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Cadeaux interdits URGO aux professionnels de santé : réactions, témoignages et premières condamnations de pharmaciens épinglés

Le Parisien dans son édition du 11 janvier rapporte des témoignages de pharmaciens d’officine pris la main dans le sac à cadeaux. Le journal rappelle aussi que les dentistes ont profité d’un système équivalent. Si proposer des cadeaux aux professionnels de santé est interdit, les accepter est tout aussi condamnable.

Science infuse avait révélé il y a maintenant près d’un an, le système illégal mis en place par les laboratoires Urgo proposant des cadeaux aux pharmaciens d’officine en échange du renoncement à leur remise commerciale annuelle. Passé quelque peu inaperçu (ce site d’actualité est récente et modeste), c’est l’implication dans ce système de la ministre de la santé Agnès Le Bodo au titre de son exercice personnel de la profession, qui a remis l’affaire sur le tapis médiatique le mois dernier. Un système illégal mais bien huilé qui a duré des années et impliqué au moins 40 % de la population de pharmaciens officinaux.

Alors que les auditions judiciaires des milliers de pharmaciens épinglés suivent leur cours (celle d’Agnès Firmin Le Bodo aurait eu lieu mardi, selon nos confrères du Parisien), la question qui taraude est : les pharmaciens sont-ils « à part », ou d’autres professionnels de santé concernés ? Il faut dire que les pharmaciens d’officine sont particulièrement exposés du fait de leur double métier de professionnel de santé et de commerçant. Ils sont ainsi plus susceptibles de subir les propositions indécentes de petits arrangements à base de cadeaux, pour eux ou pour leur magasin. Ce qui n’excuse rien bien sûr. Mais ces professionnels à blouse blanche censés être respectables sous tous rapports se repentent-ils ?

Ligne de défense faible

Agnès Firmin Le Bodo a considéré qu’elle n’avait pas reçu de cadeaux, décrétant « Ce sont des négociations commerciales ». Elle a aussi prétendu que cette affaire n’entachait pas sa vie publique de ministre, puisque ce serait une affaire qui « relève du privé ». Elle est « sereine », aux dernières nouvelles. C’est inquiétant. Au moins pour le gouvernement, plus lucide, qui l’a déchargée illico de la gestion de la profession des pharmaciens , remplacée par la Première ministre Elisabeth Borne aujourd’hui démissionnée. Au moment où nous écrivons ces lignes, son remplaçant Gabriel Attal n’a pas encore désigné son gouvernement. Pas de suspens, Mme Le Bodo n’est pas un cadeau. Elle assure le ministère de la santé par intérim sans doute pour quelques heures encore.

Sur la même ligne de défense par déni, le Parisien rapporte le témoignage d’un autre pharmacien d’officine : « Ne dites pas que ce sont des cadeaux. Rien n’a été abandonné puisqu’il fallait abandonner notre remise en échange ». Certainement pas, où alors c’est confondre sa poche avec celle de son fonds de commerce, outre violer le Code de la Santé Publique. « Les commerciaux nous répétaient que tout était légal ». Il y aurait cru. On n’y croit pas.

Pour un autre, rapporte le Parisien, c’est : « J’ai été con. C’est plus de la bêtise qu’autre chose ». Celui-là n’est pas moins que le président régional de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Alors là encore, peut-être faudrait-il ne pas faire passer à son tour le public pour des gens bêtes. Surtout quand l’intéressé ajoute pour sa défense que beaucoup des cadeaux étaient sous forme de mobilier pour l’officine, ce qui ne constituerait pas des cadeaux selon lui…

Un autre pharmacien d’officine qui a accepté une interview du Parisien (et les cadeaux d’Urgo) avoue qu’il s’avait que le système était illégal tout en pensant qu’il ne l’était pas (sic) parce que le laboratoire lui aurait dit qu’ils les acceptaient avec la casquette du commerçant et non celle du pharmacien. Une excuse plus que tirée par les cheveux (de la casquette). Et d’ajouter que le commercial d’Urgo était un ami. Un argument de poids qui ne gâche rien, aux effluves légères de corruption. « Je me suis fait couillonner », avoue-t-il. En tout cas, il s’avère qu’il était à fond dans le système puisque certaines de ses commandes URGO auraient été motivés par le cadeau à la clé (des réfrigérateurs pour son officine). Des commandes, en somme, pour les besoins du cadeau convoité. Il a aussi choisi dans le copieux catalogue des cadeaux personnels comme des montres.
Il aurait écopé de 17 500 euros d’amende pénale pour des cadeaux reçus estimés à 14 000 euros. Il trouve ça injuste. Pour lui, ses ennuis sont de la faute d’Urgo. Il leur en veut pour ses déboires mais aussi pour l’image de la profession. Il est dommage pourtant de ne pas faire le constat que pour cette fraude Urgo, il faut être deux : le labo qui propose, le pharmacien qui dispose.
Peut-être la sanction disciplinaire, il faudra attendre le verdict de la commission des sanctions de l’Ordre des pharmaciens : la palette va du simple avertissement à l’interdiction d’exercer, temporaire ou définitive.

Les dentistes aussi aiment les cadeaux des labo

Le Parisien rappelle aujourd’hui que deux sociétés de vente de matériel dentaire, GACD et Promodentaire ont été condamnés en 2017 pour avoir proposé et fournit des avantages à un grand nombre de chirurgiens-dentistes ‘en contrepartie d’achats », de 2009 à 2013. Là aussi parfois des cadeaux de luxe. Sont cités montres, GPS, caves à vins. Le système, ce sont des programmes de fidélité qui offrent des points en fonction des montants de commande, les points accumulés donnant droit aux cadeaux… ou carrément des chèques.

Et là aussi comme pour les pharmaciens d’officine, il est question de 8 000 praticiens. Mais il y a environ deux fois plus de dentistes que de pharmaciens d’officine donc on est dans un ordre de grandeur de 20 % de la profession concernée. C’est beaucoup.

Et les autres professions de santé ?

Nos collègues du Parisien ont posé la question à des industriels (labos pharmaceutiques, fournisseurs de matériel médical), et déclarent n’avoir reçu aucune réponse. Mais l’affaire URGO, d’ampleur, devrait donner des idées à la DGCCRF qui a découvert l’affaire, pour cibler ses enquêtes à l’avenir. Les blouses blanches, on l’a compris, ne donnent aucun totem d’immunité contre l’absence de probité.

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