Clause de non-concurrence : le Conseil constitutionnel confirme sa justification pour l’exercice de la médecine
Le Conseil constitutionnel a débouté l’Ordre des médecins le 9 décembre, qui invoquait une atteinte à la liberté d’installation de praticiens hospitaliers
L’exercice de la médecine n’est pas du commerce, à savoir qu’il n’a pas de caractère lucratif, et certains médecins aiment souvent le rappeler. Il est néanmoins parfois difficile de confronter cela à la réalité dans certains cas surtout quand certains notions juridiques ayant trait au droit commercial viennent moduler l’exercice de l’art médical. Parlons donc de « non-concurrence », « concurrence déloyale » et de « liberté d’entreprendre » à l’occasion d’une décision rendue hier par le Conseil constitutionnel.
L’exercice mixte sur la sellette
La loi HPST dite « Buzyn » du 24 juillet 2019 stipule qu’un praticien hospitalier (PH) ne peut pas s’installer pour un exercice en cabinet privé à moins de 10 kilomètres de établissement hospitalier où il exerce une fonction publique. La notion de non-concurrence entre exercice privé et public est dans le Code de la santé publique (CSP) avant 2019 mais la loi Buzyn vient la renforcer. Concernant le départ d’un PH dans le privé :
« Lorsqu’ils risquent d’entrer en concurrence directe avec l’établissement public de santé dans lequel ils exerçaient à titre principal, il peut être interdit, en cas de départ temporaire ou définitif, aux praticiens mentionnés à l’article L. 6151-1, au 1° de l’article L. 6152-1 et à ceux mentionnés au 2°[3] du même article L. 6152-1, dont la quotité de temps de travail est au minimum de 50 % d’exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie.«
On a également l’article L6154-4 du CSP qui précise : « Le contrat [d’activité libérale] prévoit une clause engageant le praticien, en cas de départ temporaire ou définitif, excepté lorsqu’il cesse ses fonctions pour faire valoir ses droits à la retraite, à ne pas s’installer, pendant une période au minimum égale à six mois et au maximum égale à vingt-quatre mois, et dans un rayon au minimum égal à trois kilomètres et au maximum égal à dix kilomètres, à proximité de l’établissement public de santé qu’il quitte. «
Rappelons qu’il existe aussi des dispositions à type de restriction de cumul des activités applicables à tous les agents de la fonction publique.
Dans l’esprit, le dispositif juridique visant les praticiens hospitaliers vise à éviter l’hémorragie de la pénurie médicale au sein de l’hôpital (perte de bras), mais aussi à éviter la captation par le médecin d’une patientèle hospitalière vers son cabinet privé. En pratique, la procédure d’interdiction d’exercice privée doit être exercée par la direction de l’hôpital concernée et est assez lourde. Qui plus est, les sanctions pécunières à l’adresse du contrevenant sont assez dérisoires et donc peu dissuasives.
Conseil de l’Ordre des médecins (CNOM) à la rescousse des praticiens
Le CNOM est toujours présent pour réagir de façon vive à toute atteinte au monopole et à la liberté des médecins. Lorsque les décrets (tardifs) d’application des clauses de non concurrence ont été publiés, l’instance ordinale a réagi avec émoi par l’intermédiaire de François Simon en charge de la section d’exercice professionnel :
« Ces décrets ne sortent pas de nulle part et nous nous y étions déjà opposés en 2019. Avant même leur publication cette année, nous avons été alertés par des médecins inquiets, nous signalant que des directeurs d’hôpitaux avaient l’intention d’activer ces clauses. Or, nous considérons que ces dispositions sont contre-productives pour les exercices mixtes Ville/Hôpital. Aujourd’hui, les jeunes générations de médecins ont une appréhension à se fixer quelque part et ne veulent surtout pas être captifs, ni du système libéral ni du système hospitalier », expose le Dr François Simon, président de la section Exercice professionnel au CNOM. « Il y a une contradiction fondamentale entre les règles imposées aux médecins et la volonté affichée du législateur de renforcer l’exercice mixte, avec une participation de toutes les bonnes volontés ».
Bref, liberté encore et toujours pour les médecins, et réaction épidermique à toute remise en cause du dogme de la libre installation. Ainsi le CNOM a-t-il demandé purement et simplement l’annulation (partielle) des deux décrets en question.
À ce titre, on rappellera que les médecins ne sont pas seuls concernés : la clause de non-concurrence touche aussi les PH pharmaciens qui peuvent s’installer dans une activité privée en officine de pharmacie ou en laboratoire d’analyses médicales. Le Conseil de l’Ordre des pharmaciens n’est pour autant pas monté au créneau comme le CNOM. C’est assez typique.
Avis du Conseil constitutionnel
Liberté d’installation, liberté d’entreprendre, le CNOM fort de ces notions à défendre coûte que coûte a saisi le Conseil constitutionnel en septembre invoquant une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). L’instance ordinale a évoqué des limitations d’exercice « excessives » et une « atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ». Il trouve également les sanctions prévues trop sévères.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel ne voit aucune atteinte à la Constitution par les mesures visées. Il estime que l’intérêt général doit être pris en compte et peut venir moduler la « liberté d’entreprise », et qu’ici, les justifications existent, comme « garantir le bon fonctionnement de ce service public qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ».
Le Conseil constitutionnel nous rassure : « les dispositions contestées », « ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ».
Tiens, les mêmes arguments et problématiques tiennent pour l’instauration d’une 4e année d’étude des futurs médecins généralistes en déserts médicaux, ou encore la nécessité de casser un monopole de prescriptions et de consultations de suivi par d’autres professionnels de santé – la fracture sanitaire pour être traitée nécessite possiblement de fracturer des monopoles et corporatismes très ancrés en France.
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