Trésors sauvés de Gaza : 5000 ans d’Histoire à l’Institut du Monde Arabe
Quelle étrange folie habite donc l’esprit des hommes pour qu’ils s’acharnent à détruire ce qui naguère fit leur plaisir, leur gloire et leur fierté ? Les sinistres caprices de l’actualité font du nom de Gaza un synonyme de champ de ruines fumantes peuplé par des spectres affamés alors qu’elle fut jadis, nous rappelle cette exposition de l’IMA, une des perles du Moyen-Orient.
On estime que Gaza fut fondée pendant la première moitié du III ème millénaire puisque la ville est citée, pour la première fois, dans les textes égyptiens du règne de Thoutmosis III : elle y est nommée « Hazattu » d’où vient le nom arabe actuel « Ghazza ». Et, dès cette période lointaine, Gaza était considéré comme un lieu privilégié.
Gaza se trouve, de façon naturelle, à mi-chemin entre le désert et la mer, entre le sable et l’eau, si bien qu’elle constitue une sorte de poste frontalier naturel entre l’Egypte et l’Asie, et, pour ainsi dire, le dernier havre de paix avant le désert. Gaza était une vallée, une sorte d’oasis au bord de la mer, et, en tant que telle, elle a toujours constitué un enjeu majeur dans les rivalités entre les pouvoirs de la vallée du Nil et ceux de la Mésopotamie. Ce port méditerranéen était l’idéal point de convergence des routes caravanières d’Afrique, d’Arabie et d’Inde. Pas surprenant que l’historien et géographe Strabon en ait parlé comme de « la plus grande ville de Syrie ». Durant 5000 ans, de façon ininterrompue depuis l’âge de bronze, Gaza était un lieu de refuge, de repos, de transports, d’échanges, de commerce, de finance, d’aisance, de réjouissance, de culture, de gastronomie et d’abondance. Et les civilisations se sont succédé, onze en tout qui firent de Gaza un paradis architectural, technique et culturel : cananéenne, égyptienne, philistine, néo-assyrienne, babylonienne, perse, hellénistique, romaine, byzantine, chrétienne et arabe. Et toutes, elles ont laissé leurs traces, ainsi qu’en témoignent la centaine d’œuvres rassemblées pour cette exposition. Quelques exemples :
La précieuse figurine « femme au tambourin », en terre cuite, (âge du fer, 800 à 600 avant notre ère) dont le corps en cloche légèrement tourné imite la danse. Elle était prêtresse ou déesse et son culte était lié à celui de la fécondité.

La délicate lampe à huile en terre cuite de la période romaine (fin du Ier siècle avant notre ère), malicieusement ornée d’une scène érotique.

La statue d’Aphrodite ou Hécate avec Pan enfant, remonte, elle, soit à la période hellénistique soir à la période romaine. Aphrodite ou Hécate y est représentée en appui sur un Hermès ithyphallique, avec à sa droite les sabots de Pan enfant qui a été détruit par les ans.

La Grande lampe à protomé de lion (période romaine) en bronze et fonte. Le pavement de mosaïque déposé de Dayr Al-Balash (période byzantine) dont les tesselles sont faites de pierre, verre, terre cuite ou de faïence.
Sans omettre les objets témoins d’un véritable savoir-faire technique et industriel, tel ce large anneau régulateur de tension d’amarre (V e siècle avant notre ère) en marbre blanc, dont la partie supérieure est percée de deux petits trous, ce dispositif permettant, habilement, de réguler la tension du câble qui reliait l’ancre au navire.

Et ces amphores diverses qui rappellent que, dès les périodes les plus reculées, les gazaouis maîtrisaient parfaitement l’irrigation et l’adaptation de la vigne au sol sableux d’où le fort développement de la culture de la vigne. A partir du IIème siècle Gaza était devenue une grande exportatrice de vin et ses amphores caractéristiques se retrouvaient dans toute la méditerranée, d’Alexandrie à Beyrouth ou à Marseille.

Et puis, également, les objets étonnants ou pittoresques. Telles ces 30 lampes byzantines en terre cuite (501- 600), retrouvées dans un hypogée (sépulture souterraine) sous la basilique byzantine de Mukhetim, et qui trônent ainsi qu’une installation d’art contemporain.

Et encore ce « Trésor monétaire » (20 000 pièces agglomérées entre 310 et 340). Il a été découvert par des pêcheurs dans la mer peu profonde, en face de Gaza, et proviennent, très probablement, d’un naufrage : les 20 000 pièces (32,6 kgs) avaient été frappées vers la fin du IVè siècle et, dans l’eau, en se soudant les unes aux autres, avaient adopté la forme de l’outre ou de la pochette en cuir qui les contenait, leur offrant ainsi cette amusante forme de poire en métal.

Cette centaine d’objets faisait partie d’un ensemble qui avait été envoyé, à l’automne 2006, au Musée d’art de d’Histoire de Genève. Et qui, depuis lors, y est resté. En tout, à Genève, se trouvaient 529 œuvres archéologiques de Gaza destinées à l’exposition « Gaza à la croisée des civilisations ». Ces œuvres devaient constituer le fond du futur musée archéologique de Gaza, « La villa-Musée de Jawdat Khoudary ». Mais l’arrivée au pouvoir du Hamas a rendu caduque le projet de Musée, et, depuis octobre 2023, le lieu est désormais occupé par l’armée israélienne qui en a fait une base de commandements. Par conséquent les caisses sont restées à Genève, prêtes au départ, relents d’un hommage désormais obsolète à l’art et aux savoir-faire des civilisations. Quant au reste de la collection du musée, 4000 pièces en tout, on ignore actuellement dans quel état exact il se trouve.
Les dégâts culturels, architecturaux et patrimoniaux sont cruels. Bien entendu.
Selon l’UNESCO, à la date du 17 février 2025 la bande de Gaza avaient connu 10 mosquées détruites sur un total de 15, 44 bâtiments d’intérêt historique sur un total de 230, 3 dépôts de patrimoine sur 3, 1 église sur 3, 5 cimetières sur 5, « le » musée, « le » hammam, « la » forteresse et « le » souk. Et le tout en moins de deux années.
On apprend, au fur et à mesure de la lecture historique de l’exposition, que Gaza connut sa période de paix, une sorte de parenthèse enchantée entre 1905 et 1917 : les photos restantes montrent des petits jardins, des palmeraies et un joli port de pêche. À cette époque-là, Gaza aurait fait les délices de monsieur Donald Trump.
Photos : Alain Girodet – Copyright – juillet 2025
du 3 avril au 2 novembre 2025
Institut du Monde Arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard – Place Mohammed V – 75326 Paris Cedex 05
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