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Débat sur la fin de vie : comment penser la mort en France ?

par Marie-Frédérique Bacqué, Professeure de psychopathologie clinique, directrice du CIEM (Centre International des Études sur la Mort), Université de Strasbourg

« Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits dans le cadre actuel de la fin de la vie ? » C’est la question à laquelle devaient répondre les 185 personnes tirées au sort pour participer à la convention citoyenne sur la fin de vie. Les premières délibérations tendent vers un avis favorable à l’aide active à mourir bien que les propositions doivent être encore affinées et les conclusions attendues pour le 2 avril.

Ce débat pose certes le problème de la mort (le mourir qui mène à être mort), mais aussi de la vie qui s’achève (la fin de la vie). Or, pour le moment, il n’y a pas en France de vision de fond qui soit structurée culturellement. Une telle vision permettrait de penser la mort progressivement et pas de façon partielle comme aujourd’hui : on ne pense à la mort que lorsque l’on est touché de près ou lorsque l’on est gravement malade ou très âgé. Ainsi, ce sont toujours des cas particuliers de demande d’euthanasie ou de suicide qui déclenchent l’ire des uns et la passivité des autres.

Que se passe-t-il dans l’Hexagone qui empêche de généraliser une éthique de la fin de la vie ? Et une fois cette éthique appliquée, comment passer à la pratique ?

La France est un pays de lointaines racines catholiques. Mais pour des raisons historiques, la « fille aînée de l’Église » a dérogé progressivement à ces origines, en renonçant à la monarchie de droit divin. Le clergé perd, à la Révolution, son influence majeure mais reste symboliquement à l’origine d’une véritable anthropologie de la vie des Français. Le christianisme préside à la naissance, le mariage et la mort, sans oublier les nombreux rites religieux dont les communions des enfants qui rappellent leur appartenance spirituelle à la première religion de France. Les autres religions des Français et même l’athéisme reposent aussi sur les mêmes représentations.

Les deux guerres mondiales ont, par la suite, remis en cause les croyances en un Dieu protecteur de la vie et a minima de l’âme. À l’issue de ces conflits mondiaux, le doute porté sur les croyances qui n’ont pu empêcher les millions de morts, est renforcé par les améliorations de la qualité de vie. La médecine, l’hygiène, les meilleures conditions économiques de l’Occident contribuent à déplacer la peur de la mort vers la peur du vieillissement.

Comment la mort est devenue intime

La génération qui suit la Seconde Guerre mondiale et le désenchantement du monde après la désagrégation des repères culturels ou religieux, est ensuite marquée par deux demandes : celle de l’individu qui aspire à une autonomie telle qu’il choisirait même sa mort, d’autre part, celle d’une assistance technique pour mourir parce que l’individu reste seul face à ses choix.

Or, la mort est une question intime. Ou du moins cette question s’est intimisée après les grandes périodes historiques de mort collective : les épidémies, les grandes catastrophes, les atrocités de guerre. Évidemment, les massacres guerriers en Ukraine d’avril 2022 ou le dernier tremblement de terre de Turquie et de Syrie (6 février 2023) renvoient encore des images de mort collective. Mais la mort reste, en dehors de ces exceptions, dans l’alcôve hospitalière ou, plus rarement dans la chambre transformée en annexe de l’hôpital par les services de soins à domicile.

L’évolution économique de l’humanité tend vers un rejet de tout ce qui rend son mode de vie désagréable. La laideur, la pauvreté, le handicap, le vieillissement sont des limites que l’humain occidental rejette. Outre la souffrance, il rejette aussi l’effet miroir de ces personnes non conformes. Dans ce sens, le mourant est une figure exécrée.

C’est du moins une figure maintenue cachée et réservée à une catégorie professionnelle (les soignants) qui, par contamination, devient, elle aussi taboue. Le Covid a renforcé l’image clivée des soignants. Héroïsés par leur travail, le temps de l’épidémie, ils sont questionnés sur leur rôle en fin de vie.

C’est pourquoi la population des soignants et des médecins reste encore en France, sauf cas exceptionnel, le dernier rempart à l’euthanasie ou au suicide assisté. En Suisse, ce sont des associations (Exit, Dignitas, Lifecircle, Pegasos) qui contribuent à faire disparaître le lien social entre médecine et suicide assisté.

Cependant, même si ce ne sont pas des médecins qui se chargent du moment décisif, ils sont présents dans ces associations et un psychiatre a toujours un entretien avec le requérant pour limiter les demandes de personnes irresponsables et incapables. La question de l’aide active à mourir rencontre cependant une certaine opposition puisque 13 sociétés savantes dont la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), particulièrement représentatives en France puisque regroupant près de 800 000 soigants, ont rédigé un « avis éthique ». Cet avis refuse « catégoriquement la démarche euthanatique », c’est-à-dire « la préparation » et « l’administration d’une substance létale ».

La mort peut-elle être digne ?

Existe-t-il donc une mort digne et une mort indigne ? La mort digne correspondrait à ce que nous avons détaillé plus haut : ce serait une belle mort, la « vraie » mort (la traduction littérale de « euthanasie »), une mort contrôlée, maîtrisée, esthétisée.

La mort naturelle, précédée par une agonie, serait au contraire « indigne » et devrait être chassée de notre société. Or cette mort naturelle qui nous rattache aux espèces animales semble insupportable à certains. La mort indigne serait donc la mort animalisée. Elle est rappelée par les partisans de l’euthanasie dans l’expression « je ne veux pas mourir comme un chien ».

L’humanisation de la mort consisterait donc à l’artificialiser grâce à des drogues, des subterfuges ou des accompagnements qui la dénient. Notons que la sédation profonde et continue jusqu’au décès n’offre pas toute certitude quant à la façon dont se déroulera la mort, comme les souffrances psychologiques ou physiologiques liées à la sédation et à l’isolement au moment du décès.

Si la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est un droit donné par la loi Claeys-Leonetti, depuis le 2 février 2016, elle se fait parallèlement et de façon cohérente à l’arrêt des traitements favorisant le maintien de la vie, comme l’hydratation et la nutrition.

Cette sédation peut être pratiquée en établissement de santé, mais également à la maison ou en Ehpad. La sédation relève d’une décision collégiale impliquant tous les professionnels impliqués dans l’accompagnement du patient. De plus, un médecin extérieur au groupe habituel des soignants et médecins, doit prendre part à la décision. Le médecin responsable du patient devra alors en informer le patient ou sa personne de confiance s’il n’est pas capable de s’exprimer et à défaut, ses proches (avec l’accord du patient).

L’Hypnovel est le nom commercial du Midazolam qui est recommandé en première intention par la Haute Autorité de Santé. C’est une benzodiazépine dont les effets sont la diminution de la douleur et de l’anxiété, la somnolence et la relaxation musculaire. Paradoxalement, le Midazolam peut provoquer des effets indésirables comme l’agitation, la confusion et les hallucinations. Aussi les proches doivent être prévenus de possibilités de « réveils » et d’autres phénomènes surprenants

Des problèmes éthiques

Le débat sur la fin de la vie en France a souvent donné l’impression d’avancer par à-coups en France. Il n’a pas permis aux Français de se situer en rédigeant leurs directives anticipées, parce qu’il est impossible de s’imaginer au moment de sa mort. Finalement, le projet de loi donne l’impression de décider pour autrui alors que la représentation de soi mourant est impossible.

Il a fallu distinguer les homicides des euthanasies par amour ou par nécessité. Donner la mort à quelqu’un qui est sans pouvoir d’agir ou de penser est un problème éthique : comment s’assurer que c’est bien ce qu’il souhaite ? Ou encore que ce qu’il a souhaité auparavant correspond toujours à ce qu’il souhaite maintenant ? Un mourant n’est-il jamais ambigu à l’égard de sa propre mort ? C’est bien sûr aussi un problème moral : comment choisir de donner la mort en situation extrême ? La question de la temporalité des directives anticipées se pose. Leur constance dans le temps (bien qu’elles soient renouvelables) et leur adaptation aux moments critiques est une question non réglée.

Donner la mort à quelqu’un qui est sans pouvoir d’agir ou de penser soulève de nombreuses questions éthiques. Jr Korpa/Unsplash

Un problème déontologique de plus se greffe pour les médecins et les soignants dont le serment et le choix vont vers le soin et le maintien en vie. L’intérêt de la loi est qu’elle parle à la communauté. Si toute personne a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement, les unités de soins palliatifs sont en nombre insuffisant pour accueillir tous les Français comme le rappelle le récit de Vanessa Schneider dans Le Monde.

Sur le site de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) on trouve 152 unités de soins palliatifs et 426 unités mobiles de soins palliatifs en France. 5057 lits identifiés de soins palliatifs sont répartis dans 835 établissements.

La répartition de ces centres est inégalitaire : l’Île-de-France, le Nord Pas de Calais, la Bretagne, les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur sont très bien dotées, le Limousin, l’Auvergne et la Normandie, le plus faiblement. Voilà donc la France face à ses responsabilités : les soins palliatifs, alternative heureuse à l’euthanasie, sont impraticables pour tous.

Accompagner les morts

Même lorsqu’un de ses membres va mourir, la famille n’aborde pas la mort de ce proche. Le seul moment auquel la mort soit abordée est le 1er et le 2 novembre (fête des morts), lorsque les enfants, en vacances de la Toussaint, circulent entre les maisons d’un village pour récolter des bonbons.

Cette récupération de l’Halloween américaine par les Français est récente (années 90). Certes, les enfants revêtent quelques costumes de sorciers et de sorcières et éventuellement arborent un squelette brodé sur un collant sombre. Cependant qui parle de la réelle signification de cette fête des morts ? Qui connaît le rôle d’intermédiaire des enfants à l’égard des morts pour lesquels ils intercèdent. Qui sait qu’en distribuant des gourmandises aux enfants, il s’agit de « réconforter » les morts et de les raccompagner à leur place, outre-tombe ?

La visite annuelle des morts est célébrée dans la plupart des civilisations pour ne pas les oublier certes mais aussi pour ne pas oublier la mort.

Ce que nous aurions sérieusement tendance à faire, même avec les informations permanentes dont nous bénéficions. Au contraire, la mort présentée quotidiennement dans les nouvelles du jour, a tendance à nous faire « cliver » la réalité. La mort, c’est pour les autres, ceux dont on parle à la télé ou dans les séries. Nous restons bien protégés sur nos canapés à voir défiler tous les malheurs du monde, comme si la mort ne nous concernait pas.

La mort fait partie du vivant

La mort n’est pourtant pas que ce phénomène de désorganisation du vivant, elle fait partie du vivant. L’idée que notre environnement terrestre soit limité, que l’humain devienne responsable de la planète a complexifié la perspective purement spirituelle de la mort. La dimension matérielle de la mort est repassée au premier plan. Ainsi est apparue l’idée de l’humusation qui propose la transformation de l’être aimé en 18 sacs de compost en trois mois. Cette idée exprime sans précaution ce que les restes humains peuvent devenir au même titre que ce qui persiste d’un végétal.

Dans de nombreuses cultures, l’humain, le corps humain, sont sacrés.

C’est pourquoi ils sont traités avec autant de déférence par les cultures humaines. La dévotion pour le cadavre a connu des excès, pour notre plus grande admiration avec la découverte des sarcophages de Toutankhamon. Mais elle a aussi brillé par ses manquements. Dans le cas du nazisme, ce sont non seulement l’assassinat de millions de personnes, mais de plus, la disparition sans hommage de millions de corps. Les rites funéraires sont ainsi le moyen d’avoir accès aux plus anciennes traces de civilisations. Les négliger sciemment, comme dans le cas de génocides, est une profonde négation de l’autre, en ce qu’il a de plus intime.

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Dans de nombreuses cultures, l’humain, le corps humain, sont sacrés.. Jr Korpa/Unsplash

Avec l’aide médicale à mourir, on peut se questionner sur l’évolution de ces rites.

Une mort « aidée » peut-elle faire l’objet d’autant de rites qu’une mort accidentelle ou naturelle ?

On peut en effet rappeler que l’Église refusait des funérailles chrétiennes au suicidé, c’est-à-dire à celui qui impose sa volonté devant celle de Dieu pour reprendre ce qui lui a été donné.

La nécessité des rites

Avec l’étude Covideuil (financée par l’Agence Nationale de la Recherche en 2021), nous avons pu montrer que l’expérimentation du deuil sans rites et sans rencontre a eu un effet sur la santé physique et mentale des endeuillés.

Parmi les 274 personnes rencontrées, la majorité déplorait de n’avoir pu revoir leur défunt. Inviter la famille et les amis était restreint et la possibilité d’une cérémonie ultérieure est une promesse qui n’a pas pu être tenue (18 mois après le décès, les personnes réinterrogées regrettaient de n’avoir pu procéder aux invitations). Les rites funéraires sont cependant encore aujourd’hui dépendants du modèle des funérailles religieuses, quelle que soit la pratique du défunt et des endeuillés.

L’épidémie de Covid aura peut-être valorisé d’autres rites à distance comme pour la France où il s’agissait plutôt d’annonces sur les réseaux sociaux. Les cimetières virtuels sont encore peu utilisés. En revanche, une forme de syncrétisme spirituel a permis, aux familles ou aux individus de dresser de petits autels à la maison avec des fleurs, des photos. On est loin des expérimentations sud-coréennes avec hologramme parlant et lunettes de réalité virtuelle.

Les deadbots, modèles de simulation de conversation avec un défunt à partir de tous les mots produits dans sa vie, ne sont pas encore en passe de supprimer les rites. Les gestes, les déambulations et enfin les références à une vie spirituelle connue de tous les croyants et tous les laïques qui partagent une culture donnée, sont encore réclamés par les familles en deuil.

Durant l’épidémie de Covid, les deuils sans rites et sans rencontre ont eu un effet sur la santé physique et mentale des endeuillés. Jr Korpa/Unsplash

Si les euthanasies et les suicides assistés concernent une minorité de décès, les pays qui les ont adoptés anciennement comme les Pays-Bas, a vu leur nombre tripler en 20 ans, ce qui représente 4,2 % des décès.

La question de l’aide médicale à mourir n’est donc pas un épiphénomène mais semble se constituer comme un puzzle : l’Europe (dont certains états sont encore en discussion comme la France et l’Italie) et certains états des États-Unis et de l’Australie, la Colombie, le Canada ont autorisé l’aide légale à mourir.

Le consensus sur la fin de la vie douloureuse et insupportable a déjà été trouvé dans l es lois Leonetti et Claeys-Leonetti. Pour les autres cas, le débat de la convention citoyenne est un modèle d’autoformation à la mort qu’il serait intéressant de développer dans la population française. Dans ces conditions d’éducation à la mort, les Français pourraient mieux se préparer à la fin de leur vie sans hâter leur mort par défaut d’information.

Ce n’est donc pas seulement un débat sur la fin de la vie qui doit être lancé mais un débat sur la fin de la mort et sur la mort tout court.

Image d’en-tête : Crédit Jr Korpa/Unsplash

Texte paru initialement dans The Conversation.

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