ActualitésAnalyseÉtudesFranceMédicamentsRechercheSanté publique

Valproate (Dépakine) : l’exposition paternelle augmente le risque de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant

Une étude EPI-PHARE sur 2,8 millions de naissances confirme que le valproate pris par le père avant conception double le risque de retard intellectuel et accroît celui d’autisme chez l’enfant. Mesures préventives renforcées en France, mais la recherche et l’indemnisation restent à élargir.

Un scandale qui s’élargit : du valproate aux pères

Le valproate de sodium, commercialisé sous Dépakine®, Dépamide® ou Micropakine®, est un antiépileptique et stabilisateur d’humeur prescrit depuis 1967 à environ 200 000 patients annuels en France, dont un tiers d’hommes en âge de procréer. Son efficacité contre l’épilepsie généralisée et les troubles bipolaires est établie, mais son profil tératogène est documenté depuis les années 1980. Chez les femmes enceintes, le risque de malformations majeures atteint 10 %, celui de troubles neurodéveloppementaux (TND) 30 à 40 %. Depuis 2014, le médicament est l’objet de restrictions draconiennes, avec un fonds d’indemnisation dédié via l’ONIAM et 4 500 victimes reconnues, le tout assorti d’un procès contre Sanofi.
L’exposition paternelle émerge comme nouveau front. Des études animales sur l’inhibition de l’histone désacétylase et l’altération de l’expression génique dans les spermatozoïdes, ainsi qu’une méta-analyse scandinave de 2023 montrant un hazard ratio de 1,4 à 2,7 pour les TND, avaient signalé le risque. Le 6 novembre 2025, l’étude EPI-PHARE, la plus vaste à ce jour, apporte des preuves observationnelles solides. Transmise au PRAC de l’EMA, elle pourrait harmoniser les pratiques européennes sur le modèle français de 2025, avec prescription initiale réservée aux spécialistes et attestation cosignée annuelle. Dès sa publication, l’ANSM a souligné que le risque, bien que moins fréquent que chez les mères, justifie pleinement les restrictions actuelles et qu’un arrêt brutal reste dangereux.

Méthodologie : une cohorte nationale sur données SNDS

L’étude EPI-PHARE s’appuie sur les données de santé de presque tous les enfants nés en France entre 2010 et 2015, soit près de 2,8 millions de sujets suivis jusqu’à l’âge de 12 ans en moyenne. Parmi eux, les chercheurs ont identifié 4 773 enfants dont le père avait reçu du valproate dans les quatre mois précédant la conception. Pour comparer, ils ont constitué deux groupes témoins : l’un avec des pères traités par d’autres antiépileptiques jugés plus sûrs (lamotrigine ou lévétiracétam), l’autre avec la population générale.

Les troubles recherchés sont ceux officiellement diagnostiqués et remboursés : retard intellectuel, autisme, troubles du langage, difficultés d’apprentissage et TDAH. Après avoir pris en compte l’âge du père, le niveau social et d’autres facteurs susceptibles d’influencer le résultat, les conclusions sont claires.

Chez les enfants dont le père prenait du valproate, on observe environ 24 % de troubles neurodéveloppementaux en plus par rapport aux enfants de pères sous traitements alternatifs. Le chiffre le plus frappant concerne le retard intellectuel : le risque est doublé, ce qui représente environ trois à quatre enfants supplémentaires touchés pour 1 000 naissances. Pour l’autisme, le risque est accru d’environ 50 %, même si le nombre de cas reste trop faible pour atteindre la certitude statistique absolue. Les troubles du langage et le TDAH sont également plus fréquents, de l’ordre de 20 à 30 %.

Les limites sont classiques pour ce type d’étude sur données administratives récupérées est que l’on ne connaît pas la dose exacte ni la durée précise du traitement, et que certains troubles légers passent peut-être sous les radars. Néanmoins, la taille exceptionnelle de la cohorte et la comparaison avec d’autres antiépileptiques donnent à ces résultats un poids que les études précédentes n’avaient pas.

Réflexion autour des cas d’autisme

Les troubles du spectre de l’autisme représentent 77 cas dans le groupe exposé. L’association n’atteint pas la significativité statistique (rapport de risque de 1,53 et intervalle de confiance à 95 % de 0,95 à 2,47), mais la direction est cohérente avec les modèles animaux et l’étude scandinave. Le mécanisme plausible repose sur l’inhibition de l’histone désacétylase par le valproate, entraînant une hyperacétylation et une dérégulation de gènes liés au neurodéveloppement comme MECP2 ou BDNF dans les spermatozoïdes, avec transmission épigénétique au fœtus. L’autisme apparaît donc, ici, comme un processus pathologique induit, et non comme une variation indépendante. Classé dans le DSM-5 comme trouble avec altération cliniquement significative de la communication sociale et des comportements restreints, il est codé dans la CIM-11 comme pathologie neurodéveloppementale. Cela étant dit, d’une façon générale affirmer que l’autisme peut-être une pathologie (ici iatrogène) serait en France en particulier politiquement incorrect : le paradigme neurodiversité, légitime pour combattre la stigmatisation, rejette ce terme au profit de « différence cognitive ». Or ce rapport EPI-PHARE tend vers la démonstration d’une causalité environnementale médicamenteuse comparable par exemple à la phénylcétonurie ou à la tératogenèse thalidomide, rendant certains TSA évitables. L’étude EPI-PHARE brise en quelque sorte un tabou.

Mesures en France : modèle préventif, mais incomplet

Des neurologues de référence estiment que les résultats de la vaste étude, robustes, confortent les restrictions actuelles et imposent un dialogue systématique avec un spécialiste avant toute conception. Depuis le 6 janvier 2025, la prescription initiale est réservée aux neurologues, psychiatres et pédiatres pour les hommes et adolescents susceptibles de procréer ; une attestation cosignée annuelle entre prescripteur et patient conditionne la dispensation depuis le 30 juin 2025 pour les renouvellements. La contraception efficace est obligatoire pendant le traitement et trois mois après l’arrêt ; le don de sperme est interdit ; la conservation de sperme avant traitement est encouragée. Une brochure patient et une carte sont incluses dans chaque boîte.
Les données préliminaires de la CNAM montrent une baisse de 15 % des délivrances aux hommes. L’ANSM insiste pourtant : l’arrêt brutal expose à un risque de crise épileptique ou maniaque. Les alternatives comme la lamotrigine ou le lévétiracétam sont validées, mais leur accès reste inégal en termes de coût et de disponibilité.

Perspectives : recherche, politique, indemnisation

À court terme, 2026 devrait voir une révision de l’EMA alignant l’Europe sur les restrictions françaises, potentiellement étendues à d’autres antiépileptiques comme la carbamazépine ou le topiramate, sur la base de signaux épigénétiques similaires. Des pays comme la Suède et le Royaume-Uni, qui ont déjà durci leurs recommandations après l’étude scandinave de 2023, enregistrent une chute de 20 % des prescriptions masculines. Des modélisations épigénétiques fines, couplant données SNDS et biobanques nationales, pourraient quantifier la transmission transgénérationnelle et identifier des biomarqueurs spermatiques prédictifs, comme des profils d’hyperacétylation mesurables via séquençage.
À moyen terme, l’élargissement de l’ONIAM aux enfants de pères exposés est en discussion au Parlement, soutenu par des associations comme APESAC qui reçoivent depuis 2018 des signalements de pères ; une baisse de 30 % des prescriptions d’ici 2030 éviterait environ 500 cas de TND par an selon les projections CNAM, avec un impact économique net positif estimé à 200 millions d’euros en coûts de prise en charge évités.
À long terme, l’intégration systématique du risque paternel dans les lignes directrices internationales (OMS, NICE) pourrait redéfinir les protocoles de conception assistée, incluant des tests spermatiques préconceptionnels pour tout patient sous substance neuroactive.

Enfin, l’étude renforce la pharmacovigilance globale : tout médicament neuroactif devra désormais être évalué sur la spermatogenèse, redessinant la balance bénéfice-risque pour des millions d’hommes et favorisant des thérapies géniques correctrices des marques épigénétiques. Des cohortes prospectives internationales, comme celles lancées par l’EMA en 2026, testeront ces hypothèses, potentiellement en intégrant l’intelligence artificielle pour modéliser les interactions gène-médicament-environnement.

Cet article GRATUIT de journalisme indépendant à but non lucratif vous a intéressé ? Il a pour autant un coût ! Celui d’une rédaction qui se mobilise pour produire et diffuser des contenus de qualité. Qui paie ? vous, uniquement, pour garantir notre ultra-indépendance. Votre soutien est indispensable.

Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0324Z94873) édité par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.

Notre média dépend entièrement de ses lecteur pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section presse reste d’accès gratuit !

via J’aime l’Info, association d’intérêt général partenaire de la presse en ligne indépendante :

ou via la page dédiée de J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
9 × 22 =