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‘L’irrémédiable’ au théâtre La Flèche

C’est à peine si on la distingue, petite silhouette vêtue de blanc, prostrée, de dos, sur un étroit tabouret, tandis que résonne le bruit sinistre d’une porte de cachot se refermant. Celle dont on apprendra plus tard qu’elle se prénomme Laurence entame alors une immense logorrhée ininterrompue, à la fois désespérée, désespérante, et en même temps d’une troublante désinvolture, d’une puissante dérision, comme si l’on disait l’horreur sur le ton du persiflage, comme si l’on annonçait la tempête au son d’un flûtiau.

Laurence mettra longtemps avant de se retourner vers nous, tant il n’est pas certain que nous existions pour elle, tant elle semble méconnaître les limites entre elle, les autres, l’univers, l’imaginaire, le bien, le mal, l’essentiel, le dérisoire. Son seul tort, peut-être, serait d’être demeurée trop longtemps en enfance : l’âge adulte, nous dit-elle, c’est quand on perd ses amis imaginaires. Son amie imaginaire, Laurence la côtoie encore, c’est Valeria : et Valeria est près d’elle, c’est une poupée de pâte à modeler à qui elle parle, encore, encore, toujours…

Laurence est enfermée, c’est un fait. Au sol, un rectangle de toile plastifiée noire et délimitée par du scotch de déménagement marqué Fragile (attention, cet espace est fragile, cette femme est fragile, tout est fragile…) symbolise la cellule dans laquelle Laurence déambule, écrivant et dessinant, à la craie, sur le sol, le tabouret, les murs, elle-même, tout… Elle n’en sort, de ce rectangle, que périodiquement, pour chausser des escarpins de dame et répondre aux questions muettes d’une assemblée de psys statuant lors des réunions d’évaluation.

Laurence parle, elle parle sans fin, sans cesse, d’elle, de sa vie, de ses sentiments, de ses peurs, de son amour fou pour son mari, Dany, et c’est seulement par moments, par bribes, par touches, par éclats de faiblesse comme on briserait un verre dedans la main serrée que l’on apprend le drame qui explique l’incarcération. Quand elle nous parvient, la révélation est terrifiante.

Laurence est malade, sa vie, tout entière, est une maladie, depuis l’enfance où elle était déjà une « satanée gamine » jusqu’à cette cellule dont elle rêve de pouvoir, un jour, s’évader, avec Valeria.

La très troublante, très fougueuse et très exaltée interprétation de Delphine Grandsart  et le texte âpre de Delphine Gustau nous donnent à comprendre l’extrême minceur du mur qui sépare le monde de l’aliénation de celui de la raison, l’univers des enfermés et celui des vivants. Un spectacle dont on ne sort pas indemne…

Autrice : Delphine Gustau
Mise en scène : Delphine Grandsart
Avec : Delphine Grandsart
Scénographie : Delphine Grandsart
Compagnie : les petites vertus
Lumières : Antoine Le Gallo
Son/Musique : Pascal Trogoff

Durée : 1h

jusqu’au 11 octobre, le samedi à 21h

Théâtre La Flèche, 77, rue de Charonne, 75011 Paris

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