Colloque sur la désinformation médicale : Yannick Neuder lance une croisade au « point de départ » au goût de déjà-vu qui questionne
Ce vendredi 18 avril 2025, le ministre de la Santé a présidé un colloque à Paris pour inaugurer une politique publique contre la désinformation médicale. Si l’objectif de contrer les « fake news » en santé est louable et même indispensable, l’initiative démarre avec des choix qui interpellent : un observatoire flou et certains intervenants à la crédibilité qui interroge
Le ministère de la Santé a voulu frapper fort ce vendredi avec le colloque ‘Lutte contre l’obscurantisme et la désinformation en santé‘, marquant le coup d’envoi d’une politique publique inédite. Présidé par Yannick Neuder, cardiologue et ministre, l’événement a réuni des figures comme Michel Cymes, le pharmacologue Mathieu Molimard, l’infectiologue Karine Lacombe et des représentants d’instituts scientifiques. Face à l’avalanche de fausses informations médicales, amplifiées par les réseaux sociaux et les crises comme celle de la pandémie de Covid-19, Yannick Neuder a sonné la charge : « Nous entrons en guerre contre la désinformation », rhétorique peu originale lancée par Emmanuel Macron avec son « Nous sommes en guerre » (contre le Covid). Il a cité à juste titre des patients dupés abandonnant leur chimiothérapie pour des remèdes miracles. Mais les annonces, un observatoire national, des soignants labellisés, des partenariats avec les plateformes numériques, sentent le déjà-vu ou la contradiction et peinent à convaincre.
Une ambition européenne mais des bases fragiles
Yannick Neuder veut faire de la France un modèle européen contre la désinformation qu’il juge dopée par des figures comme Robert F. Kennedy Jr., dont les positions anti-vaccins aux États-Unis font trembler. « Éradiquer la variole aurait été impossible avec la désinformation actuelle » a-t-il déclaré sur France Inter, soulignant l’urgence d’agir. Il a dévoilé aujourd’hui cinq axes : un Observatoire des fausses informations, l’usage du Digital Services Act, des programmes éducatifs, une mobilisation citoyenne via des soignants influenceurs, et des outils pour les crises. Une « charte nationale contre la désinformation » a été signée, impliquant les ministères de l’Éducation, de la Recherche, du Numérique et de la Justice. Mais cette ambition a-t-elle des bases solides ? les mesures manquent de clarté, et certains acteurs choisis pour porter le flambeau laissent perplexe.
Un observatoire : à condition qu’il ne s’agisse pas d’un gadget bureaucratique
L’annonce d’un Observatoire national des fausses informations avant même d’en dresser les contours est emblématique du traitement du sujet. Censé recenser les fake news, publier un baromètre, et orchestrer des campagnes pour démentir des rumeurs (comme les vaccins causant l’autisme), cet organisme risque de n’être qu’un gouffre financier. « Je souhaite que le ministère indique très régulièrement toutes les fake news qui se sont propagées ces dernières semaines sur les réseaux sociaux », a promis Neuder sur France Inter. Mais on dirait un « numéro vert » glorifié, une réponse symbolique qui évite les vrais problèmes. Les dérapages du Covid, où les autorités ont laissé prospérer les thèses sur l’hydroxychloroquine sans réagir, montrent l’incapacité chronique à agir efficacement. Sans détails sur son budget ou son fonctionnement, cet observatoire semble condamné à devenir une coquille vide.
Certains intervenants entre crédibilité et controverse
Le choix des intervenants au colloque oscille entre promesses et déceptions. Michel Cymes, animateur star, avait une place centrale dans la réunion qu’il animait, dans laquelle il intervenait et jouait les modérateurs. Pourtant, il traîne un passif encombrant : il a promu des compléments alimentaires aux vertus douteuses, flirtant avec les pseudosciences qu’il prétend combattre, pseudosciences qui sont au cœur de la désinformation médicale. Faute exceptionnelle de casting ? Mathieu Molimard, pharmacologue du CHU de Bordeaux, se pose en chevalier blanc contre la désinformation, ce qui est un fait : il a d’ailleurs été l’un des membres fondateurs de notre éditeur Citizen4Science, contribuant au rôle rôle de fer de lance de l’association d’information et de médiation scientifique contre la désinformation médicale en 2020-2021. Mais depuis lors, certaines de ses alliances et initiatives sont troublantes, comme le lien avec des militants des réseaux sociaux politisés sans la moindre expertise médicale qui se sont illustrés par des croisades médiatiques plus que par des analyses rigoureuses. Il y a eu aussi l’opération médiatique de promotion d’une association fantôme évoquée dans nos colonnes il y a quelques années. Enfin, il y a eu la promotion d’une méta-analyse rétractée sur les décès liés à l’hydroxychloroquine par une équipe lyonnaise. Présentée comme une preuve des ravages de la désinformation est basée sur une modélisation discutable, elle semble plus construire pour servir un récit qu’une démonstration implacable. Ces partenariats et actions opportunistes peuvent-elle ternir une aura ?
L’irréprochable Karine Lacombe en soutien
Heureusement, la présence de Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, également impliquée dans la fondation de Citizen4Science, a apporté une bouffée de rigueur au colloque. Elle est une véritable lanceuse d’alerte sur la désinformation médicale notamment en ce qui concerne l’essai clinique « sauvage » du Pr Raoult, à la différence de certains qui s’approprient ce qualificatif alors qu’ils ont suivi ceux qui ont montré la voie. Ses interventions sont invariablement ancrées dans une expertise clinique et une communication mesurée. Aujourd’hui encore, elles ont tempéré les dérives militantes, rappelant avec modestie et probité l’importance d’une science irréprochable pour contrer les fausses informations.
Une riposte entravée par les plateformes et la défiance
Yannick Neuder compte sur le Digital Services Act pour forcer les plateformes numériques à modérer les fake news La labellisation de soignants influenceurs ou la nomination d’ »ambassadeurs » pourrait diffuser une information fiable, mais bureaucratiser la communication scientifique est risqué. Les institutions, de l’Inserm à l’Institut Curie, sont priées de hausser le ton, mais leur silence pendant le Covid n’inspire pas confiance. Quant aux sanctions contre les désinformateurs, comme ceux de l’IHU de Marseille, elles restent floues, alors que Didier Raoult échappe toujours à la justice. Cette timidité contraste avec l’urgence affichée.
Une leçon non apprise : la crédibilité avant tout
Le ministre de la Santé a raison : « la désinformation tue« . La formule n’est pas nouvelle, elle est née dans la crise sanitaire. Mais les prémices de son initiative semblent répéter les erreurs du passé. Pendant la pandémie, les efforts de lutte contre la désinformation n’ont pas eu les bénéfices escomptés notamment parce que des intervenants non experts dans les sujets abordés, politisés ou à la recherche de lumière ont surfé sur la vague ; certains, autoproclamés en lutte contre la désinformation médicale aujourd’hui ont même soutenu Didier Raoult, qui est souvent leur étendard pour montrer le danger de la désinformation médicale, et ce au pire moment de la pandémie. Pour que la lutte contre la désinformation réussisse, la première mesure paraît pourtant évidente : désigner des porte-parole crédibles, choisis pour leur expertise médicale incontestable et leur probité, comme le montre l’exemple de Karine Lacombe. Sans cela, Yannick Neuder risque de transformer son « jour 1 de la guerre contre la désinformation » en une nouvelle foire aux opportunistes, renforçant la défiance qu’il veut combattre. Ainsi, sans la premier acte de rigueur consistant à repartir sur une bonne base d’ambassadeurs plutôt que de « prendre les mêmes et on recommence » cette croisade pourrait paradoxalement nourrir, à nouveau, ce qu’elle cherche à éradiquer. Souhaitons néanmoins pleine réussite à cette initiative essentielle.
Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused
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