Protection animale : le préjudice d’un chat battu à mort reconnu au tribunal – une décision inédite en France et une interview exclusive de son avocate, Me Graziella Dode
Le 11 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Lille a reconnu le préjudice animal de Lanna, une petite chatte que son propriétaire a tué à coups de poings et lattes de bois. L’affaire a été jugée au tribunal avec succès, et c’est une première. Nous avons posé quelques questions à Maître Dode qui a défendu l’affaire en justice et obtenu des dommages et intérêts pour le petit félin décédé
La découverte macabre avait eu lieu en juillet 2023, dans une poubelle de Lille. Le propriétaire, identifié suite action de la Ligue protectrice des animaux (LPA) portée partie civile, représentée devant la justice par Maître Graziella Dode, a reconnu les faits. Il a été condamné par le tribunal correctionnel de Lille le 11 janvier dernier à 8 mois de prison avec sursis pour cruauté et violences ayant entraîné la mort du petit chat, ainsi que 100 euros de dommages et intérêts.
L’avocate s’est spécialisée dans la défense des animaux et s’est réjouie de cette décision inédite. Reconnaître le préjudice d’un animal et l’indemniser – ici symboliquement – on n’avait jamais vu cela en France.
L’interview.
Science infuse : Qu’est-ce que le droit animalier ? Que recouvre-t-il ?
Maître Graziella Dode : Le droit animalier est une matière transversale qui regroupe l’ensemble de la législation et de la règlementation relatives aux animaux, toutes catégories confondues. De nombreux codes contiennent des dispositions relatives aux animaux : Code civil, Code pénal, Code de l’environnement, Code rural et de la pêche maritime. Ceci démontre toute la complexité du droit animalier.
Science infuse : Qu’est-ce qui vous a amené à cette spécialisation ?
Maître Graziella Dode : Je suis passionnée par les animaux et sensible à leurs êtres depuis mon plus jeune âge. J’ai toujours souhaité exercer un métier impliquant un lien avec eux. Dans le cadre de mes études de droit, j’ai nourri l’espoir que des formations se créent pour dédier mon activité à la cause animale, afin d’allier mes convictions personnelles (respect de l’animal > bénévole et adhérente dans plusieurs associations de protection animale, famille d’accueil pour animaux, végétarienne) avec mon exercice professionnel. J’ai travaillé pendant 5 ans pour me former au métier dans d’autres cabinets d’avocats. Puis, je me suis installée individuellement en septembre 2021 afin de dédier mon activité à la défense des animaux et aux professionnels du secteur animalier. Une formation s’était créée entre temps (Diplôme d’Université en Droit animalier à Limoges), je l’ai donc suivie.
Science infuse : Comment voyez-vous l’évolution de la législation en matière de droits des animaux en France et en Europe ? Évolue-t-elle assez rapidement ?
Maître Graziella Dode : Elle évolue lentement. Depuis la première Loi Grammont en 1950 réprimant les mauvais traitements commis sur un animal en public, jusqu’à la loi du 30 novembre 2021 relative à la lutte contre la maltraitance animale, du temps s’est écoulé, et des exceptions et dérogations à certaines interdictions visant la protection des animaux demeurent.
L’Union Européenne donne une impulsion indéniable (ex : en matière de transports d’animaux, d’expérimentation animale), de nombreuses directives existent.
Mais la législation et la règlementation sont encore soumises à l’utilité de certaines catégories d’animaux – et aux intérêts notamment économiques de l’humain, ou la tradition (chasse, corrida, …) : animaux de rente (élevage puis consommation), animaux anciennement dits « nuisibles » désormais ESOD (espèces susceptibles d’occasionner des dégâts).
Il y a une inégalité de droits selon la catégorie à laquelle appartient l’animal.
Il y a donc encore beaucoup d’évolutions envisageables, notamment pour mieux protéger l’animal sauvage par exemple. Les dispositions de l’article 521-1 du Code pénal qui répriment les actes de cruauté commis sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, ne visent pas l’animal sauvage. Celui-ci (sauf s’il s’agit d’une espèce protégée > des dispositions de protection figurent ainsi dans le Code de l’environnement).
Il faut s’inspirer de certains pays étrangers en avance sur les droits accordés aux animaux.
Et espérer que d’autres décisions comme celle intervenue dans l’affaire Lanna soient rendues afin d’inciter le législateur à agir davantage en faveur des droits des animaux.
Il me semble que l’opinion publique est mûre et favorable à un renforcement des droits des animaux depuis quelques années. La protection des animaux est dans l’aire du temps. À mon sens, nous sommes dans une décennie de conquête des droits des animaux.
Science infuse : Pour le jugement Lanna du 11 janvier, quelles conséquences ?
Maître Graziella Dode : A priori, au moment où je vous parle, aucun appel n’a été interjeté.
Il s’agit donc d’une décision devenue définitive qui ouvre la voie à d’autres décisions en ce sens.
La conséquence serait que les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, victimes de mauvais traitements ou d’autres faits réprimés par le Code pénal pourraient être indemnisés des souffrances qu’ils subissent. Bien évidemment, les animaux n’ayant pas de personnalité juridique, ce serait leur propriétaire (si ce n’est pas lui qui a commis les faits) ou une association de protection des animaux, qui se constitueraient parties civiles, qui obtiendraient le versement de cette indemnité.
La somme de 100 euros accordée au titre du préjudice subi par Lanna dans l’affaire du 11 janvier dernier est une somme symbolique. Désormais, se posera la question de l’évaluation de la souffrance de l’animal victime.
L’indemnisation du préjudice de l’animal pourrait également se poser dans le cadre des procédures civiles (animal renversé par une voiture, animal mordu par un autre chien).
En tout état de cause, il me semblerait aberrant de revenir en arrière et de ne pas obtenir une indemnité au titre du préjudice animalier dans les prochaines affaires. En effet, il est indéniable que l’animal est celui qui souffre directement des faits commis en pratique. L’absence de personnalité juridique n’est à mon sens pas un obstacle pour lui reconnaître un préjudice dès lors qu’il est un être vivant et sensible et qu’il est représenté en justice par une personne physique ou une personne morale.
Science infuse : Animaux dédiés à l’expérimentation animale (cosmétiques, médicaments,…) quelle est votre position ? Faut-il l’interdire ?
Maître Graziella Dode : J’ai une position personnelle sur ce sujet évidemment. L’interdiction doit s’imposer à chaque fois qu’une alternative existe. Ensuite, se pose la question des contrôles à assurer
Merci à Graziella Dode pour son temps.
La mort de Lanna, une petite patte de chat martyr pour un grand pas vers plus d’humanité envers les animaux ?
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Image d’en-tête : Maître Graziella Dode
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