Perception des risques liés aux médicaments par le public : l’Académie de médecine pointe les médias et les réseaux sociaux
Il s’agit d’une position officielle de l’Académie adoptée le 24 mai dernier Nous vous livrons les points clés du rapport de 24 pages qui a été établi avec quelques commentaires.
Le ingrédients du populisme décrit sans le nommer
À la lecture du résumé de ce rapport, citons :
- « le rôle de caisse de résonance des peurs du public ont pu jouer les médias »
- la « polarisation des esprits sur les risques »
- la « petite minorité de la population mais active et bruyante sur les réseaux sociaux »
Peut-être serez-vous, comme nous, frappés par le fait que ces termes décrivent parfaitement un phénomène : le populisme.
Ici, appliqué au risque médicamenteux qui est l’objet du rapport, on pourra considérer qu’on parle de populisme scientifique – et c’est justement un terme que Citizen4Science – ou sa fondation à l’époque – a été parmi les premiers à dénoncer sur les réseaux sociaux, d’abord à l’adresse de l’IHU de Marseille investissant les réseaux sociaux pour parler médicaments Covid directement avec le public.
Également remarquable « la tendance générale de notre société d’accorder la primauté au risque, au détriment du bénéfice, dans l’appréciation d’une innovation technologique », dénonçant également « l’idéologie de la précaution ».
Citizen4Science à ce titre met souvent sur la sellette l’absence de culture du risque en France, et de sa gestion, l’innovation ayant une connotation négative de ce fait. L’association avait aussi dénoncé dès sa naissance un principe de précaution mal appliqué, recevant à ce titre les foudres des complotistes officiels et de médecins ou scientifiques focalisés sur la précaution de façon irrationnelle.
Balance bénéfices/risques : le cœur de l’évaluation des médicaments
L’Académie de médecine commence son rapport avec cette notion essentielle, à la base de tout développement d’un médicament.
Le risque zéro n’existe pas. Si on attend des bénéfices d’un médicament, il faudra aussi compter sur les risques associés aux effets indésirables. C’est pourquoi l’évaluation est basé sur le rapport entre les bénéfices et les risques : il doit être favorable aux bénéfices.
En outre, ce rapport, établi au fil des essais cliniques, évolue jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché : il s’affine, devenant plus précis au fur et à mesure que des patients sont inclus dans les études. Plus il y a en a, plus l’évaluation de ce rapport est fiable.
Et, bien évidemment, après la commercialisation, il continuera à évoluer, avec la mise à disposition du médicament dans la population générale et son utilisation en « vie réelle ». Rien n’est jamais figé en la matière.
Le rôle de la pharmacovigilance, dont le travail consiste à collecter les événements indésirables suite à prise du médicament et à les analyser pour tenter de déterminer s’il sont liés au médicament, ce qui transforme les événements en effets par l’établissement d’un lien de causalité), est essentiel et explicité dans le rapport.
Là encore, il y a de la nuance à apporter, un événement indésirable imputé au médicament peut-être défini avec une fiabilité faible, moyenne ou élevé. Le système est complexe car beaucoup de facteurs interviennent propres également aux patients (variabilité interindividuelle).
Il en est de même de la perception des risques
La forte variabilité de la perception des risques
La perception des risques par le public est fortement variable en raisons d’un « grand nombre de contingences personnelles » : en fonction de son état santé, de ses antécédents médicaux personnels et familiaux, de son éducation, de sa culture, L’Académie parle dans son rapport de « relativisme culturel ou la confusion entre savoir et percevoir ». Il y a par exemple la température réelle, et la température ressentie…
À ce titre, l’Académie de médecin évoque notamment les biais suivants – sans les nommer – que CItizen4Science rapporte souvent :
- l’appel à la nature
L’Académie évoque pour l’anecdote les méfaits des réseaux sociaux qui les amplifient et dans les internautes sont très friand (sensationnalisme) au détriment des informations factuelles.
Ces arguments rhétoriques sont des best-sellers de la pseudoscience.
L’idéologie de la précaution présentée comme de l’activisme de la santé publique
L’Académie pointe clairement ce phénomène qui peut atteindre de façon défavorable la perception du public :
La notice d’information des médicament
Il est intéressant de noter que l’Académie cite le caractère anxiogène, paradoxalement, des détails des effets indésirables des médicaments, alors qu’ils sont fournis le plus exhaustivement par transparence et pour pouvoir repérer si le fait d’en présenter un est inquiétant et doit être signalé ou pas. Evidemment, on pense aux vaccins Covid, très sûrs, ce qui n’empêche pas que la liste soient longue, comme pour la plupart des vaccins puisqu’ils font réagir le système immunitaire.
Aussi l’Académie propose-t-elle une réflexion sur les notices d’information patients pour les repenser aux fins de lui donner plus de sens et augmenter valeur pédagogique.
Pseudo-experts ou hors de leur spécialité
C’est un danger dénoncé par l’Académie de médecine, danger amplifié par les réseaux sociaux et leurs nombreux « diplômés Twitter » dans la spécialité de leur choix. Actuellement, la Santé a le vent en poupe pour les diplômes auto-attribués. Les plus dangereux sont les scientifiques experts d’un domaine qui en jouent pour se faire passer expert dans un autre. Notre série « Expertises & Experts » entamée récemment l’évoque dès le premier épisode.
Voici un extrait parlant du rapport de l’Académie de médecine :
Le rôle délétère des réseaux sociaux
On vient de voir le cas des anecdotes qui sont véhiculées de façon virale et provoquent une distorsion de la perception. « Savoirs rationnels et savoirs empiriques » sont mis « sur un pied d’égalité ».
L’Académie rappelle : « Un nombre croissant de publications scientifiques ou de leurs extraits transite désormais également par les mêmes réseaux sociaux, y compris avant leur validation » (pré-prints). « Savoirs et opinions sont véhiculés sur les mêmes supports de diffusion creuse insidieusement le sillon relativiste de notre temps. »
Et un rappel de ce que Citizen4Science a fustigé largement pendant la crise sanitaire : les institutions court-circuitées pour mettre sur un pied d’égalité vis-à-vis du public de l’information non vérifiée voire de la désinformation et des informations scientifiques validées.
Les algorithmes démultiplicateurs sont cités, et leur effet « boule de neige » sur la propagation d’informations non valides, subjectives, anecdotiques, sensationnelles, etc.
Insuffisances de la communication officielle
On connaît les méfaits des réseaux sociaux, ils sont censés être contrebalancés par une communication officielle efficace.
L’Académie de médecine juge que les autorités de santé développent une communication « globalement insuffisante », qui doit être renforcée avec notamment des campagnes avec des messages pertinents, et de citer la campagne contre l’antibiorésistance (« les antibiotiques c’est pas automatique »).
Elle regrette que l’Agence du médicament ait été renommée en 2012 « Agence nationale de sécurité du médicament » (ANSM) faisant apparaître d’emblée le médicament comme « un objet de nuisance ». Intéressant.
Elle parle d’enfermement dans la « rhétorique du risque et du tout sécuritaire ». En cela, Citizen4Science la rejoint, ayant ces derniers temps parlé de « scientisme » et de mise en avant exclusive des risques de la part du « twitter médical » et de collectifs qui considèrent faire de la santé publique parce qu’ils n’analysent et ne proposent des solutions ne s’appuyant que sur les risques, sans prendre en compte les autres dimensions, complexes, multifactorielles. C’est une polarisation flagrante qui ne sert sans doute pas, paradoxalement si on considère l’étiquettes de tels groupes se décrivant comme activistes de la santé publique, cette santé publique. Le public ne se réduit pas au considérations de santé même si essentielles.
Insuffisances des médias
La balance par rapport aux dérives des réseau sociaux, c’est la communication officielle mais aussi le rôle capital des médias.
« Médias coupables ! » n’a cessé d’alerter Citizen4Science tout au long de la crise sanitaire.
Pourquoi ? parce que ces derniers se sont plus à amplifier eux aussi les messages à sensation, d’opinion, et de peur, histoire de faire de l’audience. Pire, ils ont utilisé la science comme s’il s’agissait d’une opinion, mettant en opposition des Raoult avec un discours anti-science et pseudoscientifique, et les porteurs de la parole scientifique. Pourquoi ? parce que ça captivait les foules. Or cela a été destructeur, cela a détruit les messages des porteurs de la parole scientifique, cela a généré un harcèlement massif à leur encontre.
« Les métiers de l’information ont-ils besoin d’une instance de régulation déontologique ? C’est
aux professionnels de le dire. En revanche, sur la question de la formation purement technique
dispensée dans les écoles de journalisme, l’Académie suggère que la déontologie y soit
associée. »
Ces mots de l’Académie de médecine sont terribles : problèmes de maîtrise technique des sujets, problème de déontologie sur le tas. Le journalisme scientifique, tout une aire en friche…
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