Intelligence artificielle : Pierre Ouzoulias, Emmanuel Maurel et Cédric Villani appellent à lancer le débat de la régulation « avant qu’il ne soit trop tard »
Les trois hommes politiques de gauche, dont deux sont scientifiques ont publié ce jour une tribune dans le Huffington Post
Le sujet de l’IA est récurrent dans nos colonnes, par des articles originaux de la rédaction ou de contributeurs internationaux. Si l’intérêt est scientifique et technologique au premier abord, et une source de progrès indéniable, c’est rapidement les risques et problématiques tous azimuts que nous font face et deviennent préoccupants avec le développement fulgurant de la technologie : risque sécuritaires, éthiques, philosophiques, et le risque ultime que les humains soient dépassés par cette IA.
Risque de débordement technologique
Aujourd’hui, la tribune des trois hommes politiques est bienvenue. Elle tente de sensibiliser le public à ce qui se profile et demande que des réflexions soient lancées sans délai. Les auteurs illustrent leur problématique par des exemples, où l’intelligence artificielle remplacerait insidieusement l’homme :
« Que diriez-vous d’un monde dans lequel un article de journal ou le scénario d’un film serait intégralement rédigé par une IA ? Que penseriez-vous d’une société dans laquelle une décision de justice serait rendue par un algorithme ? D’une chaîne de musique qui vous ferait entendre un nouveau morceau composé de A à Z, paroles, instruments et arrangement, par un réseau de neurones ? «
Ils révèlent que ce n’est pas une dystopie, et que c’est possible, rapidement. Nous nous risquerons à commenter que tout cela existe déjà !
Inspiration Cathy O’Neil
La tribune évoque le livre de Cathy O’Neil : ‘Algorithmes : la bombe à retardement’. Il faut dire qu’il est préfacé pour sa version française par Cédric Villani.
Les algos y sont décrits comme des « armes de destruction mathématique ». L’auteur est ancienne analyste à Wall Street qui a conçu et géré des algorithmes financiers notamment pour la gestion de hedge funds. . Forte de son expérience sur les marchés boursiers où les algorithmes mènent la danse, elle lutte contre les dérives de leur usage et met en garde contre leur puissance et leur ultra-connexion.
Cédric Villani explique avoir relu Cathy O’Neil quand il a été chargé par le président Emmanuel Macron d’une mission sur l’intelligence artificielle, et l’a invitée à participer à la restitution du travail mené.
« Les interrogations liées à l’IA passent souvent sous les radars politique et médiatique »
C’est aussi notre constat d’où notre couverture régulière du sujet. Ainsi les auteurs expliquent ne pas être au stade de savoir si l’IA est une bonne chose ou non. Ce stade est dépassé. Ils souhaitent donc maintenant qu’on en prenne la maîtrise pour ne pas en subir les conséquences positives pour le progrès mais assorties de nombreux risques.
S’agissant d’un texte émanant d’hommes politiques de gauche, ces derniers critiques largement le rôle de « BigTech », ces grandes entreprises « qui présentent l’IA comme un progrès à accepter d’un bloc, incorporées dans des solutions démesurées […] « leur dilapidation de matière et d’énergie et parfois les conditions inhumaines dans lesquelles travaillent sous-traitants et fournisseurs’. Exemple emblématique pour les auteurs : Tesla, qui est le symbole du « travestissement du progrès ». Elon Musk appréciera. Ils lui reconnaissent néanmoins la pertinence de sa déclaration récente : l’IA est une menace existentielle pour l’humanité ».
De fait, le milliardaire a prévenu des risques extrêmes, à répétition, prônant la régulation. Il le rappelle d’ailleurs dans cette vidéo de son cru : « I Tried To Warn You »
Impact sur le travail et l’emploi
C’est une grande inquiétude des auteurs de la tribune. Ils parlent d’un « prolétariat d’un nouveau genre » fait de l’emploi en masse de travailleurs pauvres pour alimenter des bases de données, de « l’esclavage d’employés d’Amazon soumis aux ordres d’algorithmes ».
Nous avons droit à une citation de Marx parce que selon eux, il avait raison en disant : « le temps est tout, l’homme n’est plus rien ; il est tout au plus une carcasse du temps«
Le temps presse
Si Elon Musk dans sa vidéo dit qu’il nous a prévenu mais qu’aujourd’hui « It’s already too late » (c’est déjà trop tard), les auteurs de la tribune pensent qu’il est encore temps d’agir, mais vite.
Pour eux, « les grands groupes disposent d’une avance considérable sur les États ». Il faut s’interroger sur les implications « philosophiques, juridiques et politiques de l’intelligence artificielle ». Il faut, écrivent-ils pour conclure leur tribune, que « les citoyens appréhendent cette matière, qui, un jour ou l’autre, finira par les toucher. Il est essentiel que nos organisations politiques, les syndicats, les associations et les universitaires agissent de concert pour que demain, nous soyons tous capables de répondre à cet immense défi.«
Pour aller plus loin …
Texte paru initialement dans The Conversation, traduit par la Rédaction. La traduction est protégée par les droits d’auteur, en conséquence notre article n’est pas libre de droits.
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