la destruction de l’Europe.
Pour lui, la social-démocratie européenne est en crise à cause de « la disparition du spectre communiste » qui était « l’argument » lui donnant son rôle de « moindre mal face aux dictatures de l’Est ». Le modèle européen basé sur la croissance économique et économie de la finance a fait surgir des inégalités vécues comme une trahison par les populations en étant victime, nid de la rage anti-système.
Intéressant pour notre Rédaction toujours en lutte contre le binaire et en recherche de nuance, ces propos du philosophe : « après la crise bancaire de 2008 :
« de nombreux mouvements politiques associaient des raisonnements d’extrême-droite à des motifs plutôt de gauche, comme l’appel aux gens simples qui travaillent dur et se retrouvent souvent les mains vides après une vie de labeur. »
Un seul bloc extrémiste ?
La question suivante du Point est intéressante en elle-même, car elle pose d’emblée l’existence d’un bloc unique extrémiste
Peter Sloterdijk répondra oui à cette question invoquant le fait que « les Français n’ont pas encore complètement perdu leur goût des débats autour des idées abstraites ».
Mais il fait part de son inquiétante croissante qualifiant les élections de « terrible carnaval un peu rabelaisien ». Il fustige l’abandon de
« tout tact politique », « toute réflexion stratégique »
au profit d’une « sorte « d’expressionnisme » sans limites »
Le résultat : on vote non pas avec son cerveau, ce qui permet de se dégager de la responsabilité qui va avec, mais dans « une forme d’hystérie abstraite, avec ses entrailles ». Le philosophe ne manque pas de souligner que les réseaux sociaux amplifient le phénomène.
Il parle de folie au pays des Lumières et conclut : en France, l’irrationnel est en train de franchir un seuil », le tout saupoudré de ressentiment sur lequel repose le populisme.
Lutter contre l’obscurantisme, pour la rationalité et l’exprit critique
Voilà les aspects de l’entretien que nous voulions partager ici. Car cette perte de rationalité, nous l’avons vécu dès le début de la pandémie il y a 2 ans, dans le domaine scientifique avec l’imposture médico-populiste et charlatanesque Raoult, qui combattue sans relâche dès son démarrage, a donné naissance à Citizen4Science.
On voit avec Peter Sloterdijk que le problème dépasse largement la science, même si elle est la première victime de cette perte de rationalité.
Nous terminerons avec le dessin de presse de Jean illustrant l’article du Point, article que vous pouvez consulter ici.
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