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« Médiation linguistique » : un concept nouveau pour confirmer que la traduction est l’art de la connexion et de la médiation

Médiation linguistique, traduction-médiation, traducteur-médiateur…. des termes apparus récemment en lien avec les politiques migratoires, qui rappellent l’essence même d’une traduction de qualité

Dans un monde globalisé où les échanges transcendent les frontières, la traduction ne se résume plus à un transfert de mots. Elle exige de saisir des cultures, des contextes et des intentions, voire plus techniquement, des normes et des régulations. La médiation linguistique transforme le traducteur en passeur de sens, voire d’exigences. La médiation linguistique est-elle dès lors un concept nouveau, une catégorie à part, ou simplement ce que tout bon professionnel de la traduction fait déjà ? Plongée dans un métier où les mots ne suffisent certainement pas.

Origine du concept

Le concept de médiation linguistique commence à se structurer dans les années 1990 et 2000, en parallèle avec l’évolution des politiques migratoires et des approches éducatives en Europe. Il trouve une formalisation notable dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), publié en 2001 par le Conseil de l’Europe. Le CECRL introduit la médiation comme une compétence langagière clé, définie comme une activité permettant de reformuler, traduire ou interpréter un message pour faciliter la communication entre des parties qui ne partagent pas la même langue ou le même registre culturel. Cette définition met l’accent sur la médiation comme un outil pour surmonter les barrières linguistiques et culturelles, en particulier dans des contextes où des individus doivent interagir avec des systèmes ou des interlocuteurs qu’ils ne maîtrisent pas encore pleinement.

On s’en doute cependant : la pratique de la médiation linguistique est bien plus ancienne et informelle. Historiquement, dans les contextes de migration ou de contact entre cultures, des individus bilingues ou multilingues ont toujours joué un rôle d’intermédiaire. Par exemple, dans les empires coloniaux ou lors des grandes vagues migratoires du 19e et 20e siècles, des membres de communautés migrantes, souvent des enfants ou des personnes ayant acquis la langue du pays d’accueil, servaient de traducteurs informels pour leurs familles ou leurs pairs. Ce rôle, bien que non formalisé, préfigure ce qu’on appelle aujourd’hui la médiation linguistique.

En Europe : l’intégration des migrants comme catalyseur

La médiation linguistique est profondément liée au phénomène de l’intégration des migrants, et son développement conceptuel coïncide avec un regain d’intérêt pour les questions d’intégration linguistique à partir des années 2000. Avec la diversification des flux migratoires en Europe, notamment après la chute du mur de Berlin en 1989 et les conflits des années 1990 (comme ceux des Balkans), les sociétés d’accueil ont été confrontées à une hétérogénéité linguistique croissante. Les migrants, souvent non francophones ou non anglophones selon les pays, devaient interagir avec des administrations, des services de santé, des écoles ou des employeurs dans des langues qu’ils ne maîtrisaient pas encore. Cela a mis en évidence le besoin d’un soutien linguistique et culturel pour faciliter leur insertion sociale et professionnelle.

Le Conseil de l’Europe, à travers des initiatives comme le programme Intégration Linguistique des Migrants Adultes (ILMA), a joué un rôle clé dans la promotion de la médiation linguistique comme outil d’intégration. Par exemple, un document de 2016 du Conseil de l’Europe souligne que la médiation est essentielle pour les migrants, car elle leur permet de surmonter des obstacles liés à des différences linguistiques, terminologiques ou culturelles, comme comprendre les démarches administratives ou les normes sociales du pays d’accueil. La médiation peut être formelle (via des interprètes professionnels ou des formations linguistiques) ou informelle (via des membres de la communauté migrante ou des bénévoles).

En France, une impulsion de l’État

Dans notre pays, la médiation linguistique s’inscrit depuis l’émergence du concept dans une conception de l’intégration qui privilégie une relation directe entre l’État et l’individu, plutôt qu’un modèle communautariste. Depuis les années 2000, des dispositifs comme le Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI, devenu Contrat d’Intégration Républicaine en 2016) ont intégré des formations linguistiques et des actions de médiation pour aider les migrants à naviguer dans leur nouvel environnement. Des chercheurs, comme ceux réunis lors du colloque de l’Université d’Artois en 2008 sur Langue et Intégration socioprofessionnelle, ont également mis en lumière l’importance de la médiation pour répondre aux besoins spécifiques des migrants, notamment dans le milieu professionnel.

Au-delà des mots : un pont entre les mondes et les cultures

La médiation linguistique connecte des réalités. Un migrant face à un médecin dans un pays inconnu a besoin d’un traducteur qui adapte et reformule pour que le dialogue vive. Pour un texte, comme un contrat ou un article journalistique, le traducteur ajuste les concepts afin qu’ils parlent à une autre culture. Ce n’est pas juste de la fidélité au texte, mais une négociation du sens, en contexte de l’univers et des références du destinataire ciblé.

Un texte vit dans un contexte. « Il pleut des cordes » devient absurde en anglais (« it rains ropes ») sans adaptation ; inversement, un Français rirait de « It’s raining cats and dogs » traduit par « il pleut des chats et des chiens ». Dans le domaine pharmaceutique, les pièges guettent tout autant : « paracetamol« , bien connu en Europe, est aussi « acetaminophen » en contexte américain, mais si un traducteur le traduit de façon littérale par « acétaminophène » en français, il perd son public ; personne en France à part les professionnels de santé ne comprennent ce terme, malgré sa technicité « chimiquement » correcte et le fait que les deux noms désignent exactement la même molécule. Dans des domaines spécialisés, cet art devient subtil. Le traducteur comprend les attentes du public et les normes locales. Autre exemple par mi de très nombreux dans le domaine médical : « test » se traduit en français selon le contexte : « test » ou analyse(s) ». Sans l’expertise en la matière, le sens peut s’effondrer, ou bien être décrédibilisé ou avoir de graves conséquences, surtout en santé;

Pas une spécialité, juste le métier ?

Si la médiation linguistique semble une compétence distincte, elle n’est peut-être que l’essence du professionnalisme en traduction. Tout bon traducteur adapte sa traduction à la cible. Ajouter une couche de « médiation » peut sembler artificiel : c’est simplement ce qui fait un traducteur digne de ce nom. D’une façon générale, un médiateur linguistique doit être un bon « traducteur », car son rôle exige de transposer fidèlement un message d’une langue à une autre tout en l’adaptant au contexte culturel et aux besoins des interlocuteurs. Sans une maîtrise approfondie des langues et des nuances, et pour les sujets techniques, l’expertise en la matière traduite, il ne peut combler les écarts linguistiques et sociaux. Inversement, un traducteur professionnel est nécessairement un médiateur : il ne se contente pas de traduire mot à mot, mais ajuste les références culturelles voire réglementaires. Traduire, c’est déjà médier.

Image d’en-tête : Andrea pour Science infused

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