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Jérémie Mercier apprenti-gourou Épisode 4 – À l’assaut des parents d’enfants autistes – Volet 1

Tonis Prants vit à Tallinn, Estonie

Le « normalien-docteur » de la santé de son portefeuille s’attaque à la détresse des parents d’enfants atteints d’autisme. Avec une partenaire d’affaires dont nous passons en revue l’argumentaire.

C’est le chant du cygne. La fin d’une ère, commencée à bas bruit au milieu du mois de décembre 2019. Là-bas, en Chine, une mystérieuse maladie emplissait les services d’urgence. Les autorités confinaient les populations et bientôt le virus se répandaient dans le monde entier. Tous redoutaient la maladie. Les images venues de Lombardie à la télé. Le confinement. Les applaudissements. Les espoirs de vaccins. Les essais cliniques. Le vaccin allait changer la donne, un tour de force accompli en à peine un an, un exploit rendu possible par une mobilisation d’innombrables talents scientifiques, de vastes moyens financiers, des autorités publiques, et du secteur privé.

La pandémie, un filon porteur pour les charlatans mais qui s’épuise

Pourtant, sitôt la campagne vaccinale lancée, un mouvement fort sur les réseaux sociaux se faisait entendre. Car, dans le milieu de la charlatanerie professionnelle, l’ère des vaccins contre la COVID-19 est un moment de grâce, dans lequel s’est ouvert un immense marché aussi large que la population mondiale elle-même. Des opportunités comme celle-là, cela n’arrive peut-être qu’une fois par siècle. Il fallait vite investir le marché, d’abord en générant de la défiance envers la médecine officielle en général, et les vaccins en particulier, pour pouvoir ensuite traire le portefeuille des antivaxx, en vendant, par exemple, formations en ligne, extraits d’armoise annuelle, casquette anti-confinement, pin’s anti-pass sanitaire, etc.

Un an et demi après, le moment de grâce touche à sa fin. Les vaccins sont efficaces, les effets indésirables graves [1] sont si peu nombreux que l’ANSM les cherchent encore, et la proportion de la population non-vaccinée décroît inexorablement sous l’effet conjugué de la campagne de vaccination… et des décès des non-vaccinés[2].

Le filon de l’antivaccisme s’épuise. Les charlatans sentent venir la fin de la poule aux œufs d’or. Il leur faut de nouveaux filons. Lorsque les comptes Twitter, Facebook, Youtube et Instagram n’ont pas été supprimés, il reste aux charlatans une visibilité accrue sur les réseaux sociaux, exploitable pour adresser efficacement d’autres marchés potentiels.

Jérémie en recherche de diversification sans lâcher le créneau porteur de la détresse

C’est ainsi que nous retrouvons Jérémie Mercier, le spécialiste de votre santé de son portefeuille, prospectant de nouveaux marchés en ce printemps 2022. Après la promesse de retrouver une vue parfaite en 15 jours – marché très large, mais potentiel limité par le fait que les gogos s’aperçoivent rapidement de l’inefficacité du traitement – il s’agit de trouver un filon capable de générer un rendement élevé sur une durée plus longue. Comme à l’habitude, le marché idéal cumule les caractéristiques suivantes : un problème de santé qui compromet sévèrement l’espérance ou la qualité de vie, et que la médecine moderne ne sait pas (ou pas toujours) traiter efficacement, d’un côté, et des prospects financièrement capables d’investir hors de la médecine moderne, de l’autre. Une fois ces deux ingrédients trouvés, il reste à instiller le doute sur la médecine officielle et les médecins, formuler des promesses d’efficacité que l’on étayera par quelques anecdotes, si possible invérifiables, pour pouvoir enfin traire le portefeuille des clients. En un mot, le schéma classique. L’autisme cumule ces caractéristiques. Il s’agit d’un marché certes plus réduit en taille que l’antivaccisme (1 personne sur 150 environ est atteinte de troubles du spectre autistique (TSA), mais plus facilement adressable car la médecine moderne reste effectivement largement impuissante face à l’autisme. La cible adressable de ce marché sera donc les parents d’enfants autistes – enfin, ceux qui ont les moyens de payer, vous connaissez Jérémie (voir son formulaire de démarchage des cancéreux) – et la promesse d’efficacité, annoncée dès le titre de sa dernière visioconférence, « Sortir de l’autisme ». Les anecdotes seront fournies par la maman du petit Léo, né en 2010, présenté comme autiste sévère (score ATEC[3]: 124) et aujourd’hui revenu à un score inférieur à 20, nous dit-elle, grâce à un ensemble de techniques que l’on se propose de nous vendre.

Un partenariat tout trouvé

Christine Buscailhon – la maman de Léo – est une ancienne spécialiste du marketing qui, confrontée à la fois aux retards dans l’évolution attendue de son deuxième enfant, et à l’incapacité des médecins – nous dit-elle – à poser un diagnostic d’autisme, a décidé de prendre les choses en main et de faire ses propres recherches. C’est finalement lorsque Léo atteint l’âge de 4 ans – en 2014 – et après bien des consultations que le diagnostic d’autisme est posé, nous dit C. Buscailhon dans cette visioconférence diffusée le 12 avril.

L’année 2014 marque donc un tournant pour les Buscailhon. Un diagnostic est posé pour Léo, et sa maman quitte son emploi. Après avoir quitté le marketing, C. Buscailhon ouvre dans la région toulousaine en septembre 2014 une boulangerie offrant des produits sans gluten et sans caséine, sous la marque « Glouton Frais », vraisemblablement en conformité avec le régime qu’elle promeut aujourd’hui pour « traiter » l’autisme, comme l’indique cette présentation de la marque :

Présentation de la marque Glouton frais sur la plateforme Blabber

Un site de e-commerce dédié ouvre en février 2015, mais la boulangerie cesse ses activités début 2018. La fermeture de la boulangerie marque un nouveau tournant dans la carrière de C. Buscailhon :

« J’ai donc quitté le marketing pour ouvrir une boulangerie bio, sans gluten, puis me suis reconvertie en thérapeute holistique[4] »

Cette nouvelle carrière, C. Buscailhon l’aborde avec la certitude que l’alimentation est une clé dans la diminution des troubles du spectre autistique. Et son fils en est naturellement la preuve.

Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur la personne de C. Buscailhon, car nous pouvons comprendre la douleur d’une maman face aux difficultés de son enfant, la colère face à l’incapacité – nous dit-elle – du corps médical à apporter un diagnostic, la souffrance causée par le parcours du combattant pour obtenir des réponses, et même la fierté de voir son enfant surmonter les difficultés identifiées. Il ne s’agit pas non plus de nier l’influence de facteurs environnementaux dans l’autisme, dont l’existence fait encore l’objet de recherche. Il s’agit ici de faire l’analyse d’un discours formulant des promesses d’ordre médical, visant à vendre une gamme de services à des personnes également confrontées à l’autisme, et de confronter ce discours à l’état des connaissances scientifiques dans le domaine. Quel est la scientificité de ce discours ? Sur quoi repose-t-il ?

Deux ingrédients du discours pseudoscientifique : expérience personnelle et lecture peu critique d’articles

Le discours de C. Buscailhon s’appuie au moins sur deux piliers, le premier est son expérience personnelle, avec Léo, son deuxième enfant ; le deuxième est constitué de publications, dont elle ne dresse malheureusement pas la liste dans son intervention. Du côté de l’expérience personnelle, qui constitue l’essentiel de la première partie de visioconférence, C. Buscailhon expose une concomitance entre l’adoption, entre autres, d’un régime sans gluten et sans caséine, et l’atténuation des troubles du spectre autistique de son fils, notamment dans sa quatrième année (2014), comme le confirme cet extrait d’une interview donné au site « Pourquoi docteur ? » :

« On s’est alors aperçu qu’il était allergique à la caséine (une protéine présente dans le lait, NDLR) et au gluten. J’ai donc consulté une naturopathe, nous avons mis un nouveau régime alimentaire en place et les résultats ont été spectaculaires. Après trois jours de régime, il s’est mis à parler pour la première fois ! (Ibid.) »

C. Buscailhon voit dans la concomitance de la mise en place de ce régime et les effets bénéfiques – réels ou ressentis – rapportés une causalité, ainsi que ces extraits de la visioconférence l’indiquent :

« Bien entendu, sans le régime alimentaire, le travail sur les réflexes archaïques, les massages hebdomadaires pour faire circuler son énergie dans son corps et les bains de pieds détoxifiants pour évacuer les métaux lourds, il aurait sans doute un score de nouveau plus élevé[5] »

« Ce que je veux dire par là, c’est que le régime sans gluten, sans caséine, c’est la base, mais on a fait énormément d’autres choses et aujourd’hui, c’est grâce à ça qu’il va bien et qu’il a pu continuer à progresser »

« L’étape clé, numéro 1, je pense que vous l’avez compris, ça a été de comprendre, d’identifier cette histoire d’intolérance alimentaire. Donc c’est ce que je vous ai raconté, c’est-à-dire qu’au bout de trois jours, Léo parle. Alors, on avait sans gluten et sans caséine, et puis on a visé aussi le rééquilibre acido-basique parce qu’on s’est aperçu avec la naturopathe que, comme beaucoup de gens, on mangeait trop acide et que ça crée une inflammation et donc cette inflammation, elle pouvait se retrouver au niveau du cerveau. Et donc qui dit inflammation neuronale, dit trouble en fait »

Mais comment justifier qu’à partir d’un cas particulier, C. Buscailhon puisse généraliser au point de vendre ses conseils pour « sortir » de l’autisme ? A l’écouter, c’est en cherchant des informations sur les régimes sans gluten et sans caséine, peu après l’identification de ces intolérances alimentaires chez son fils, qu’elle serait tombée sur « des forums » et des « articles » sur le lien entre microbiote, intestin, cerveau et autisme. A ce point de la démonstration, elle s’appuie sur le deuxième pilier, les études « scientifiques », présentées dans la deuxième partie de la visioconférence :

« Alors il y a de nombreuses études qui existent. Elles montrent que l’autisme résulte de mécanismes évidemment très complexes. Mon propos n’est pas ici de dire que tout a été compris, loin de là, mais il y a quand même de grandes choses qui en ressortent mais il y a quand même un lien entre l’intestin, le système immunitaire, le cerveau et les troubles du spectre autistique. C’est largement documenté ; en France, très peu d’études voire pas du tout. Mais dans d’autres pays, alors bon, notamment les Etats-Unis, mais il y en a dans d’autres pays » Nombreuses études ? C. Buscailhon n’en cite qu’une, Adams et al[6].(2018). Une étude incluant 120 participants, 70 autistes et 50 personnes neuro-typiques enre 2,5 et 60 ans. Le but de cette étude était de tester l’effet d’un régime sans gluten et sans caséine, ainsi que des compléments alimentaires chez des personnes atteintes de troubles du spectre autistique sur un horizon temporel plus lointain (12 mois) que ceux des études qui l’ont précédée.

Études à l’appui questionnables

Du point de vue méthodologique, certains choix sont néanmoins étranges. Si l’article a été reçu et publié en 2018, l’étude elle-même a eu lieu entre novembre 2011 et avril 2013, soit plus de 5 ans avant. Le protocole de l’étude n’a été déposé qu’en février 2014… soit après la fin de l’étude et la récolte de toutes les données. Ceci ne correspond évidemment pas aux bonnes pratiques scientifiques, qui requiert une définition complète et claire de la méthodologie de l’étude avant son commencement. Les auteurs n’ont pas jugé bon de publier les données brutes de l’étude pour possible vérification par un autre groupe de chercheurs.

Les étranges choix méthodologiques de cette étude ont été relevés dans un commentaire publié dans le même journal, Nutrients 2019, 11(5), 1126, lequel remet également en cause la randomisation des participants à l’étude. Si les auteurs ont répondu à cette critique, le refus des auteurs de présenter les données brutes ainsi que les « oublis » des auteurs dans la description de la méthode de randomisation, ne lèvent pas le doute sur la qualité et la rigueur de l’étude et de ses résultats.

Par ailleurs, les auteurs reconnaissent que le principal auteur, James B. Adams, est « le président de l’Autism Nutrition Research Center (ANRC), une association à but non-lucratif, qui fournit des informations aux familles d’autistes et qui produit une version améliorée du complément alimentaire (combinaison de vitamines et minéraux) utilisée dans le cadre de l’étude ». Les auteurs ajoutent qu’il est président « à titre bénévole et ne reçoit aucune royalties de la vente de ce supplément[7] ».

Aussi est-il tout à fait étonnant que les auteurs aient « oublié » de mentionner que Elizabeth Geis (troisième autrice), et Eva Gehn (quatrième autrice) siègent également au Conseil d’Administration de l’ANRC. En fait, avec James B. Adams, Geis et Gehn forment l’intégralité du Conseil d’Administration. Oubli étonnant ou… peut-être n’étaient-elles pas membres du bureau au moment où l’étude a été soumise pour publication ?

Même réflexion pour Tapan Audhya (deuxième auteur), dont les auteurs oublient de signaler qu’il siège au Conseil Nutritionnel et Médical de l’ANRC. Tout comme Jessica Mitchell, une « naturopathe accréditée », septième autrice de l’étude. Ou encore Robert Hellmers (neuvième auteur), un médecin « certifié [8] en pédiatrie et en allergologie et immunologie ». Mais aussi Dana Laake (dixième autrice), diététicienne et nutritionniste « certifiée » dans le Maryland et co-autrice du « Livre de cuisine pour les autistes et personnes atteintes de déficit d’attention et de troubles de l’hyperactivité adapté aux enfants[9] ». Ainsi que Julie Matthews (onzième autrice), consultante nutritionnelle « certifiée » spécialisée dans l’autisme. Sûrement ces auteurs ont intégré le Conseil d’Administration et le Conseil Nutritionnel et Médical après publication de l’étude, ou peut-être s’étaient-ils déportés de ces Conseils le temps de la publication de l’étude. Toujours est-il que, quatre ans après publication de l’étude, huit des dix-sept auteurs de l’étude ont un lien avec l’ANRC.

Cela a probablement échappé à C. Buscailhon, et c’est bien regrettable, car comment expliquer qu’elle identifie un auteur parmi 12 avec « des intérêts dans l’industrie des produits laitiers », lorsqu’elle évoque rapidement une étude de l’AFSSA de 2009, mais passe à côté du fait que 8 des 17 auteurs de l’étude qu’elle a elle-même choisi de présenter pendant la visioconférence sont liés – et cela se vérifie en quelques secondes – à une association dont l’activité principale est de vendre des compléments alimentaires à l’attention des autistes ?

Écouter C. Buscailhon, c’est aussi se rendre compte que derrière les deux piliers de sa connaissance du sujet de l’autisme – son expérience personnelle et la lecture d’articles scientifiques – se cache un troisième pilier, un ensemble de croyances, affirmées pendant la visioconférence, mais non étayées. Ainsi déclare-t-elle :

« Il faut savoir que tous les comportements atypiques des autistes s’expliquent de manière physiologique, donc… Par exemple, ceux qui se tapent la tête contre les murs, c’est souvent parce qu’ils ont tellement mal à la tête qu’à un moment, taper la tête contre les murs, ça fait du bien. Il y en a qui mangent aussi de la terre, c’est parce que dans la terre, il y a des micro-nutriments dont ils ont besoin. Il y en a qui marchent sur la pointe des pieds, et en fait quand on marche sur la pointe des pieds, ça va stimuler des points d’acupuncture en fait, qui sont sous les pieds, qui vont calmer les douleurs au ventre. Et après il y a d’autres choses, comme l’absence de regard, qui s’expliquent par une carence en vitamine – je ne sais plus laquelle c’est – la A, je crois. Parce qu’ils sont carencés… Comme ils ont – on va revenir dans les détails de l’explication du pourquoi, du comment – mais il faut savoir qu’ils ont aussi des carences en vitamines, et en minéraux qui expliquent une partie des comportements. Donc il y a une partie des comportements qui sont fait pour soulager de la douleur ou de la gêne, et il y a une partie des comportements qui s’expliquent par des carences, des troubles physiologiques en fait »

Peut-être existe-t-il des données scientifiques établissant un lien entre certains comportements autistiques et carence en vitamine A ou céphalées. Mais il est certain que l’acupuncture est un ensemble de pratiques sans fondement scientifique.

Les soupçons se renforcent malheureusement quelques minutes plus tard, alors qu’elle évoque la nécessité de garder l’espoir et de croire au potentiel de son enfant.

« C’est-à-dire que j’ai vu Léo régresser. Il est né normal, et puis à un moment, ça a buggé. Bon, ça a un peu buggé à cause des piquouses, on en a un peu parlé, mais il n’y a pas que ça, mais c’est une des raisons du bug. C’est souvent le cas, mais pas toujours. Mais à l’époque, je n’étais pas forcément consciente du sujet des piquouses ».

Les piquouses, comprenez : les vaccins.

Toutes les précautions aperçues dans la première heure de visioconférence volent alors en éclat. L’autisme, ce n’est pas irréversible, assure C. Buscailhon, avant de citer Martha Herbert, papesse américaine du lien – toujours récusé par les études sérieuses – entre vaccination et autisme.

L’argument miraculeux en renfort

Puis – et c‘est malheureusement une caractéristique charlatanesque – C. Buscailhon évoque une expérience d’ordre miraculeux, magique, digne du film « L’Eveil[10] », affirmant que Martha Herbert aurait réussi à faire disparaître l’autisme chez certains enfants « pendant dix minutes ».

« Elle a elle-même fait des expériences, sur des choses non-reproductibles. L’autisme disparaît complètement pendant dix minutes, après ça revient. [Jérémie Mercier : C’est incroyable] Ça veut dire que c’est réversible, même pendant un laps de temps très court. Donc il y a des témoignages de rémissions complètes qui existent. Il y a quand même des enfants qui ont progressé significativement, heureusement qu’on est pas les seuls ».

C. Buscailhon n’indique pas la source qui lui permet d’affirmer cela. Ni la raison pour laquelle cette expérience serait non-reproductible. Elle revient alors au régime sans gluten et sans caséine.

« Le régime sans gluten sans caséine n’est pas reconnu. Effectivement, la Haute Autorité de Santé ne reconnaît aucun lien entre ce régime, l’autisme… l’intestin, le cerveau en général, donc, voilà… La seule étude qui a été publiée sur le sujet spécifique, elle date de 2009 et un de ses rédacteurs a des intérêts dans l’industrie des produits laitiers. [Jérémie Mercier : Comme d’habitude] Comme d’habitude, tout est dit. Alors régulièrement, on lit… quand la presse française daigne en parler, dit que le régime sans gluten ne marche pas pour l’autisme. Alors c’est vrai, le régime sans gluten ne marche pas, je confirme, c’est le régime sans gluten et sans caséine – déjà c’est la base – qui fonctionne. […] C’est aussi souvent sans soja d’ailleurs. Et donc… Il y a des dizaines d’études qui le prouvent, et la première date de 2001, donc ça commence à faire un certain temps. Ça vient pas de sortir l’année dernière. [Jérémie Mercier : « Il y a beaucoup de choses comme ça qui mettent du temps pour traverser l’Océan Atlantique »] Hmm… Mais ça a été aussi… il y a même eu des études dans d’autres pays européens. La première étude est suédoise ».

Y a-t-il véritablement « des dizaines d’études » qui prouvent que le régime sans gluten ni caséine « marche » ?

Revue de littérature

L’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments) a effectivement consacré une étude sur l’efficacité et innocuité des régimes sans gluten et sans caséine proposés à des enfants présentant des troubles envahissants du développement (autisme et syndromes apparentés)[11] en 2009, « à la suite d’une requête des pédiatres du Groupe Francophone de Gastro-entérologie et de Nutrition Pédiatriques qui ont constaté une importante augmentation du nombre de familles d’enfants autistes envisageant de recourir ou utilisant ce régime », preuve que le filon du régime miracle est exploité en France depuis au moins dix ans.

Il s’agit là probablement de l’étude à laquelle C. Buscailhon fait référence. Nous n’avons pas pu vérifier quel auteur est visé par les soupçons de collusion avec « l’industrie des produits laitiers ». L’étude en question compte tout de même 12 auteurs, et a été réalisé sous la coordination de l’AFSSA, représenté par trois scientifiques. Alors que le postulat d’un effet bénéfique du régime sans gluten ni caséine pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique gagne en popularité aujourd’hui en France et semble de ce fait être une nouvelle piste à explorer, des études portant sur le lien entre gluten et/ou caséine et autisme ont en réalité été menées dès les années 1960. La première étude citée par le rapport de l’AFSSA date de 1966[12], et est effectivement parue dans une revue scientifique suédoise.

Malgré cela, l’AFSSA notait en 2009 que le nombre d’études publiées sur le sujet reste faible. Le rapport de l’AFSSA de 2009 (Ibid., p.32) dénombrait quatorze études publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture, qui malheureusement présentent toutes des insuffisances méthodologiques et/ou des échantillons trop faibles pour que le résultat puisse être considéré comme significatif.

Cette revue critique de littérature scientifique conclut que :

« Seule une étude (i) associe les principales caractéristiques que l’on exige d’un essai contrôlé : groupe témoin, attribution du traitement par tirage au sort et double insu. Son résultat ne montre aucune amélioration à la suite du régime, mais l’effectif est faible et la variance élevée. Une erreur de type II[13] ne peut donc être exclue. Les données scientifiques actuelles ne permettent donc pas de conclure à un effet bénéfique du régime sans gluten et sans caséine sur l’évolution de l’autisme (Ibid., p.34) ».

L’étude de l’AFSSA date de 2009 et les dernières années ont été propices à la littérature scientifique sur le sujet du lien possible entre autisme et régime sans gluten et sans caséine. Ainsi, au 18 avril 2022, Google Scholar est capable de rapporter 6 260 résultats pour les articles scientifiques contenant les termes « autism », « gluten » et « casein », dont 4 710 publiés après la parution de l’étude AFSSA, en 2010 et après. 769 de ces études ont été publiées dans des revues scientifiques. Le sujet semble donc en vogue.

Cela pourrait augurer d’un accroissement des connaissances dans le domaine, mais il est malheureusement difficile de conclure en ce sens. Car si le nombre d’études s’est multiplié, ces études émanent pour beaucoup de petits groupes de chercheurs aux profils divers, parfois financés par des organisations militantes dans le domaine de l’autisme, et pour qui la recherche semble être une activité servant à mettre en avant des hypothèses, voire des croyances, qu’il s’agit de confirmer avec tout le prestige de la science.

L’étude d’Adams et al. est en ce sens symptomatique. La véritable réussite d’Adams et al. est finalement d’avoir pu faire publier une étude aussi faible dans un journal scientifique à comité de lecture. James B. Adams est professeur d’ingénierie et n’a pas de qualification en médecine. L’autisme d’un de ses enfants est le moteur de son intérêt pour le domaine. L’importance des liens d’intérêt entre la majorité des auteurs de l’étude Adams et al. avec une organisation faisant commerce de suppléments alimentaires, l’opacité de la méthodologie, le manque de transparence sur les données, la déclaration de la méthodologie après la fin de la récolte des données, les approximations dans la méthodologie relevés par d’autres chercheurs sont autant de facteurs communs à de nombreuses études, publiées dans des revues scientifiques ou non. Au point de vue de la puissance statistique et de la solidité des conclusions, ces études souffrent souvent d’une taille d’échantillon trop faible, et d’une durée d’analyse trop limitée. La grande quantité des études est un mirage qui ne doit pas faire oublier que leur qualité est, elle, souvent médiocre, et que rien de solide ne peut en être conclu. Ce manque de qualité dans une majorité d’études de faible puissance statistique est remarqué, après 2009, par Marí-Bauset et al[14] (2014), Lange et al[15] (2015), ou Piwowarczyk et al[16] (2018) dans leurs revues de littérature respectives. La conclusion du rapport de l’AFSSA en 2009 nous semble donc toujours valide :

« En conclusion, les données scientifiques actuelles ne permettent pas de conclure à un effet bénéfique du régime sans gluten et sans caséine sur l’évolution de l’autisme.

Il est impossible d’affirmer que ce régime soit dépourvu de conséquence néfaste à court, moyen ou long terme.

Les arguments indirects (excès d’exorphines, peptidurie anormale, troubles digestifs associés, notamment) avancés à l’appui de ce type de régime ne sont pas étayés par des faits validés.

Il n’existe donc aucune raison d’encourager le recours à ce type de régime (Ibid., p.80)».


Notes :

[1] Et non « secondaire », un effet secondaire peut-être parfaitement désirable.

[2] Lesquels représentaient en France 34% des décès de la COVID-19 pour 7% de la population début mars 2022. Source : Graphique A.1., « Les cas positifs et les entrées à l’hôpital avec Covid-19 continuent de décroitre quel que soit le statut vaccinal », p. 4,

[3] Autism Treatment Evaluation Checklist. Les scores indiqués sont ceux déclarés par la mère de Léo.

[4] Barbara Azaïs, « Autisme : comment cette maman est parvenue à alléger les troubles de son fils », 2 avril 2020

[5] Référence au score ATEC, présenté plus haut. Un score plus élevé indique une sévérité de l’autisme plus importante. Ibid.

[6] Adams JB, Audhya T, Geis E, Gehn E, Fimbres V, Pollard EL, Mitchell J, Ingram J, Hellmers R, Laake D, Matthews JS, Li K, Naviaux JC, Naviaux RK, Adams RL, Coleman DM, Quig DW. Comprehensive Nutritional and Dietary Intervention for Autism Spectrum Disorder—A Randomized, Controlled 12-Month Trial. Nutrients. 2018; 10(3):369.

[7] “the president of the Autism Nutrition Research Center (ANRC), a non-profit which provides information to autism families and which produces an improved version of the vitamin/mineral supplement used in this study. He serves as an unpaid volunteer, and does not receive any royalties from the sale of the vitamin/mineral supplement. T.A. consults for Health Diagnostics, a commercial testing lab. D.W.Q. works at Doctor’s Data, a commercial testing lab. The other authors do not have any competing interests”.

[8] Nous traduisons ainsi le terme américain « licensed », à défaut de savoir s’il s’agit d’une inscription à une association professionnelle ou de l’obtention d’une reconnaissance professionnelle émise par une autorité publique ou privée indépendante

[9] Pamela J. Compart et Dana Laake, “The Kid-Friendly ADHD & Autism Cookbook, Updated and Revised: The Ultimate Guide to the Gluten-Free, Casein-Free Diet”, 2012, Fair Winds, 352 pages

[10] « Awakenings » (Titre français : L’Éveil »), film de Penny Marshall (1990),

[11] AFSSA, « Efficacité et innocuité des régimes sans gluten et sans caséine proposés à des enfants présentant des troubles envahissants du développement (autisme et syndromes apparentés) », 2009,

[12] Dohan FC. Cereals and schizophrenia. Data and hypothesis. Acta Psychiatr Scand 1966; 42 : 125-52.

[13] Une erreur de type II (ou « faux négatif ») survient lorsqu’un test statistique ne rejette pas une hypothèse nulle pourtant fausse. Cela peut être dû à un manque de puissance statistique, comme lorsque l’échantillon sur lequel le test statistique porte est trop faible.

[14]Marí-Bauset S, Zazpe I, Mari-Sanchis A, Llopis-González A, Morales-Suárez-Varela M. Evidence of the Gluten-Free and Casein-Free Diet in Autism Spectrum Disorders: A Systematic Review. Journal of Child Neurology. 2014;29(12):1718-1727. doi:10.1177/0883073814531330

[15] Lange KW, Hauser J, Reissmann A. Gluten-free and casein-free diets in the therapy of autism. Curr Opin Clin Nutr Metab Care. 2015 Nov;18(6):572-5. doi: 10.1097/MCO.0000000000000228. PMID: 26418822.

[16] Piwowarczyk, A., Horvath, A., Łukasik, J. et al. Gluten- and casein-free diet and autism spectrum disorders in children: a systematic review. Eur J Nutr 57, 433–440 (2018).

Retrouvez les épisodes précédents de notre saga Jérémie Mercier : épisode 1, épisode 2, épisode 3.

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