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Expertise et experts – épisode 5 : le patient peut-il être expert de sa maladie ?

Cette question mérite dans notre série qui traite régulièrement du dévoiement de la notion et de la qualification d’expert ; deux phénomènes contribuent au risque dans le cas des patients et de leur maladie : les patients avec statut de « patient expert » dans certaines instances et les patients auto-proclamés experts sur internet

Évolution de la relation patient-médecin

Les statuts respectifs du médecin et du patient ont bien évolué. Au fil du temps et depuis le siècle dernier, le médecin descend de son piédestal de « grand sachant » qui assène le diagnostic au patient, dans les temps les plus reculés sans même expliquer sa « sentence ». Dans la droite ligne, nous avons eu plus tard la médecine paternaliste, le médecin faisant figure de patriarche, les patients faisant figures d’enfants qui obéissent aux directives du médecin. Cet esprit perdure encore parfois, particulièrement en France ou le lobby médical est très puissant, assis sur des privilèges d’antan qui s’effritent dans le monde moderne.

Le cas de la recherche médicale avec la Déclaration d’Helsinki

La recherche médicale impliquant des patients, appelée recherche clinique, a elle aussi beaucoup changé pour se recentrer vers les patients et leurs droits et non uniquement les chercheurs et leurs problématiques propres. Au siècle dernier, le procès de Nuremberg après la Seconde guerre mondiale, a dévoilé les horreurs de l’expérimentation sur l’homme dans les camps de concentration, menées par des médecins tortionnaires. Il a fait naître en 1964 la Déclaration D’Helsinki, adoptée lors de la 18e Assemblée médicale mondiale à Helsinki en Finlande.
Elle fixe des principes de respect des personnes se livrant aux expérimentations, la nécessité d’une éthique fondée sur la nécessité de recherches utiles, avec une notion de bénéfices raisonnablement attendus obligatoire pour la finalité de la recherche et la prise en compte des risques encourus par les sujets. Elle fixe la règle de leur consentement éclairé préalable et obligatoire de toute personne qui se soumet à des expérimentations médicales. Cette déclaration a

Mouture 2024 de la Déclaration d’Helsinki

Le document a été révisé sept fois depuis lors, tenant compte de l’évolution de la recherche médicale et de l’évolution de la société. La mouture 2024 apporte à notre avis deux éléments remarquables. En lien direct avec notre sujet, le changement de vocable pour nommer les personnes qui se prêtent à la recherche médicale : jusqu’ici on parlait de « patients » (et de « sujets » pour les volontaires sains). Désormais, la Déclaration d’Helsinki parle de « participants ». Cette modification peut paraître symbolique, mais elle traduit bien la notion de participation plutôt de statut de patient soumis au médecin en charge de mener la recherche. En se débarrassant de cette relation médecin-patient connoté de soumission du moins historiquement, on l’a vu, on donne au patient le statut d’acteur d’une recherche participative. Il devient ainsi partenaire du médecin chercheur pour faire évoluer les connaissances scientifiques, dans une relation bien plus horizontale que verticale. D’ailleurs, les protocoles de recherche clinique font désormais toujours état des devoirs (dans le cadre d’une étude clinique) et des droits des participants, comme en ont également les médecins de recherche clinique. La science participative (Citizen Science en anglais) est ainsi revendiquée et les rôles de chacun en recherche rééquilibrés.

L’autre point de modification significatif ne sera que cité car non lié au présent sujet directement : il s’agit d’appuyer l’importance pour la recherche et pour l’éthique de pouvoir réutiliser les échantillons de matériel biologique prélevé auprès des participants pour la recherche future. Ainsi, si le participant y consent dans son consentement éclairé, ce matériel, soigneusement rendu anonyme pourra être réutilisé ultérieurement hors cadre de l’étude en question. On comprend très bien la problématique : se limiter à « l’usage unique » d’un prélèvement biologique serait une certaine forme de gâchis, et donc contrevenant à l’éthique de la recherche . Cette pratique est largement en vigueur depuis des années, la Déclaration d’Helsinki vient donc entériner cette pratique sur le principe.

Le « patient expert » dans les instances sanitaires

De fait, la voix des patients est de plus en plus écouté et comme pour la recherche médicale, ils deviennent de vrais participants qui sont partie prenante des débats dans la société civile, les autorités sanitaires et à l’hôpital. La loi Kouchner sur le droit des malades a favorisé cette dynamique, tout comme les associations de patients. Elle participe de ce qu’on appelle la démocratie sanitaire : la santé est un bien de l’humanité, elle n’appartient pas aux soignants. Les usagers du système de santé, dont les patients, sont donc de plus en plus représentés dans tous les mouvements et initiatives qui traitent de lui en tant qu’individu et membre d’une communauté de malades. Toutefois, nous voyons ici une erreur dans cette appellation de « patient expert ». Le patient n’est pas l’expert de sa maladie, il en est la victime évidemment, mais aussi le témoin. L’expert est par principe indépendant. Or le témoin n’est par définition pas indépendant. On connaît aussi la valeur du témoignage en science : elle est précieuse, mais biaisée. Il faut la prendre en tant que tel, c’est une expérience personnelle, une expérience de vécu de la maladie. À ce titre, aussi intense et instructive soit-elle, on ne saurait la confondre avec une quelconque expertise de la maladie. En outre, le patient n’est pas un professionnel de santé, il a l’expérience de la vie avec sa maladie mais en aucun cas les compétences du professionnel de santé. Bien sûr, il peut acquérir de nombreuses connaissances techniques sur sa maladie, et il sera à ce titre, au fil du temps, expérimenté sur beaucoup d’aspects de sa maladie ; mais toujours pas expert médical comme peut le faire croire une appellation d’expert. Il est donc fâcheux de confondre expérience personnelle et expertise. On ne saurait trop conseiller aux instances et organisations concernées de revoir cette appellation, en remplaçant « patient expert » par un autre terme, comme par exemple « patient partenaire », à savoir partenaire de toute initiative collaborative portant sur son statut de patient ou ayant trait à sa maladie. Il n’y a là aucune minimisation du rôle précieux des patients mais le souhait de ne pas dévoyer la notion d’expertise, avec tous le dangers que cela comporte.

Le patient expert auto-proclamé

Dévoyer un terminologie peut amener des dérives sur le concept qu’elle porte et ici, en santé, une imposture porteuse de dangers. Au-delà de l’appellation « patients experts » qui est attribué dans un cadre précis de collaboration à des initiatives officielles, les experts auto-proclamés en santé pullulent sur les réseaux sociaux. On a déjà eu l’occasion d’en parler dans des articles précédents de la série « Expertise & Experts ». Une technique classique est le dévoiement du titre de docteur en sciences non médicales pour se faire passer pour un docteur qui soigne. Mais il existe aussi des patients qui se proclament, ou jouent les experts de leur maladie sur les réseaux sociaux. « C’est moi le mieux placé pour en parler » justifient certains, ou bien « j’en connais au moins voire plus que les médecins » pour en avoir consulté plusieurs. Et bien sûr, le sempiternel « j’ai fait mes propres recherches » sur internet. Encore une fois, il est hors de question ici de minimiser l’importance du vécu des patients. À l’heure des déserts médicaux, qui conduit parfois à l’errance médicale, il est clair que certains patients sont confrontés à un parcours long pour leur prise en charge, qui démultiplie l’expérience. Encore une fois, ce n’est pas une expertise, mais un vécu, une expérience, aussi intense soit-elle. Sur les réseaux sociaux, on voit ainsi des patients deviser sur leur maladie et donner des conseils « médicaux » sur la prise en charge médicale, les mécanismes de la maladie, les traitements, et bien d’autres considérations encore d’autre médical. La motivation peut être le besoin de reconnaissance mais parfois, il est aussi financier. Certains individus vont jusqu’à monnayer leurs conseils et proposer des formations ou traitements.
L’appellation d’expert se doit donc d’être protégée et utilisée à bon escient, afin de ne pas donner d’outils supplémentaires à l’imposture des faux experts, à la faveur d’une appellation d’expert erronée.

Expertises revendiquées : Fabienne Blum est docteur en pharmacie et juriste en droit de la santé avec une longue expérience opérationnelle de recherche clinique, des Bonnes Pratiques Cliniques et de l’Éthique de la recherche médicale en France, Europe et États-Unis.

Illustration d’en-tête : Andrea pour Science infused

Pour aller plus loin…consultez notre série « Expertises & Experts »


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