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Pourquoi essayer de prouver que l’on a tort est la clé pour avoir raison

par Melanie Trecek-King et traduit par Citizen4Science, issu de son site internet anglophone Thinking is Power dédié à la pensée critique pour le grand public sur de nombreux aspects. Parcourez le blog pour retrouver de nombreuses productions de Melanie en version française sur le site de C4S.

La différence entre les croyances réfutables et non réfutables

Tony Green était convaincu que la menace du virus était exagérée, qu’il n’était pas pire que la grippe. C’était une escroquerie.

En tant que conservateur gay, il était habitué à se battre pour être respecté, mais rester fidèle à ses valeurs était important pour lui. Il a voté pour Donald Trump en 2016, et pensait que la pandémie était un canular créé par les médias grand public et les démocrates pour planter l’économie et détruire les chances de réélection de Trump. Se décrivant comme un « dur à cuire », il défendait ses « droits donnés par Dieu » et se moquait des gens qui portaient des masques et respectaient la distanciation sociale. Il aimait sa liberté et ne voulait pas que le gouvernement lui dise ce qu’il devait faire.

Ainsi, lorsque les restrictions de confinement ont été levées, il a organisé une escapade de week-end avec sa famille. C’était l’été et ils ne s’étaient pas vus depuis des mois. Il était temps de profiter de la vie.

Le samedi 13 juin, lui et son partenaire ont accueilli leurs deux parents à leur domicile. Le dimanche, il s’est réveillé malade. Et le lundi, son partenaire et ses parents étaient malades. Le lundi également, ses beaux-parents se sont déplacés pour assister à la naissance de leur premier petit-enfant. Plus tard dans la nuit, son beau-père était malade…. puis sa belle-mère…. et leur fille…

Et ainsi de suite.

Les deux différents types de croyances

Nos esprits renferment tout un tas de croyances. Et bien qu’elles puissent se ressembler, en termes de véracité, il est important de comprendre leurs différences, à la fois pour notre propre réflexion et lorsque nous parlons avec les autres.

La question est : Comment pourrions-nous savoir si nos croyances sont vraies ?

Nous avons tendance à penser que nos croyances ont été formées en suivant logiquement les preuves jusqu’à une conclusion, et que nous avons donc de bonnes raisons de croire. Cependant, la plupart de nos croyances sont formées de manière irrationnelle. Une fois que nos croyances sont formées, le biais de confirmation entre en jeu, et nous recherchons et interprétons toutes les « preuves » pour soutenir la croyance.

Cela peut sembler paradoxal, mais le secret pour savoir si ce que nous croyons est vrai est d’essayer de prouver que c’est faux. Et pour prouver qu’une croyance est fausse, il faut des preuves.

La distinction clé qui sépare les différents types de croyances est que certaines peuvent être prouvées fausses, et d’autres non.

Les croyances réfutables peuvent être prouvées fausses. Essentiellement, il doit être possible de penser à une observation qui réfuterait la croyance. Si la croyance est fausse, les preuves prouveront qu’elle est fausse. Si la croyance est vraie, les preuves ne prouveront pas qu’elle est fausse. Elles ne prouveront pas non plus qu’elle est vraie….. Il y a toujours une chance que nous nous trompions. Mais si la croyance a résisté avec succès aux tentatives répétées de la réfuter, nous sommes en droit de l’accepter provisoirement.

Lorsque les preuves ont réfuté une croyance, on sait qu’elle est fausse. Mais une croyance fausse doit être réfutable, sinon les preuves n’auraient pas été en mesure de la réfuter.

Par exemple, la croyance selon laquelle l’homéopathie peut traiter divers problèmes de santé est réfutable. D’innombrables expériences ont montré que l’homéopathie n’est pas plus efficace qu’un placebo. La croyance en l’homéopathie est donc une fausse croyance.

Les croyances irréfutables sont impossibles à réfuter, et on ne peut donc pas montrer qu’elles sont vraies ou fausses. Elles peuvent être l’une ou l’autre, mais nous ne le saurons jamais avec certitude. Soutenir des croyances irréfutables par des « preuves » n’a donc aucun sens, car l’affirmation est invulnérable aux preuves.

Si rien ne peut jamais réfuter une croyance, les preuves ont perdu toute valeur. La conclusion est déjà connue. Cela ne signifie pas qu’elle est vraie, bien sûr. Juste que la croyance restera intacte quelle que soit la preuve.

« En science, si une idée n’est pas réfutable, ce n’est pas qu’elle est fausse, c’est que nous ne pouvons pas déterminer si elle est fausse et ainsi ce n’est même pas faux »
Michael Shermer

Par exemple, j’ai des problèmes technologiques épiques, de niveau A, qui valent une médaille d’or. Je plaisante parfois en disant que j’ai été maudite par une fée des ordinateurs, qui saupoudre un e-Goo magique pour m’embêter. Vous ne pouvez pas me prouver que j’ai tort ! Mais cela ne veut pas dire que c’est vrai.

La différence se résume alors à ceci : Est-il possible de penser à des preuves qui réfuteraient la croyance ?

Il existe quatre types de croyances qui sont irréfutables

1. Croyances subjectives : Préférences personnelles, opinions, valeurs, éthique, morale, sentiments et jugements

Par exemple, je crois que The Princess Bride est le meilleur film jamais réalisé et que le Vegemite est dégoûtant.

J’ai raison sur les deux points. Prouvez-moi que j’ai tort !

S’il est impossible de prouver que les croyances subjectives sont fausses, nous utilisons souvent des faits pour les justifier.

Par exemple, je crois que les chats sont les meilleurs animaux de compagnie. Les chats sont silencieux. Ils sont « autonettoyants ». Ils font leurs besoins dans une litière, ce qui évite de vous réveiller tôt le matin pour aller les promener. Ils sont suffisamment indépendants pour que vous puissiez les laisser seuls pour un jour ou deux. En bref, ce sont des animaux de compagnie parfaits pour ceux qui ne sont pas assez responsables pour avoir un chien. (Ou un enfant.)

Je pense également que les soins de santé sont un droit humain fondamental et que les humains ont l’obligation éthique de sauver les espèces en voie d’extinction.

Mais les opinions et les valeurs ne sont pas des faits.

Nombre de nos croyances les plus profondes sont subjectives, et donc irréfutables. Mais nous voulons si désespérément qu’elles soient vraies que nous pouvons nous donner beaucoup de mal pour les étayer par des faits et des « preuves », en particulier dans les discussions avec ceux qui ne sont pas d’accord avec nous. Cependant, si nous voulons vraiment avoir des conversations productives, nous devons comprendre la nature du désaccord. Il est fort possible que le désaccord porte sur des valeurs, auquel cas les faits n’ont aucun sens.

2. Croyances surnaturelles : Entités telles que les dieux et les esprits, ou capacités humaines magiques telles que les pouvoirs psychiques.

Il est dans la nature humaine d’essayer de donner un sens aux événements de notre vie, et nous cherchons souvent diverses explications, tant naturelles que surnaturelles.

Par définition, les causes surnaturelles sont au-dessus et au-delà de ce qui est naturel. Par conséquent, elles ne sont pas observables, et donc pas réfutables. Cela ne signifie pas que ces affirmations sont vraies ou fausses, mais qu’il n’y a aucun moyen d’utiliser des preuves pour les tester.

Par exemple, la pandémie de COVID-19 a une cause naturelle évidente : un coronavirus. Mais cela n’a pas empêché certains de prétendre que le virus était une punition de Dieu pour les rapports sexuels avant le mariage, l’homosexualité, l’avortement ou les péchés génériques, et près de deux tiers des Américains croient que la pandémie est un message de Dieu. La nature de ce message, bien sûr, varie grandement en fonction de la personne à qui vous demandez.

Il y a ceux qui croient vraiment que le virus est un jugement divin. Mais il n’y a aucun moyen de tester le jugement divin. Et il est logiquement impossible que toutes les croyances contrastées sur le rôle de Dieu dans la pandémie soient vraies.

Les affirmations surnaturelles peuvent être falsifiables sous certaines conditions. Premièrement, si un médium prétend être capable d’avoir un impact sur le monde naturel d’une manière ou d’une autre, par exemple en déplaçant ou en pliant des objets ou en lisant dans les pensées, nous pouvons tester ses capacités dans des conditions contrôlées. Et deuxièmement, les affirmations d’événements surnaturels qui laissent des preuves physiques peuvent être testées. Par exemple, les créationnistes jeune-terre prétendent que le Grand Canyon s’est formé pendant le déluge de Noé, il y a environ 4 000 ans. Un déluge global laisserait derrière lui des preuves géologiques, que nous devrions également voir dans le Grand Canyon. Sans surprise, les preuves réfutent cette affirmation. Cependant, même si les preuves indiquaient un déluge global il y a seulement quelques milliers d’années, nous ne pourrions toujours pas falsifier Dieu comme cause.

3.Croyances vagues : Non définies, indéfinies, ou peu claires.

Votre horoscope d’aujourd’hui dit : « Aujourd’hui est une bonne journée pour rêver. Évitez de prendre des décisions importantes. L’énergie du jour pourrait faire entrer de nouvelles personnes dans votre vie. Vous avez accompli beaucoup de choses récemment, alors essayez de fêter ça ! »

Si vous passiez votre journée à chercher des preuves pour étayer votre horoscope, vous en trouveriez probablement. Mais il est impossible de le réfuter, car il n’a fait aucune prédiction mesurable.

Ou encore, considérez votre oncle grincheux, qui croit que « les démocrates sont des socialistes qui détestent l’Amérique et veulent nous priver de nos libertés ! ».

Il est presque certain que ses croyances lui semblent vraies, et si on lui demandait, il serait probablement capable de fournir des « preuves ». Pourtant, des termes tels que socialiste, haine et liberté sont des mots chargés, qui manquent de définitions fermes mais provoquent des émotions fortes et sont capables de persuader sans preuve.

Il est intéressant de noter que les gens ont souvent des opinions extrêmes sur des questions complexes qu’ils connaissent très peu. Ils ont l’impression de comprendre, mais lorsqu’on leur demande de donner plus de détails sur leurs convictions, le château de cartes s’écroule.

Si vous ne pouvez pas imaginer un moyen d’observer et de mesurer les preuves, ou si vous remettez honnêtement en question votre croyance et découvrez que vous ne connaissez pas beaucoup de détails, il y a de fortes chances que cette croyance soit irréfutable. Alors, sondez vos croyances…. questionnez-les vraiment. Que savez-vous vraiment ?

4. Excuses ad hoc : Rationaliser et trouver des excuses pour expliquer les observations qui pourraient réfuter la croyance. 

Bien que les trois types de croyances décrites ci-dessus soient intrinsèquement irréfutables, nous protégeons parfois les fausses croyances en trouvant des moyens de les rendre irréfutables.

Dans « Le monde hanté par les démons », Carl Sagan explique parfaitement ce type de raisonnement :

« Un dragon cracheur de feu vit dans mon garage. »
Supposons que je vous fasse sérieusement une telle affirmation. Vous voudriez sûrement vérifier, voir par vous-même. Il y a eu d’innombrables histoires de dragons au cours des siècles, mais aucune preuve réelle. Quelle opportunité !
« Montrez-moi », dites-vous. Je vous conduis jusqu’à mon garage. Vous regardez à l’intérieur et voyez une échelle, des pots de peinture vides, un vieux tricycle – mais pas de dragon.
« Où est le dragon ? » demandez-vous.
« Oh, il est juste là », dis-je, en faisant un vague signe de la main. « J’ai oublié de préciser que c’est un dragon invisible. »
Vous proposez de répandre de la farine sur le sol du garage pour capturer les empreintes du dragon.
« Bonne idée », dis-je, « mais ce dragon flotte dans les airs ».
Ensuite, vous utiliserez un capteur infrarouge pour détecter le feu invisible.
« Bonne idée, mais le feu invisible est aussi sans chaleur. »
Vous allez peindre le dragon à la bombe et le rendre visible.
« Bonne idée, mais c’est un dragon incorporel et la peinture ne tiendra pas. »
Et ainsi de suite. Je réponds à chaque test physique que vous proposez en expliquant pourquoi ça ne marchera pas.
Maintenant, quelle est la différence entre un dragon invisible, incorporel, flottant, qui crache du feu sans chaleur et pas de dragon du tout ? S’il n’y a aucun moyen de réfuter mon affirmation, aucune expérience concevable qui irait à son encontre, que signifie de dire que mon dragon existe ? Votre incapacité à invalider mon hypothèse n’est pas du tout la même chose que de prouver qu’elle est vraie. Les affirmations qui ne peuvent pas être testées, les affirmations qui ne peuvent pas être réfutées n’ont aucune valeur sur le plan de la vérification, quelle que soit la valeur qu’elles peuvent avoir pour nous inspirer ou stimuler notre sens de l’émerveillement. Ce que je vous demande de faire revient à croire, en l’absence de preuves, ce que je dis.

Vous avez peut-être entendu l’expression « Les faits se moquent de vos sentiments ». Bien que cela soit vrai, il est tout aussi vrai que « Nos sentiments ne se soucient pas des faits. »

Face à des faits qui contredisent une croyance, en particulier une croyance centrale pour notre identité ou nos valeurs morales, nous utilisons un raisonnement motivé pour réduire la dissonance cognitive qui survient lorsque la réalité et nos croyances sont en conflit. Lorsque cela échoue, notre carte de sortie de prison consiste à défendre la croyance en la rendant irréfutable et donc insensible aux preuves. Nous déplaçons les poteaux de but. Nous écartons les sources ou nions les preuves. Nous proclamons qu’il s’agit de notre opinion.

Le raisonnement ad hoc nous aide à trouver des excuses pour rendre la croyance infalsifiable, et donc incapable d’être prouvée fausse. Il s’avère que l’irréfutabilité peut être un avantage psychologique, car il est agréable de savoir que personne ne peut nous prouver que nous avons tort.

L’histoire tragique de Tony Green

Après environ une semaine, Green s’est senti mieux. Il s’était certainement mal, mais ce n’était pas si terrible que cela.

Puis un jour, il n’a plus plus respirer, et il s’est évanoui. Quand il s’est réveillé, il était aux urgences, entouré d’une équipe de médecins. Le virus avait attaqué son système nerveux et il avait failli avoir un AVC massif.

Il est resté allongé dans son lit d’hôpital pendant des jours, submergé par la culpabilité et la honte. Il avait payé pour son erreur.

Ou du moins, il le pensait.

En fin de compte, le virus a infecté 14 membres de la famille et en a tué deux, dont son beau-père bien-aimé, qui est mort seul dans sa chambre d’hôpital. Malheureusement, la mère de son beau-père est morte presque en même temps, dans la chambre voisine.

Green se sentait comme un conducteur ivre qui avait tué sa famille.

Mais il n’avait pas cru que le virus était réel. Il avait écouté ceux qui minimisaient la menace. Et il avait entendu ce qu’il voulait entendre.

Bien qu’extrême, l’histoire de Green n’est que trop humaine. Si le coronavirus est réfutable, Green a nié l’augmentation des cas et des taux de mortalité en utilisant un raisonnement ad hoc pour protéger ce qu’il voulait croire. Et il n’a pas apprécié ce qu’il a perçu comme une atteinte à ses libertés personnelles.

Tony Green a payé très cher pour avoir protégé une fausse croyance par des théories complotistes irréfutables et des opinions subjectives. Mais finalement, les preuves ont été trop accablantes, et il a dû faire face à la réalité. Malheureusement, il lui a fallu être hospitalisé et perdre des êtres chers.

Le message à retenir

Si vous voulez savoir si une croyance est vraie, l’une des premières étapes les plus importantes consiste à déterminer si elle est réfutable. Toutes les croyances ne sont pas identiques, et pourtant on peut avoir l’impression qu’elles le sont. La croyance en Dieu, en de nombreuses théories du complot ou dans des opinions politiques bien arrêtées ne peuvent pas être prouvées comme fausses, quel que soit le nombre de « faits » que vous trouvez pour les soutenir. Si vous décidez de les accepter malgré tout, reconnaissez que cette croyance est fondée sur la foi et non sur des preuves.

La science est efficace parce qu’elle évalue en permanence ses théories face à la réalité. Elle accueille favorablement les tentatives de falsification. Le grand Richard Feynman a dit un jour : « Nous essayons de nous prouver que nous avons tort aussi vite que possible, car ce n’est qu’ainsi que nous pouvons progresser. » Les explications scientifiques, telles que le changement climatique causé par l’homme, l’évolution ou la sécurité des OGM sont réfutables, et le fait qu’elles n’aient pas été prouvées comme étant fausses signifie qu’elles sont très probablement vraies.

Ainsi, la question posée précédemment, à savoir comment savoir si ma croyance est vraie, est en fait une mauvaise question à se poser. La meilleure question est la suivante : que faudrait-il faire pour prouver que ma croyance est fausse ? Gardez alors à l’esprit ce qui suit :

  • Ne vous contentez pas de chercher des preuves que vous avez raison, car vous les trouverez certainement si vous cherchez bien
  • Déterminez plutôt si la croyance est réfutable. Si c’est le cas, cherchez activement des preuves pour prouver que vous avez tort
  • Si la croyance est vraie, elle résistera à un examen minutieux
  • Si la croyance n’est pas vraie, les preuves la réfuteront. Essayez d’accepter les preuves et de changer d’avis

Mais n’oubliez pas que si rien ne peut vous faire changer d’avis, votre croyance est irréfutable. Et ne supposez jamais que vous devez avoir raison simplement parce qu’on ne peut pas vous prouver que vous avez tort.

Pour en savoir plus

Wired, Why You Can Never Argue with Conspiracy Theorists
Skeptical Inquirer, A Field Guide to Critical Thinking

Traduction : Citizen4Science – Lien vers l’article original

2 réflexions sur “Pourquoi essayer de prouver que l’on a tort est la clé pour avoir raison

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