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La certitude nous empêche-t-elle d’accéder à la vraie connaissance ?

Les limites de la connaissance et les dangers de la certitude

Jennifer Thompson, étudiante de 22 ans, dormait dans son appartement par une chaude nuit de juillet 1984, lorsqu’elle a été réveillée par un bruit, puis par un homme qui l’a plaquée contre le lit avec un couteau sous la gorge. Il a menacé de la tuer. Puis il l’a violée.

Pendant l’agression, elle s’est efforcée de se souvenir d’autant de détails que possible, y compris des notes mentales de son visage et de sa tenue, afin que si elle survivait, elle puisse obtenir justice.

Après être allée à la cuisine pour boire, elle s’est échappée par la porte arrière et a couru jusqu’à la maison d’un voisin.

Au poste de police, elle a donné une description détaillée de son agresseur. Les journaux télévisés ont demandé aux téléspectateurs d’aider à retrouver le suspect, un homme noir d’une vingtaine d’années ou de la fin de l’adolescence, mesurant environ 1,80 m et pesant environ 80 kg.

Le lendemain, la police a reçu un tuyau selon lequel un homme qui travaillait dans un restaurant du quartier, Ronald Cotton, correspondait à la description.

Ronald avait été condamné pour tentative de viol à l’âge de 16 ans et était en liberté conditionnelle pour une autre condamnation pour effraction. Son patron a déclaré qu’il avait l’habitude de toucher les serveuses blanches et qu’il possédait une chemise bleue semblable à celle que Jennifer a vue lors du viol.

Lors d’une perquisition au domicile de Ronald, la police a trouvé une paire de chaussures noires et une lampe de poche, toutes deux similaires à celles décrites par Jennifer. Ses vieilles chaussures étaient abîmées et correspondaient à un morceau de caoutchouc mousse trouvé dans l’appartement de Jennifer.

Ronald a déclaré à la police qu’il était sorti avec des amis le soir de l’agression. Après que les détectives n’aient pas pu confirmer son alibi, il a changé son histoire et a dit qu’il était avec sa petite amie dans un motel. Plus tard, il a changé son alibi une troisième fois en disant qu’il avait mélangé ses dates et qu’il était en fait chez sa mère.

Mais le plus accablant pour Ronald, c’est que Jennifer l’a choisi dans une séance d’identification. Elle avait fait en sorte de se rappeler à quoi ressemblait son agresseur pour pouvoir le mettre derrière les barreaux.

Et elle était absolument sûre que Ronald Cotton était son violeur.

Tout comme le jury. Il y avait des preuves, un suspect avec une condamnation antérieure et aucun alibi solide, ainsi que des témoignages dignes de confiance.

Ronald Cotton a été reconnu coupable de viol et condamné à la prison à vie.

La nature de la connaissance

Nous pensons souvent que nous « savons » beaucoup de choses. Certains d’entre nous sont même assez confiants dans ce qu’ils pensent savoir. Mais qu’est-ce que la connaissance ?

Une définition très simple de la connaissance est qu’il s’agit d’une croyance vraie justifiée. Cela signifie que c’est vrai, que nous croyons que c’est vrai, et que nous avons de bonnes raisons de le croire.

L’élément central de cette définition est la manière dont nous savons quelque chose. Essentiellement, les preuves comptent, et plus elles sont de bonne qualité, plus nous avons de justifications pour croire.

Mais individuellement, nous en savons rarement assez pour justifier la plupart de nos croyances. N’oubliez pas que nous en venons souvent à croire des choses de manière irrationnelle et peu fiable. Nous faisons confiance aux figures d’autorité et aux membres de notre groupe. Nous croyons ce que nous entendons. Et nous faisons vraiment confiance à nos expériences personnelles.

De plus, une fois que nous acceptons une croyance, nous nous engageons dans un biais de confirmation, c’est-à-dire que nous recherchons des preuves qui soutiennent notre croyance et ignorons celles qui ne le font pas. En conséquence, nous nous trompons souvent en pensant que nous avons plus de preuves en faveur de notre croyance que nous en avons réellement.

La question est la suivante : voulons-nous croire à des choses vraies ? Et ne pas croire aux choses qui ne le sont pas ?

Pour beaucoup, la première réaction est : Oui, bien sûr ! Mais parfois la vérité est inconfortable.

Si nous voulons vraiment connaître la « vérité » – au mieux de nos capacités à savoir ce qui est vrai – nous ne devons pas avoir peur de remettre en question nos croyances. Après tout, la vérité résiste à l’examen. Alors quelles sont les preuves qui vous donneraient tort ?

Enfin, la connaissance n’est pas noire ou blanche. C’est un spectre, avec de nombreuses nuances de gris. Mais comme une certitude à 100 % est presque impossible, nous devrions éviter d’être trop confiants… nous ne « savons » probablement pas autant que nous le pensons. Et si nous sommes trop confiants, nous ne serons pas ouverts à de nouvelles preuves ou à changer d’avis.

Elle avait tort

Ronald Cotton n’a jamais cessé de clamer son innocence. Il passait ses journées à écrire des lettres aux avocats, aux journaux… à toute personne susceptible de l’écouter et de l’aider.

Ronald était en prison depuis environ un an quand Bobby Poole l’a rejoint pour travailler en cuisine. Bobby ressemble à Ronald, et purge plusieurs peines de prison à vie pour une série de viols. Bobby s’est même vanté auprès d’autres détenus que Ronald était en train de purger une peine pour son propre crime.

Finalement, l’affaire a attiré l’attention du professeur de droit Rich Rosen, qui a remarqué le manque relatif de preuves contre Ronald, et était conscient des limites des témoignages oculaires. Rosen a pu utiliser les nouveaux tests ADN disponibles sur des échantillons de liquide prélevés sur la scène du crime.

L’ADN n’a pas seulement innocenté Ronald Cotton, il a aussi trouvé le violeur : Bobby Poole.

Ronald Cotton, à gauche, et Bobby Poole photographiés au moment de leurs arrestations. SERVICE DE POLICE DE BURLINGTON

Au printemps 1995, onze ans plus tard, un détective est passé chez Jennifer pour lui annoncer la nouvelle. Ce n’était pas Ronald Cotton qui l’avait violée, c’était Bobby Poole.

Elle a été choquée. Elle avait été tellement convaincue que Ronald l’avait violée. Pendant des années, elle a été hantée par des images du visage de Ronald pendant l’attaque.

Pourtant, elle avait tort. La science avait prouvé que c’était Poole.

Jennifer n’arrivait pas à croire qu’elle avait envoyé un homme innocent en prison pendant onze ans.

Quelques semaines plus tard, Jennifer et Ronald se sont rencontrés dans une église et ont parlé pendant deux heures. Elle voulait lui dire combien elle était désolée. Et il lui a pardonné. Aujourd’hui, les deux bons amis parcourent le pays pour promouvoir la réforme de la justice pénale.

Bobby Poole est mort d’un cancer en prison en 1999.

Le message à retenir

Plus nos preuves sont bonnes, plus notre croyance est justifiée. Cependant, nous sommes souvent trop confiants dans ce que nous pensons « savoir », car il est pratiquement impossible pour chacun d’entre nous de justifier suffisamment la majorité de nos croyances.

Nous avons plus de chances d’acquérir de véritables connaissances lorsque nous reconnaissons les limites de ce que nous savons, que nous apprenons à être à l’aise avec l’incertitude et que nous sommes ouverts à l’idée de changer d’avis. Faire confiance à ceux qui ont de meilleures connaissances (c’est-à-dire les experts) est un excellent raccourci.

En fin de compte, nous n’en savons pas autant que nous le pensons. Et ce n’est pas grave.


Pour en savoir plus

Intellectual Humility: The importance of knowing you might be wrong (Vox)
Intellectual Humility: The ultimate guide to this timeless virtue (Shane Snow)
The Perfect Witness (Death Penalty Information Center)
What Jennifer Saw (PBS Frontline)

Traduction : la Rédaction de Citizen4Science – lien vers l’article original

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