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Michel Devoret, pionnier de la quantronique : le Nobel de physique 2025 récompense une révolution quantique française

la France gâche, l’Europe avance

Le physicien français Michel Henri Devoret, figure emblématique de la physique quantique expérimentale, partage le prix Nobel de physique 2025 avec John Clarke et John M. Martinis pour leurs découvertes pionnières sur l’effet tunnel quantique macroscopique et la quantification de l’énergie dans les circuits électriques. Ces travaux, initiés en partie au CEA de Saclay, ont ouvert la voie aux ordinateurs quantiques et aux technologies du futur, prolongeant l’héritage d’Alain Aspect, Nobel 2022 pour l’intrication quantique. Une consécration pour la recherche française dans un domaine qui défie les lois de la réalité.

Des origines françaises à l’appel de l’inconnu : le parcours de Michel Devoret

Michel H. Devoret, né en 1953 à Paris, incarne le parcours d’un chercheur passionné par les mystères de l’infiniment petit, devenu un pont entre la théorie quantique et les applications concrètes. Diplômé de l’École nationale supérieure des télécommunications de Paris en 1975, il s’oriente rapidement vers la physique de la matière condensée, un domaine où les propriétés des matériaux à l’échelle atomique révèlent des comportements inattendus. Il intègre le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à Saclay, près de Paris, pour une thèse d’État sous la direction d’Anatole Abragam, une sommité en résonance magnétique nucléaire. Ces années formatrices au cœur du laboratoire de l’Orme des Merisiers forgent son approche expérimentale rigoureuse, où la manipulation précise des phénomènes physiques prime sur les spéculations théoriques.

En 1982, fraîchement docteurs de l’université Paris-Sud (aujourd’hui Paris-Saclay), Devoret franchit l’Atlantique pour un post-doctorat à l’université de Californie à Berkeley. Ce séjour marque un tournant décisif. Aux États-Unis, il rejoint l’équipe de John Clarke, un Britannique émérite en physique des supraconducteurs, et rencontre John M. Martinis, un doctorant prometteur. Ensemble, ils se lancent dans des expériences audacieuses pour tester les limites de la mécanique quantique, cette théorie qui régit le monde subatomique avec des règles contre-intuitives comme la superposition d’états ou l’intrication. À Berkeley, Devoret affine ses compétences en cryogénie et en microfabrication, des techniques essentielles pour refroidir les systèmes à des températures proches du zéro absolu et observer des effets quantiques purs. Ces années d’exil volontaire ne sont pas un abandon de la France, mais une incubation : Devoret rentre en 1984, armé d’idées novatrices, pour les implanter sur le sol natal.

De retour au CEA-Saclay, il fonde avec Daniel Estève et Cristian Urbina le groupe Quantronique, un laboratoire pionnier dédié à la physique des circuits supraconducteurs. Ce nom, « quantronique », fusionne « quantique » et « électronique », reflétant l’ambition de Devoret : marier les lois de la physique quantique aux circuits électriques traditionnels. Saclay devient alors un foyer d’innovation, où des ingénieurs et physiciens explorent comment des milliards d’électrons peuvent se comporter comme une entité unique, guidée par des principes probabilistes. Ces travaux ne sont pas isolés ; ils s’inscrivent dans une tradition française de recherche fondamentale, soutenue par des institutions comme le CEA et le CNRS, qui favorisent les échanges internationaux. Devoret, enseignant charismatique, occupe plus tard la chaire de physique mésoscopique au Collège de France de 2007 à 2012, formant une génération de chercheurs à penser l’échelle intermédiaire entre le microscopique et le macroscopique.

Aujourd’hui, à 72 ans, Devoret est professeur émérite de physique appliquée à l’université Yale, où il dirige le laboratoire de nanofabrication, et Chief Scientist chez Google Quantum AI. Son parcours illustre la mobilité des talents scientifiques : de Saclay à Berkeley, puis Yale, il tisse un réseau mondial qui accélère les avancées. Mais c’est bien l’empreinte française qui domine, comme le souligne le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, saluant en lui le 18e lauréat français du Nobel de physique depuis 1901, et le septième depuis 2007. Cette reconnaissance n’efface pas les racines : les expériences Nobel ont été initiées dans un contexte franco-américain, avec Saclay comme plaque tournante.

Mécanique quantique : un monde étrange où les règles changent d’échelle

Pour comprendre l’exploit de Devoret, il faut plonger dans les fondements de la mécanique quantique, théorie née au début du XXe siècle pour expliquer les comportements des atomes et des particules. Contrairement à la physique classique de Newton, où une balle suit une trajectoire prévisible, le quantique est probabiliste : une particule peut être ici et là à la fois, en superposition, jusqu’à ce qu’on l’observe. Parmi ses phénomènes les plus bizarres figure l’effet tunnel : imaginons une balle de tennis face à un mur. Classiquement, elle rebondit. Quantiquement, elle a une chance infime de « traverser » le mur sans l’escalader, comme si elle empruntait un tunnel invisible. Ce n’est pas de la magie, mais une conséquence de la dualité onde-particule : les objets quantiques se comportent comme des vagues qui s’étalent et interfèrent.

Longtemps, ces effets étaient confinés à l’échelle microscopique – électrons, photons, atomes. Erwin Schrödinger, en 1935, illustra l’absurdité potentielle avec son fameux chat : un animal à la fois mort et vivant tant qu’on n’ouvre pas la boîte. Le physicien Anthony Leggett, Nobel 2003, osa parier que des objets macroscopiques, composés de milliards de particules, pourraient aussi exhiber ces propriétés, contredisant l’idée d’une « décohérence » rapide à grande échelle. La question brûlait : quelle est la taille maximale d’un système quantique observable ? Les lauréats 2025 ont répondu en construisant des expériences à l’échelle d’une puce électronique, un objet tangible qu’on peut tenir en main.

Leur innovation repose sur les supraconducteurs, des matériaux qui, refroidis à -273°C, conduisent l’électricité sans résistance, via des paires d’électrons corrélées (paires de Cooper). En insérant une jonction de Josephson, une barrière isolante mince entre deux supraconducteurs, ils créent un circuit où le courant oscille comme une particule quantique collective. En 1984-1985, à Berkeley puis Saclay, Devoret, Clarke et Martinis mesurent ces oscillations : le courant « tunnelise » macroscopiquement, passant d’un état à un autre sans énergie classique suffisante. Ils quantifient aussi l’énergie en niveaux discrets, comme dans un atome. Ces résultats, publiés dans Nature, prouvent que la quantique n’est pas l’apanage des solitaires atomiques ; elle émerge à l’échelle électrique, repoussant les frontières de la physique.

Cette découverte n’est pas théorique : elle est concrète, mesurée avec des instruments de précision comme des SQUIDs (dispositifs supraconducteurs quantiques d’interférence). Elle valide les prédictions de Leggett et ouvre un champ expérimental. À Saclay, Devoret étend ces idées, manipulant des états quantiques dans des circuits pour stocker et lire de l’information, les premiers pas vers le qubit, l’unité de base de l’informatique quantique. Sans invention gratuite, ces avancées s’appuient sur des décennies de progrès en cryogénie et nanofabrication, rendant la quantique accessible en laboratoire.

Un rappel éloquent : le Nobel 2022 d’Alain Aspect et ses échos avec Michel Devoret

Le prix Nobel de physique 2022 à Alain Aspect, partagé avec John F. Clauser et Anton Zeilinger, reste frais dans les mémoires comme une célébration de l’intrication quantique, ce « fantôme action à distance » décrit par Einstein comme « spooky ». Aspect, physicien français du CNRS et de l’Institut d’Optique Graduate School, a réalisé en 1982 des expériences pionnières à Orsay démontrant que deux particules intriquées conservent une corrélation instantanée, indépendamment de la distance, violant les inégalités de Bell et fermant les failles des théories locales réalistes. Ces travaux, salués par le comité Nobel pour leurs implications en cryptographie et téléportation quantique, ont posé les bases théoriques d’une information quantique sécurisée et distribuée.

Le lien avec Michel Devoret est à la fois thématique et institutionnel, bien que leurs approches diffèrent. Tous deux ancrés dans la physique quantique expérimentale française, ils illustrent une chaîne d’avancées : l’intrication d’Aspect traite de corrélations non locales entre particules individuelles, tandis que les circuits de Devoret réalisent une intrication macroscopique, où des degrés de liberté collectifs (courants électriques) s’entremêlent. À Saclay et Orsay, proches géographiquement, les communautés échangent : Devoret, comme Aspect, bénéficie du vivier du CEA et du CNRS. Le Nobel 2022 a boosté la visibilité française en quantique ; celui de 2025 la consolide, avec Devoret prolongeant l’intrication vers des systèmes hybrides électroniques. Comme le note un article dédié sur citizen4science.org, ces prix soulignent comment les travaux d’Aspect sur les photons intriqués inspirent les qubits supraconducteurs de Devoret, reliant théorie fondamentale et ingénierie appliquée dans une « continuité française » qui propulse l’Europe en leader quantique. Ensemble, ils montrent que la quantique n’est plus univoque : d’Aspect à Devoret, elle passe de l’abstrait au tangible.

Les expériences décisives : du tunnel quantique à la puce du futur

Les expériences Nobel de 1984-1985 forment le cœur de la récompense. À Berkeley, Clarke supervise : Michel Devoret, post-doc, et Martinis, thésard, assemblent un circuit supraconducteur avec jonction de Josephson. Refroidi à 20 millikelvins, il révèle l’effet tunnel : le courant persiste au-delà des prédictions classiques, comme si les électrons collectifs traversaient une barrière énergétique. Une mesure clé : la quantification de l’énergie en paliers discrets, observée via des spectres d’oscillation, confirme que le circuit vibre comme un atome géant.

De retour à Saclay, Michel Devoret raffine : avec Estève, il démontre la manipulation d’états superposés dans ces circuits, lisant l’information sans la détruire – un jalon pour la mesure quantique non démolitive. Ces setups, miniaturisés sur puce, intègrent des milliards d’atomes mais se comportent quantiquement, défiant Schrödinger. Le comité Nobel insiste : ces phénomènes, autrefois impensables à l’échelle macro, sont maintenant « concerts » en laboratoire, avec des applications immédiates comme les SQUIDs pour détecter des champs magnétiques terrestres avec une sensibilité inégalée.

À Yale, Michel Devoret étend : ses qubits supraconducteurs, stabilisés contre la décohérence, capturent des sauts quantiques « en vol » (Nature, 2019), une prouesse pour corriger les erreurs en calcul quantique. Chez Google Quantum AI, ces idées alimentent Sycamore, le processeur qui a démontré la suprématie quantique en 2019. Sans ces bases, pas de percée.

Implications et héritage : vers une ère quantique quotidienne

Les découvertes de Michel Devoret transforment la technologie. Les qubits supraconducteurs, nés de ses circuits, propulsent les ordinateurs quantiques : Google, IBM, et la française Alice & Bob (basée sur ses travaux) visent des machines résolvant en secondes des problèmes insolubles classiquement, comme l’optimisation chimique ou la cybersécurité. La cryptographie quantique, inspirée d’Aspect, s’hybride avec ces capteurs pour des réseaux inviolables. Les détecteurs magnétiques issus des SQUIDs cartographient le cerveau ou explorent la Terre.

En France, l’héritage rayonne : Saclay forme des startups, et le plan Quantique national, dopé par ces Nobels, investit milliards. Devoret, membre de l’Académie des sciences, inspire : « La quantique est pour demain », dit-il, évoquant des simulations climatiques ou médicales révolutionnaires. Ce Nobel, partagé à 11 millions de couronnes suédoises, honore non un génie solitaire, mais une collaboration transatlantique ancrée à Saclay. Il rappelle que la science progresse par ponts : d’Aain Aspect à Michel Devoret, la quantique française illumine le monde, promettant un futur où l’étrange devient utile.

Illustration d’en-tête : Michel Devoret (1977). Source : Wikipédia

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