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Jérémie Mercier apprenti-gourou Épisode 5 – Une nouvelle société commerciale en Estonie

Par Tonis Prants à Tallinn, Estonie

Le « normalien-docteur » de la santé de son portefeuille continue de cristalliser les modèles des pires gourous santé et ajoute une société commerciale estonienne à la constellation existante

A Taulis, département des Pyrénées Orientales, l’arrivée d’un fameux naturopathe en 2018 n’était pas passé inaperçue.

Dans ce petit village de 58 habitants à l’écart des grands axes routiers, un Perpignanais de 44 ans venait y acheter le « vaste mas de Bonne nouvelle », une ferme typique de la région dotée d’un vaste terrain. Dans les mois suivants, il avait rénové la propriété puis avait construit « un hangar puis des bureaux parsemés sur l’immense propriété ».

Seulement 8 ans après la création de sa chaîne Youtube, ce gourou du crudivorisme semblait alors avoir accumulé une fortune importante et générait suffisamment de bénéfices pour convaincre des banques de le soutenir dans ces investissements immobiliers.

Le fonds de commerce de Thierry Casasnovas, c’est la naturopathie et plus précisément le crudivorisme, une pratique inspirée des thèses hygiénistes d’Herbert Shelton. Casasnovas propose en effet à ses abonnés d’adopter un régime alimentaire à base de fruits et légumes pour aller mieux.

Casasnovas vend d’ailleurs sur le site internet de son association ses célèbres extracteurs de jus, les jus de fruits et légumes étant au centre des régimes proposés. Rien de mal jusqu’ici, business is business.

Là où Thierry Casasnovas devient un danger pour la santé de ses fidèles, c’est qu’il se garde de prévenir son audience que ses régimes sont déséquilibrés (absence de féculents, notamment). Pire, avec le temps et le succès, Casasnovas affirme que ses régimes ont le potentiel de guérir l’obésité, la dépression, l’acné, et même, le cancer.

Aujourd’hui mis en examen pour abus de confiance, faux et usage de faux, exercice illégal de la médecine, exercice illégal de la pharmacie, pratiques commerciales trompeuses, abus de biens sociaux, blanchiment et abus de faiblesse, les petites recettes de Thierry Casasnovas sont désormais connues au-delà de ses 600 000 abonnés sur Youtube. Au point de faire des émules ?

Inspiration Casasnovas

Le succès, notamment financier, de Casasnovas (né en 1974) ne pouvait manquer de laisser indifférent d’autres naturopathes en herbe. Parmi ces jeunes loups du Youtube game naturopathe, la relève semble d’ores et déjà assurée en la personne de Jérémie Mercier (né en 1982), gourou naturopathe français aujourd’hui établi en Estonie. Mais peut-il faire aussi bien que le modèle Casasnovas ?

Comme Casasnovas, Jérémie Mercier est un ancien élève d’un célèbre institut de naturopathie en Floride, the Hippocrates Health Institute. Comme Casasnovas, Jérémie Mercier n’hésite pas à qualifier les opérations de dépistage du cancer du sein « d’arnaque ».

Simple coïncidence probablement, mais c’est peu après que Casasnovas a été mis en examen (été 2020) que la famille Mercier a littéralement pris armes et bagages pour passer en Estonie (arrivée en octobre 2020).

Contrairement à Casasnovas, Jérémie Mercier a fait de bonnes études… mais pas en médecine Il est raisonnable de penser que les déboires de Casasnovas ont inspiré à Mercier des perfectionnements et adaptations aux méthodes américaines de l’Hippocrates Health Institute. Plus question d’affirmer soigner des maladies avec des régimes alimentaires dans des vidéos publiques disponibles sur Youtube. Hors de question de se faire prendre comme Casasnovas.

Pourtant, des propos controversés, Jérémie Mercier n’en est pas avare. L’invasion russe de l’Ukraine ? Une guerre des Américains contre les Européens. Le changement climatique ? Une supercherie. Brigitte Macron ? Un homme. Les virus ? Ça n’existe pas. Les vaccins ? Les vaccins ne sont que des vastes complots de « l’industrie de la maladie », une de ses expressions favorites, et sont tous nocifs.

Pour le reste, et notamment le contact avec les clients, Jérémie Mercier officie maintenant derrière un « Club Privé Santé ». La leçon de Thierry Casasnovas a bien été assimilée.

Cela ne signifie pas pour autant que Mercier se refuse à faire des affaires fondées sur la détresse des malades. Ainsi, dans une vidéo encore disponible sur Youtube exposant une rémission miraculeuse d’un cancer, un lien en description menait autrefois vers un formulaire Google dont nous avons effectué une captation, disponible sur Youtube également, avant remplacement.

Le formulaire lui permettait d’entrer en contact avec des malades du cancer. L’une des questions de ce formulaire était : « As-tu les ressources financières pour investir en toi et pour ta santé ? ». Nul besoin d’investir du temps pour ceux qui répondraient « non », imagine-t-on.

Extrait du formulaire lié à la vidéo :

Extension à l’Est de le constellation d’entreprises familiales

Jérémie Mercier s’est lancé dans la naturopathie en France, en 2014, de retour de Floride. Encore aujourd’hui (2023), les époux Mercier ne gèrent pas moins de 5 entreprises en France. Tout d’abord, deux sociétés à responsabilité limitée au travers desquelles ils offraient (et offrent probablement toujours) leurs « services », respectivement « Mercier Production » (créée en décembre 2012) pour lui, et « Méta Wonderland » (créée en 2016), pour elle.

A ces deux SARL s’ajoute une société civile immobilière « Felix Felicis » (créé en novembre 2020, c’est-à-dire après le départ vers l’Estonie), certainement pour abriter le patrimoine immobilier du couple.

Enfin, s’ajoute à tout cela deux sociétés civiles destinées à gérer un patrimoine financier, « Clochette » (créé en novembre 2019, 120 000 € de capital tout de même) et « Mercier Unlimited » (créée en novembre 2019, capital de 72 200 €.

Un tour d’horizon du business familial de Jérémie Mercier est disponible dans l’épisode 2 de la saga Mercier sur Science infuse.

Point commun à toutes ces sociétés ? Impossible de consulter leurs comptes. Soit parce que le droit français les autorisent à ne pas en déposer, soit parce que le droit français permet le dépôt de comptes « avec déclaration de confidentialité ».

Même après leur départ pour l’Estonie en octobre 2020, les époux Mercier avaient toujours, semble-t-il, géré leurs affaires respectives avec leurs sociétés françaises. Mais finalement, le 2 juin 2022, Jérémie a créé une entreprise dans la catégorie « Autres services d’information », société à responsabilité limitée (osaühing, abrévié en « OÜ ») en Estonie, dont il est l’actionnaire unique.

Comment le sait-on ? Comme en France, en Estonie, toute entreprise à responsabilité limitée doit se déclarer au registre du commerce. Contrairement à la France, cependant, la publication des comptes est obligatoire. Pas question de cacher les comptes de l’entreprise de la curiosité des badauds comme Jérémie et son épouse le font grâce à la possibilité du « dépôt de comptes avec déclaration de confidentialité ».

Et puisque la création de « Santé Liberté OÜ » de Jérémie Mercier a eu lieu le 2 juin 2022 avec fin d’exercice comptable au 31 décembre, cela signifie que « Santé Liberté OÜ » doit déposer ses comptes avant le 1er juillet 2023.

L’a-t-il déjà fait ?

Oui !

Non seulement les comptes de Santé Liberté sont déposés, mais – toujours contrairement à la France – ces comptes sont disponibles pour tout le monde, gratuitement. Alors sans plus attendre, petit décryptage des 7 premiers mois d’activité de la société de Jérémie Mercier en Estonie.

Rappelons-nous d’abord que les sociétés françaises des époux Mercier sont toujours actives, et que les chiffres ci-dessous ne représentent donc qu’une fraction (impossible à quantifier) de leurs activités professionnelles.

En 7 mois d’activité, Santé Liberté a généré 54 474 € de chiffre d’affaires, soit une respectable moyenne de 7 782 € par mois. En extrapolant sur 12 mois, cela fait un CA annuel de 93 000 €. Tout de même.

Remarquons d’emblée importance du poste « coût des marchandises vendues », 13 080 €. Selon les normes comptables estoniennes, on doit retrouver dans ce poste toutes les dépenses liées à la production des services, incluant la maintenance du site Internet (puisque Jérémie Mercier y réalise des ventes), et tous les services informatiques permettant à son site internet de « tourner » et d’attirer des clients (solution de paiement en ligne, SEO, maintenance du site, etc.). Nous parlons ici de près de 1 900 €/mois.

Selon nous, ceci n’inclut pas l’achat des pin’s et casquettes vendues par Mercier en 2021 et 2022, la société Santé Liberté ayant été créée à la mi-2022.

Par ailleurs, les 4 207 € de salaires (1 salarié déclaré) versés par Santé Liberté sont nécessairement intégrés ici (selon l’annexe II des comptes annuels).

Cela assure néanmoins une marge brute de 76 % (41 394 €), plutôt conforme aux standards des activités de conseil.

Les frais administratifs représentent le deuxième poste de dépenses le plus important (10 729 € soit 1 533 €/mois). Les frais de comptabilité sont comptabilisés dans ce poste, ils peuvent aisément atteindre 500 €/mois.

Notons que Jérémie Mercier fait appel au service d’une entreprise de domiciliation pour Santé Liberté, des milliers d’entreprises partagent la même adresse.

Le bénéfice d’exploitation (pour la seule société estonienne) s’établit donc à 27 783 €, l’équivalent de 3 968 €/mois.

Ajoutons à ceci le capital social versé (2 500 €) et plus de 3 000 € de services déjà encaissés mais non encore effectués, et la trésorerie de Santé Liberté s’établit donc à 33 437 €.

Rappelons enfin que l’impôt sur les sociétés en Estonie fonctionne très différemment de l’impôt sur les sociétés en France. Premièrement, recevoir des dividendes ne change rien à l’impôt sur le revenu. Deuxièmement, l’IS en Estonie n’est payable qu’en cas de versement des dividendes. Pas de distribution de bénéfices de l’entreprise aux actionnaires (réinvestissement de ceux-ci dans l’entreprise ou comptabilisé comme distribution en attente), pas d’impôt sur les sociétés à payer. Enfin, le taux de l’IS correspond en pratique à 25 % des dividendes versés. L’Estonie n’est donc pas pour autant un paradis fiscal.

Voilà qui permet théoriquement à Jérémie Mercier de se verser jusqu’à €22 223 euros de dividendes en payant au maximum €5 555 d’impôt sur les sociétés, au titre de ses activités estoniennes, pour l’année 2022. En extrapolant à 12 mois d’activité, c’est €38 097 de dividendes nets d’impôts, soit l’équivalent de €3 174/mois, mais versés en une fois.

Ceci n’est que la première année d’activité et n’intègre pas les revenus des sociétés françaises. Il y a donc fort à parier que Mercier n’a pas facturé l’intégralité de ses activités à partir de son entreprise estonienne. En effet, le fisc estonien attend d’un résident estonien qui n’est pas salarié dans un autre pays qu’il se verse un salaire en rapport avec la valeur ajoutée créée par son entreprise. Il est donc plus malin de répartir le chiffre d’affaires entre société française et société estonienne.

Alors, est-ce que la naturopathie mention complotisme, ça paye ? La question est vie répondue. La famille Mercier remercie tous ceux qui préfèrent remettre leur santé dans les mains d’une personne sans qualification dans le domaine de la médecine, à leurs frais, plutôt que d’écouter les professionnels de santé, payés par leurs impôts.

Retrouvez les épisodes précédents de notre saga Jérémie Mercier : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4.

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