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Science et médias : le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) publie un guide sur « Le traitement des questions scientifiques »

C’est le deuxième position du l’instance consultative après celle relative au traitement des erreurs dans les articles journalistiques.

Un exercice difficile mais particulièrement louable et bienvenu, dont le respect pourrait avoir un réel impact sur la qualité du journalisme scientifique. Revue et commentaires critiques.

Cette recommandation sur le traitement médiatique de la science a été préparée sur le constat par le CDJM que « la science prenait une place de plus en plus grande dans l’information des citoyens » et que nombre de personnes « constatent des lacunes dans le traitement médiatique de ces question ».

En introduction, le CDJM met en avant trois écueils pour les journalistes souhait traiter des sujets scientifiques :

  • méconnaissance de la démarche scientifique
  • dérives vers l’information spectacle
  • parole à des experts non reconnue par les pairs


Pour introduire ses bonnes pratiques, le CDJM déclare que la démarche scientifique fait appel à des concepts, savoir et méthodes « que seuls possèdent les spécialistes du domaine concerné », Et que le journaliste, lui, traite des questions scientifiques « en utilisant les outils de l’enquête journalistique, notamment multiplicité et recoupement des sources, suivi du sujet dans la durée. » Il est déduit que le journaliste doit « avoir de solides compétences tenues à jour dans le domaine qu’il traite » pour maîtriser les « faits de la science » et ainsi « poser les bonnes questions » et être critique.

Résumons les principes du CDJM : le journaliste ne fait pas de la science. La démarche scientifique est propre au scientifique, Le journaliste travaille selon les méthodes journalistiques mais doit néanmoins avoir des compétences en maîtrisant les données de la science pour aborder les sujets qu’il traite.

Six bonnes pratiques

En fait, cinq d’entre elles sont des écueils à éviter.
1- Risque de « l’ignorance simple » : ne pas s’en remettre au « bon sens », le journaliste doit se former et s’informer.
2- Ne pas confondre opinions et faits scientifiques, ni les confronter
3- Ne pas confondre controverse scientifique (désaccords entre experts) et controverse politico-médiatique
4- Se référer à ce qui fait consensus scientifique
5- Ne pas mettre sur le même plan le consensus scientifique et la « démonstration minoritaire largement rejetée »
6- Dans le doute, s’abstenir (de traiter le sujet)

En résumé, le message est de prendre pour référence et et comme base factuelle le consensus scientifique formé, ne pas mélanger controverse et « ring » politico-médiatique.

Les sources

Expertise et Experts sont des notions qui « doivent être maîtrisées par le journaliste ».
Il nous est expliqué que l’expertise est « nécessairement collective », « un expert véritable est membre d’un collectif ». Voilà une affirmation que l’on peut discuter.
Dans un article de notre série « Expertise et experts », nous avions mis en avant comme must l’expert indépendant. De fait, dans l’expertise judiciaire par exemple, la notion d’indépendance est essentielle et n’exige certainement pas de parler au final, au nom d’un collectif. Le CDJM sur la base de son raisonnement d’expert nécessairement membre/s’exprimant au nom d’un collectif, va orienter les vérifications sur la validité du collectif en question dont il exige l’existence…
Il semble ainsi que dans ce raisonnement, il y ait une certaine confusion entre consensus scientifique (émanant nécessairement de la communauté scientifique) et expertise. L’expertise est individuelle s’agissant d’un expert personne physique, qui ne s’exprime pas au nom d’un collectif.

Le CDJM pose ici 2 recommandations sur les sources :

  • Privilégier les sources primaires
  • Se reporter aux publications originelles


Saint principe pour des investigations journalistiques mais ici se pose la question de la compétence eu égard à la technicité de ces sources primaires et originelles. Il a été posé en postulat que le journaliste n’a pas (a priori) la maîtrise de la démarche scientifique même s’il doit en connaître les principes. On a vu des journalistes éplucher des publications scientifiques avec plus ou moins de compréhension, à l’instar d’internautes y compris « fact-checkers » sur les réseaux sociaux pour les études portant sur le Covid pendant la crise sanitaire. Le problème n’est pas la qualité (journaliste ou citoyen lambda, mais la technicité et donc la compétence) . C’est là que l’on se rappelle en préambule que le CDJM préconise que le journaliste scientifique doit avoir « de solides compétences » des sujets qu’il aborde. Pas évident sauf à avoir un grande rédaction de journalistes très spécialisés dans différents domaines scientifiques.
C’est là à défaut sans doute, qu’intervient l’expert que le journaliste (non expert scientifique) doit impérativement consulter quelle que soit l’étendue de ses investigations sur les sources primaires.
On rappellera que les publications scientifiques (sources primaires) sont le plus souvent du « specialist facing » à savoir qu’elles sont écrites par des scientifiques pour des scientifiques et servent de « matière » pour constituer le fameux consensus scientifique. Dès lors, on est face à une certaine contradiction entre : le journaliste se réfère au consensus scientifique uniquement, posé dans les bonnes pratiques proposées, et ici : il épluche les documents scientifiques et même, les données de recherche scientifique. D’un point de vue pratique, un exemple : le journaliste est-il capable d’évaluer des sources primaires comme des rapports d’essai d’un moteur Boeing ou une étude de nouvelle technologie de décryptage d’un caryotype ? Raisonnablement non, il fera appel à un expert, sauf à être scientifique expert du domaine avant d’être journaliste scientifique, ce qui existe mais n’est pas le plus courant.

Cas des publications scientifiques

Une série de conseils sont donnés par le CDJM essentiellement à type de prudence. En retiendra essentiellement le premier, qui rejoint notre propos précédent : « S’assurer auprès d’experts extérieurs que les travaux…. » . Le journaliste doit impérativement vérifier le résultat de ses investigations et analyses, n’étant pas expert scientifique (sauf exception).

À propos des chercheurs

Le CDJM recommande principalement

  • de vérifier la valeur d’un expert auprès de ses pairs.
    Pourquoi parle-t-on d’expert ici ? le chercheur serait-il assimilé à un expert ? On dirait bien. Attention dès lors à la confusion entre expert et recherche, c’est l’objet de l’un de nos articles de la série Expertises et Experts justement.
  • de vérifier les conflits d’intérêt et les « influences » d’un chercheur
    C’est pertinent, mais on regrettera la référence immédiate à « Euros for Docs », la base de donnée issue de Transparence santé qui recense les contrats des chercheurs avec l’industrie pharmaceutique. Participer à l’innovation en matière pharmaceutique et médical n’est pas un conflit d’intérêt. À titre d’exemple, et un médecin-chercheur qui conduit des essais cliniques sur une molécule expérimentale n’est pas en conflit d’intérêt.

Les interviews de scientifiques

Le CDJM donne des conseils importants dont le respect est indispensable :

  • Dire à quel titre le scientifique est interviewé : spécialiste, expertise, « citoyen engagé voire militant »
  • Mentionner ses liens (association, affiliation, intérêts…)
  • Ne pas solliciter un expert « sur un sujet pour couvrir un autre sujet, même voisin »
  • Ne pas considérer que le statut social et la renommée en font un porteur de « vérité scientifique » (y compris le nombre de publications scientifiques)

La transparence et la justification du choix des intervenants et leurs motivations pour intervenir sont particulièrement bienvenus.
Espérons que cela aidera les médias à cesser de tendre le micro à des experts hors de leur domaine d’expertise, ce sont les plus dangereux pour leurrer le public et la garantie d’un nivellement vers le bas de la qualité des débats. Ces derniers pullulent sur les réseaux sociaux et tentent de capter l’attention des journalistes. Profils types : les post doctorants en quête de publications et de notoriété, très présents sur les réseaux sociaux et que les journalistes prennent parfois pour des référents, promeuvent une fausse image : celui du chercheur, qui plus est nécessairement académique, comme un expert de référence. Cela participe de la confusion omniprésente entre chercheur et expert.

Santé et médecine

Le CDJM a jugé utile de parler spécifiquement de ces domaines, très abordés depuis 2020 avec la pandémie de Covid-19.
Il met l’accent sur les considérations éthiques (ne pas réduire une personne à son diagnostic, être prudent pour ne pas susciter d’espoirs ou craintes non fondés), rester prudent avec les découvertes, être mesuré sur les risques et les avantages non prouvés pour la santé.

Conclusion

Ce guide est bienvenu pour des conseils pertinents.

La recommandation à fort impact potentiel

S’il faut retenir une recommandation pour l’impact fort qu’elle pourrait avoir si elle est suivie par les médias, c’est le fait de cesser d’interroger ou de prendre comme référent des « experts hors de leur domaine d’expertise, « même voisin », cette pratique délétère ayant été intensive tout au long de la crise sanitaire qui a donné naissance à profusion de faux experts en sciences pharmaceutiques et médicales qui souvent jouent de leur expertise dans un autre domaine comme argument d’autorité.
Ajoutons à cela la transparence exigée sur les motivations et liens d’intérêt de l’intervenant, éminemment nécessaires, comme le montre particulièrement l’expérience dans la pandémie.

Le paradoxe

Celui du journaliste scientifique qui selon les bonnes pratiques énoncées doit se contenter d’utiliser les faits scientifiques issus du consensus mais à qui on propose d’étudier la production de recherche, par définition non encore dans ce consensus, Paradoxe réglé si le journaliste scientifique est également scientifique du domaine traité ce qui n’est pas monnaie courante, auquel cas l’appui sur un expert rigoureusement sélectionné sera essentiel.

Les confusions expert/chercheur, expert/société savante et la politique sur l’industrie pharmaceutique

On peut regretter dans la recommandation du CDJM une certaine confusion hélas courante entre chercheur et expert, cette dernière étant très exploitée sur les réseaux sociaux, la confusion entre expert (individuel) et consensus (collectif ou société savante), et enfin celle entre lien et conflit d’intérêt en rapport avec les collaborations nécessaires entre chercheurs du secteur public avec l’industrie pharmaceutique, essentielle pour l’innovation médicale. Hélas, cette confusion a été exploitée par des figures complotistes pendant la crise sanitaire pour diaboliser et discréditer de véritables experts qui se sont exprimés dans leur domaine de compétence., mais aussi par des activistes ou post étudiants en quête de notoriété et de publications pour leur cursus.

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